Lire également: Pour un art de l'écologie
Espèces choisies
Les toiles dont Tomás Saraceno parle ne sont pas celles de la peinture. Les siennes sont tissées par des araignées, petites ouvrières patientes et talentueuses qu’il chouchoute dans son atelier de Berlin.
L’année dernière, elles avaient pris d’assaut le Palais de Tokyo, à Paris. A Milan, leurs structures étranges en forme d’aéronef ou d’architecture complexe se déployaient dans un espace plus restreint, tandis que sur le plafond en demi-sphère le projecteur du planétarium simulait le ciel étoilé au-dessus de la cité lombarde. Cette trajectoire des fils de l’univers aux fils de soie accentuant la magie irréelle du moment. «C’est merveilleux de voir comment la vie se connecte à l’intérieur de ce bâtiment. Quand je suis arrivé, il y avait déjà des araignées qui étaient ici chez elles. Certaines sont venues coloniser les toiles des animaux que j’avais amenés avec moi», reprend l’artiste devenu expert ès arachnides au point d’utiliser des familles d’insectes bien précises pour éviter de lâcher dans la nature des espèces invasives. «Le temps qu’elles prennent pour tisser une toile dépend de leur niveau de sociabilisation, car plusieurs araignées peuvent collaborer sur un même ouvrage. Cela peut prendre entre quatre heures et une semaine. Cette capacité qu’ont différentes araignées à travailler ensemble me fascine. Pour moi, ce mystère écologique représente une forme de beauté.»
Métaphore du lien
Et aussi forcément un moyen de tisser la métaphore du lien qu’entretiennent les humains entre eux. «La toile représente l’altérité et le temps que l’on offre aux autres. Les araignées se repèrent dans l’espace uniquement grâce aux vibrations. Elles ne voient rien et pourtant elles œuvrent ensemble. Parce qu’elles le doivent, parce que c’est la condition de leur survie. Il faut les observer, écouter ce qu’elles ont à nous dire. Pour moi, c’est aussi une manière de lancer un appel d’urgence au sujet de l’extinction massive des invertébrés, qui représentent 90% des animaux vivants sur la terre. Et de nous rendre attentifs au fait qu’il est important de les protéger de la race humaine», continue Tomás Saraceno, que certains définissent comme un artiste environnemental. «Aujourd’hui, on range tout dans des catégories. Mais si on considère l’échec de l’art et de toutes les disciplines à se mobiliser par rapport au réchauffement climatique en restant incapables d’admettre les comportements néfastes de certains êtres humains, alors oui, dans ce cas, je suis un artiste environnemental.»
C’est aussi ce que pense Olafur Eliasson, artiste danois lui aussi installé à Berlin, lui aussi patron d’un atelier entouré de scientifiques et dont l’œuvre tente d’éveiller les consciences face à cette catastrophe écologique programmée. «On se voit très souvent, on discute beaucoup et on partage des idées sur ce que devrait être l’art et comment en repousser les limites. Pour autant, je n’utilise pas mes toiles pour critiquer le monde dans lequel on vit, mais pour, petit à petit, trouver un moyen de mieux travailler ensemble. Tout le monde peut le faire, tout le monde doit le faire, car l’enjeu est trop important. L’humanité a beaucoup trop à perdre.»
A lire aussi: chez Lang/Baumann, un cocon propice à la création