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Vladimir Boson, l’étoffe de l’art

Tapissier-décorateur à Lausanne, Vladimir Boson est aussi éditeur d’objets d’artistes. Rencontre avec un créateur discret qui met du pop dans un métier ancien

© AGNETTI/SEBASTIEN
© AGNETTI/SEBASTIEN

Pensez tapissier-décorateur. Et vous imaginez un artisan enfoncer des tout petits clous qu’on appelle semences pour tendre une toile de Jouy sur une bergère Louis XVI. Ou poser au plafond des mètres linéaires de tringle à rideaux. Mais selon comment on le prend, le métier recèle aussi une formidable créativité et des créateurs épatants. Comme Vladimir Boson, le tapissier-décorateur le plus arty de l’Arc lémanique.

Avec Claire Lavigne, sa contrepointière, il occupe un tout petit atelier de l’avenue Recordon à Lausanne. Un espace où la place déjà spartiate est encore encombrée par plusieurs sofas.

Il y a là un canapé Togo de Ligne Roset recouvert d’un tissu bronze improbable, le fameux Bocca, la couche rouge vif en forme de bouche dont on prête l’invention à Salvador Dalí, et une pièce pop-rigolote très années 1980 qu’on jurerait de l’époque Memphis (le groupe de designers créé en 1980 par Ettore Sottsass à Milan, pas la ville de Johnny Cash et d’Elvis). «C’est un meuble de l’architecte Hans Hollein. Un truc de fou que j’ai trouvé sur Anibis pour trois fois rien, explique Vladimir Boson qui collectionne ce genre de mobilier, mais ne le fabrique pas. Je suis tapissier-décorateur, pas designer. Et puis, je suis d’une nature plutôt discrète qui préfère rester dans l’ombre.»

En 2015, à propos de Vladimir Boson: Il était une fois un tapissier et une courtepointière…

La force du réseau

Quoique. Sur Instagram, le compte @ateliervladimirboson cumule quand même 7000 followers et des poussières. C’est d’ailleurs grâce à lui que les Nantais de Blazers/Blasons viennent de le repérer. «Ils produisent chaque année une collection d’écussons dessinés par des artistes et m’ont demandé un projet pour fêter leurs 20 ans. Je vais me retrouver aux côtés de Mathieu Mercier, Jonathan Monk, Alain Séchas et Sylvie Fleury. Rien que du beau monde.»

Si le Lausannois accroche ainsi la lumière, c’est aussi parce qu’il applique son savoir-faire pour éditer des multiples d’art. Comprenez qu’il développe des rideaux, des miroirs et des sculptures avec des plasticiens du coin. «J’aime ces collaborations. Car contrairement au milieu du design où je me suis souvent senti snobé, celui de l’art m’a accueilli à bras ouverts. Alors oui, je vis en retapant des sièges et pas mal de ce mobilier vintage des années 1950 désormais très recherché. Mais c’est le travail avec les artistes qui me passionne vraiment. Techniquement, ils vont chercher à vouloir montrer des choses et pointer des détails que les designers, normalement, cacheraient. Car ni eux ni moi ne cherchons à faire un objet d’usage. Trouver la frontière entre l’art et le design, voilà le challenge.»

Chambre en pilou

L’histoire commence en 2012. Le tapissier croise l’artiste française Delphine Coindet chez des amis communs. «Je l’ai abordée en lui disant que je me retrouvais dans son univers à la fois surréaliste et très coloré.» Il lui parle de son œuvre. Elle embraie sur ses Pecker, drôles d’oiseaux-totems montés sur roues qu’elle veut réaliser en tissu. «C’est là que j’ai décidé non seulement de les fabriquer, mais aussi de les produire et de les diffuser.» L’idée de produire ainsi des œuvres et de les vendre fera rapidement son chemin.

Car entre Vladimir Boson et les artistes, tout commence généralement de cette façon. Pour des histoires de textile. Ils ont un projet de pièce avec du tissu, mais sans trop savoir comment s’y prendre. Pour Sylvie Fleury, il a par exemple réalisé Bedroom Ensemble II, une chambre à coucher intégralement recouverte de fourrure synthétique (lampe et tableau compris), hommage à la Bedroom de Claes Oldenburg de 1963. «Je leur donne des conseils, mets à leur service mon savoir-faire. Surtout, je leur montre les matières qui existent. Ici j’en ai beaucoup, souvent qui sortent de l’ordinaire. Je les achète en sachant qu’elles seront invendables mais susceptibles de servir dans un projet artistique.»

Comme ce vinyle qui reprend la palette de couleurs des capsules Nespresso. Un drôle de matériau brillant fabriqué par Kvadrat, le géant danois du tissu haut de gamme. «Je l’ai utilisé pour faire les flammes du rideau de Sylvie Fleury. Le reste de la tenture est en Tyvek indéchirable qui sert aux combinaisons de protection, du genre qu’on enfile pour lutter contre Ebola», continue le tapissier en déroulant un lé de molleton en coton de laine. Un tissu ultra-épais avec lequel les designers Ronan et Erwan Bouroullec avaient recouvert leur canapé Ploum pour Ligne Roset. Il habille désormais certains des fameux Pecker de Delphine Coindet.

Enfance en technicolor

Car même si on parle ici d’édition d’art produite à six exemplaires, chaque pièce est unique. Les Pecker sont tous de couleurs différentes. Tout comme les tipis en feutre dressés pour Denis Savary. Empilées les unes sur les autres, les couches de tissus aux teintes pastel font que ces petites tentes ressemblent à d’exquises pâtisseries italiennes.

La couleur justement. Le credo de Vladimir Boson. «Cela me vient sans doute de mon père, qui enseignait aux Beaux-Arts et était aussi artiste, tendance pop art. Du coup, j’ai grandi en technicolor.» Un penchant que cultivent donc les artistes avec qui il collabore. Plus pop minimal du côté de Jean-Luc Manz, plus pop conceptuel chez Sylvie Fleury ou Denis Savary. La prochaine édition, la sixième, est en cours. Elle sera signée Alain Huck. «C’est vrai que je choisis des artistes déjà confirmés. Même si encore très peu de personnes ont pu voir leurs pièces en vrai.»

Cette année, Vladimir Boson a ainsi décidé de mettre une partie de son énergie à chercher un moyen de les exposer. Ce sera au prochain MAD, Multiple Art Days à la Monnaie de Paris en septembre. Mais un peu avant, aux Puces du design organisées au Palais de Beaulieu à Lausanne du 4 au 6 mai. Sur son stand, il présentera aussi les têtes de requin en céramique de Lorien Stern. Des sculptures dingues qui se fixent au mur comme des trophées de chasse et qu’il a découvertes sur Instagram. «Il y a quelques années, je suis tombé sur cette fille qui travaille la terre dans un mobile home paumé dans le désert de Mojave, où elle vit avec son canard. A l’époque, personne ne la connaissait. Aujourd’hui, elle cartonne en galerie.» Le tapissier-décorateur le plus arty de l’Arc lémanique, on vous dit.