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Thérapies de conversion, «système de culpabilisation»

Alors que le parlement fédéral s’apprête à débattre d’une interdiction des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle, André Varidel livre son témoignage sur les séances qu’il a dû subir et le prix à payer pour son coming out

André Varidel, qui a subi une thérapie de conversion, pose devant sa maison à Aproz en Valais, ce mardi 16 novembre 2022. — © Gabriel Monnet pour Le Temps
André Varidel, qui a subi une thérapie de conversion, pose devant sa maison à Aproz en Valais, ce mardi 16 novembre 2022. — © Gabriel Monnet pour Le Temps

L’histoire médicale du XIXe siècle est jalonnée des tentatives, aussi vaines que violentes, de modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des individus. Electrochocs, castrations, stérilisations. Et même implantation de testicules d’hommes hétérosexuels dans le corps d’homosexuels, afin de les «réorienter». Ces actes ont peu à peu été abandonnés et interdits.

Mais d’autres pratiques visant à «convertir» à l’hétérosexualité subsistent, souvent dans des contextes religieux. Elles prennent la forme de groupes de parole, ou de séances de prières, dans lesquels se mêlent méthodes de coaching, rituels et théories d’inspiration psychanalytiques assimilant l’homosexualité à une maladie. En Suisse, elles perdurent avant tout dans des cercles évangéliques.

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Débat en vue à Berne

C’est ce qui ressort d’une revue de littérature réalisée par Yv Nay, de la Haute Ecole des sciences appliquées de Zurich (ZHAW), pour le compte de Pink Cross. L’association faîtière suisse des hommes gays et bis co-organise ce jeudi, avec l’Antenne LGBTI Genève et le bureau cantonal de l’Église protestante de Genève pour les questions LGBTIQ+, une table ronde sur le sujet des «thérapies» de conversion*.

Objectif: dresser un état des lieux en Suisse romande et au niveau fédéral, des initiatives pour interdire les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Condamnées par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et l’OMS, ainsi que par de nombreuses associations professionnelles des domaines de la santé et de la psychologie, elles sont interdites en France, en Allemagne ou encore en Grèce.

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En Suisse, le Conseil national s’emparera du sujet le 5 décembre prochain, suite à l’acceptation en août dernier d’une motion par la Commission des affaires juridiques de la Chambre basse, visant à interdire les tentatives de conversion de mineurs et de jeunes adultes. Des lois dans la même veine sont à l’étude dans les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, du Jura et du Valais.

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«C’est facile de fabriquer des volontaires quand on leur promet l’enfer»

André Varidel a subi une thérapie de conversion en 2009. Il observe les velléités de légiférer avec attention, sans se faire d’illusion: «C’est nécessaire, car une loi permet d’affirmer que ces pratiques ne sont pas tolérées. Mais elle ne changera pas le système de croyance qui voit l’homosexualité comme une menace pour le modèle familial traditionnel.»

André Varidel a grandi dans une communauté religieuse rigoriste évangélique, en Suisse romande. «J’ai été élevé avec la conception d’un Dieu qui nous surveille et nous punit», raconte-t-il de sa voix douce et posée, dans l’appartement qu’il partage aujourd’hui avec son compagnon depuis dix ans, en Valais. Tous deux songent aujourd’hui à une autre conversion: celle de leur partenariat enregistré en mariage.

Vers l’âge de 40 ans, après des décennies de déni, il connaît sa première passion amoureuse, avec un jeune homme. Son épouse découvre la relation extraconjugale. «En bonne évangélique, elle a réagi avec bienveillance et m’a vivement encouragé à suivre une thérapie de conversion.» Mais cela ne s’appelle pas ainsi. Une personne de leur communauté, mise dans la confidence, l’oriente vers l’organisation chrétienne Torrents de vie, qui propose alors un «groupe pour la restauration de l’identité relationnelle et/ou sexuelle» à Neuchâtel.

Avant de commencer, il doit signer un engagement précisant que le suivi du programme se fait sur une base volontaire et que les participants doivent respecter une stricte confidentialité sur les échanges au sein des séances.

Avec le recul, André Varidel voit cela comme une forme d’abus de pouvoir. «Le choix individuel: c’est la principale ligne de défense des organisateurs. Mais c’est facile de fabriquer des volontaires quand on leur promet un enfer sur terre s’ils cèdent à leur homosexualité. Nous sommes tous conscients, dans la communauté, qu’un coming out conduit au bannissement. J’avais une famille, mes enfants n’étaient pas encore sortis de leur coquille et j’éprouvais de l’amour pour ma femme. J’avais beaucoup à perdre.»

Durant plusieurs mois, chaque semaine, il participe aux séances avec environ une quarantaine de personnes. D’abord un moment de chants, suivi d’échanges en petits groupes, encadrés par deux coachs. «Le ton était bon enfant, à première vue. Mais nous étions en permanence appelés à discerner ce qui ne fonctionnait pas en nous et à suivre ce qu’ils appellent le «plan de Dieu», qui exclut l’homosexualité.»

Les messages divulgués au fil des semaines construisent peu à peu un «système de culpabilisation», raconte André Varidel: «On nous dit que l’attirance pour des personnes de même sexe est une réalité avec laquelle il faut vivre. Mais qu’il est possible de mettre en place des stratégies d’évitement, pour ne plus retomber dans cette vie inadéquate, de péché. Il est question de guérison, de trouver une saine hétérosexualité, ou encore de restaurer le vrai masculin ou le vrai féminin, ce qui sous-entend que l’homosexualité est pathologique.»

Lire finalement l’opinion: Thérapies de conversion: l’inaction qui fait honte

«J’ai été évacué»

Loin du mieux-être promis, au fil des mois, André Varidel s’enfonce dans une dépression. A la fin de l’année, il annonce à son épouse qu’il ne veut plus continuer de vivre ainsi. Peu après, il fera part de son homosexualité à ses enfants, ainsi que de la décision du couple de se séparer. Puis il l’annonce à sa paroisse. Ce qu’il redoutait se produit: «La seule réponse que j’ai reçue a été le silence. J’ai été évacué.»

Il traverse alors une période difficile, avec le rejet de ses trois enfants. Ils renoueront avec lui, chacun à leur tour. Le plus jeune, il y a seulement deux ans. Aujourd’hui, André Varidel ne revoit ses parents qu’à l’occasion de mariages et d’enterrements. «Même devant mes frères et sœurs, ils n’ont jamais prononcé le nom de mon partenaire.»

Depuis, l’association Torrents de vie n’a officiellement plus d’activité en Suisse. Mais, régulièrement, de nouveaux témoignages mettent au jour des pratiques, d’autres organisations, qui s’assimilent à des mesures de conversion. Elles ne se présentent pas ainsi et se déroulent sous des formes souvent souterraines, via des relations pastorales bilatérales par exemple.

André Varidel a rompu avec une paroisse, mais pas avec la religion. Il a créé en 2016 le groupe Chrétien·nes et homosexuel·le·s Vaud (C+H Vaud). «J’ai la foi chevillée à l’ossature. J’ai évolué grâce à des théologiens libéraux qui m’ont appris à poser un nouveau regard sur les textes.» Il est l’une des rares personnes à raconter son expérience ouvertement. «J’ai payé mon coming out assez cher. Je ne veux plus que cela reste caché.»

*De 18h30 à 20h30, Salle Trocmé, Rue du Jura 2, Genève et en ligne. Ouverture des portes à 18h