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«Tague un ami qui…» sur Facebook, une habitude qui rend accro

Identifier ses amis sur des vidéos, des photos, des articles: la pratique est très populaire sur les réseaux sociaux. Décryptage d’un phénomène de dépendance

«Taguer et être tagué remplit un vide, et afficher une connivence avec des amis semble donner l’écho d’une vie riche et entourée.» — © Hero Images
«Taguer et être tagué remplit un vide, et afficher une connivence avec des amis semble donner l’écho d’une vie riche et entourée.» — © Hero Images

«Tague quelqu’un qui est tout le temps en retard!», «tague un(e) ami(e) qui adore la neige», «tague une copine et elle devra t’emmener en vacances», etc., etc. Sur nos fils d’actualité Facebook, ce genre de contenus fait florès. Taguer, de l’anglais «to tag», c’est «marquer» ou, sur le réseau social, «identifier» un ami sous un GIF (à mi-chemin entre une image et une courte vidéo), une vidéo, une photo ou encore un article pour qu’il le voie ou le lise. Et, surtout, pour qu’il réponde.

«Un message privé peut être ignoré. Le tag est sous les yeux d’une communauté», analyse Olivier Glassey, sociologue spécialiste du numérique à l’Université de Lausanne. «L’idée est donc de susciter une réaction, qui sera aussi publique, par l’interpellation.»

Un contenu peu important

Et quand on tague, ce n’est pas toujours le contenu partagé qui est important: «C’est vraiment un gag entre amis, on ne se tague pas souvent sur des contenus intéressants», raconte Alix*, 21 ans, étudiante en médecine à Genève. «Ce n’est ni méchant ni instructif, ça équivaut à un coup de coude amusé après une blague.»

Le contenu a peu de poids, mais identifier ses amis répond à d’autres impératifs: «Ces tags témoignent d’un besoin d’exposition et de reconnaissance», estime la psychologue genevoise Myriam Aïssaoui. «A l’ère de l’individualisme, c’est une façon superficielle de lutter contre l’isolement en développant un sentiment d’appartenance. Taguer et être tagué remplit un vide, et afficher une connivence avec des amis semble donner l’écho d’une vie riche et entourée.»

Car exhiber son message aux yeux de tous séduit, plutôt que de contacter uniquement la personne concernée: «Si je vois une image d’une belle plage, je pourrais taguer une amie avec qui je pars cet été, pour qu’on sache qu’on a des projets cools, raconte Alix. On s’expose à tous, mais on le sait.» Pour la jeune fille, le tag a aussi un autre avantage: «Facebook a tout fait pour que le tag soit littéralement effectué en un clic. Pour envoyer un message privé, il y a plus d’étapes.»

Le tag comme addiction

Taguer serait-il devenu addictif? Absolument, selon Myriam Aïssaoui, qui rappelle la définition de l’addiction: «C’est trouver à un besoin irrépressible une réponse qui suscite un sentiment agréable. Les tags apportent une gratification immédiate qui provoque une décharge de dopamine. On a envie de recréer cette sensation encore et encore.» Pour Alix, taguer et être taguée est «un peu addictif»: «Je tague mes amis environ deux fois par jour. Et quand je suis identifiée, je suis contente: on a pensé à moi.»

Mais cela peut aussi constituer une source de stress: le tag ne s’avère pas toujours bienveillant, comme le mentionne Olivier Glassey. «Recevoir une notification, c’est aussi ressentir un frémissement: on ne sait pas si on est mentionné de manière positive ou négative.» Il poursuit: «Un tag peut changer notre vision de nous-même et celle des autres, si on nous mentionne publiquement comme paresseux, par exemple.» Pour Myriam Aïssaoui, le dévoilement à répétition d’une intimité non souhaitée peut conduire à l’exclusion ou à la dépression. Alix n’a vécu qu’une seule mauvaise expérience: «J’ai récemment supprimé une identification qui faisait référence à des soirées alcoolisées.»

Etre tagué, c’est avoir une identité

«Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi!» avait dit le journaliste français Léon Zitrone bien avant l’apparition des réseaux sociaux. Dans cette même idée, pour Olivier Glassey, même une attaque via un tag peut sembler positive. «Sur les réseaux, on cherche à se distinguer. On se satisfait parfois des critiques parce que ça veut dire qu’au moins, on a une identité affirmée.»

* Prénom d’emprunt.