Son échoppe est une oasis. Comme si c’était ici, à Vevey, qu’aboutissait la route des épices. Place Scanavin, petite cour intérieure aux allures vénitiennes, tapissée de pavés. On y accède à pied par des chemins de traverse: une ruelle étroite ou une autre voûtée. Atteindre Le Syrien n’est pas dû au hasard, c’est une affaire d’initiés. Par bouche-à-oreille, il se susurre qu’ici se trouvent les meilleurs kebabs de la Riviera. Un fast-food? Pas du tout. Entrez! Vous verrez que, chez Ahamad Nazem, manger est une tradition qui requiert la faculté de savoir prendre son temps.

A l’entrée de son échoppe, il a confectionné une tente rudimentaire. Pas de porte donc, mais l’embrasure d’une toile, qui comme un rideau de théâtre dévoile une scène où des volutes de narguilé flottent entre des petits bancs molletonnés disposés en rang.

Sa tente forme un sas qui emmène le visiteur directement en Syrie. Pas la Syrie de maintenant, tristement dévastée, mais celle d’avant où, dans les airs, flottaient des essences de fleurs d’oranger. Passé le pas-de-porte, c’est le large sourire d’Ahamad qui vous accueille. Alors vous faites connaissance. Puis vous prenez le thé à la menthe, vous goûtez ses pâtisseries et commentez l’actualité. Au fond de son échoppe règne une télévision continuellement allumée sur les nouvelles du jour, celles de la guerre qui a détruit son pays. Lui-même est en permanence connecté à ses proches. Sa famille d’ici, celle qui demeure en Syrie et ses amis.

Ahamad aime les bons produits. Il les a chassés à travers l’Orient pour les ramener ici. Les murs en sont tapissés jusqu’au plafond. Dattes, fruits, sésame, thym, miel, parfum des mille et une nuits.

«Tiens, mange! C’est pour toi!» Il aime ça Ahamad, que les gens goûtent, que le sucre coule, que les doigts collent. Il a ça dans le sang. Son père était pâtissier, il a suivi sa voie tracée dans le miel. Ahamad vous tend une pistache. Puis s’empare d’un falafel «fait maison» qu’il trempe dans l’humus. Et vous le propose. Vous n’avez pas encore commandé mais déjà vous n’avez plus faim. Et c’est à cet instant qu’il demande: «Alors, que veux-tu manger?»

On était venu pour ça, non? Alors on commande ce fameux kebab qui est syrien, lui aussi. Rien à voir avec son cousin, le kebab turc, dont on a l’habitude. Ici, en Syrie, c’est un pain farci de viande hachée crue qui est ensuite enfourné dans un grill, syrien aussi d’ailleurs, au sortir duquel il sera croquant et chaud. La garniture vient ensuite agrémenter la galette à raison d’un taboulé, le vrai au persil, et de caviar d’aubergine. Chez le Syrien, tout est fait maison selon les ­traditions de son pays. C’est pour cela que les clients aiment venir chez lui, mais c’est surtout parce que le cœur d’Ahamad est bon comme le miel dont il recouvre ses baklavas.

Le Syrien, place Scanavin, 1800 Vevey,tél. 021 921 02 57. Ouvert tous les jours.