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Sur les traces de Barack Obama

Les années que «Barry» a vécues à Hawaii ont façonné sa personnalité. Pour découvrir une facette méconnue du premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, «Le Temps» y a rencontré ceux qui l’ont connu jeune

«Barry» Obama – seul Noir de l’équipe – profitait de chaque pause, au collège de Punahou, pour jouer au basketball sur le terrain du campus. — © DR
«Barry» Obama – seul Noir de l’équipe – profitait de chaque pause, au collège de Punahou, pour jouer au basketball sur le terrain du campus. — © DR

A Makiki, au cœur d’Honolulu, quelques locatifs et de petits pavillons. Les bâtisses sont modestes. Dans les rues calmes qui s’étendent jusqu’au pied de la colline Tantalus, l’Asie se décline sur tous les tons. C’est dans ce quartier multiethnique que Barack Obama a vécu les six premières années de son existence avant de partir pour quatre ans en Indonésie. C’est aussi là qu’il a vécu, en grande partie avec ses grands-parents maternels, de 1971 à 1979. Son école, Punahou, un établissement privé prestigieux fondé en 1841 par des missionnaires, était à un jet de pierre. Le campus trône à l’angle de la Punahou Street et de la ­Wilder Avenue.

Pour Barack Obama, parler de son lieu de naissance n’est pas toujours allé de soi. Lors de la convention démocrate de Denver, où il fut investi pour l’élection présidentielle de 2008, il n’avait pas fait une seule mention d’Hawaii. A Washington, le 50e et plus jeune Etat de l’Union reste avant tout perçu comme un lieu de vacances. Dans leur livre The Dream begins, les journalistes Stu Glauberman et Jerry Burris l’évoquent: l’adversaire républicain de 2008, John McCain, ne s’était pas privé de dépeindre son adversaire démocrate comme un candidat élitiste qui passe son temps libre «sur une plage privée d’Hawaii». Même l’équipe de campagne d’Hillary Clinton, la rivale de Barack Oba­ma lors des primaires démocrates, avait jugé bon d’aller puiser dans les origines hawaiiennes du candidat noir pour en souligner les lacunes. Dans une note, le stratège en chef Mark Penn relève que la jeunesse de Barack Obama en Indonésie et à Hawaii «met en lumière une très grande faiblesse. Son ancrage dans la culture et les valeurs américaines de base est pour le moins limité. Je ne peux pas imaginer les Américains élire un président en période de guerre qui n’est pas fondamentalement américain dans son mode de penser et ses valeurs.»

De fait, plonger dans la réalité d’Hawaii ouvre une fenêtre inédite sur la personnalité de celui qui s’est décrit lui-même comme le premier président «Pacifique» des Etats-Unis. La First Lady, Michelle Obama, n’en a jamais fait mystère: «On ne peut pas réellement comprendre Barack sans au préalable comprendre Hawaii.» Contacté par téléphone quelques heures avant de célébrer la Fête nationale du 4 juillet avec son frère à la Maison-Blanche, Maya Soetoro-Ng, qui partage avec Barack Obama la même mère, Stanley Ann Dunham, se confie au Temps. Elle se souvient encore avec acuité du temps qu’elle passait avec son frère sur la plage, au soleil couchant, ou en balade sur le cratère de Diamond Head. Elle se rappelle aussi les pique-niques dans le parc Pu’u’Ualaka’a, sur la colline Tantalus, qui domine Honolulu. «Je ne suis pas étonnée que mon frère se sente concerné par le changement climatique. C’est à Hawaii qu’il a développé sa sensibilité pour l’environnement, une connexion particulière à la nature. Avec notre mère, nous participions à des opérations de nettoyage des rivières.»

Maya Soetoro-Ng, professeure assistante à l’Université d’Hawaii, mesure l’impact des années que son frère a passées à Hawaii: «Barack voit les Etats-Unis comme un pays appelé à se réinventer en permanence. Il décrit sa fonction comme celle d’un agent du changement. C’est une vision très hawaiienne du monde. Sa manière d’embrasser la complexité de la société multiculturelle et d’appeler les gens à mettre de côté leurs différences pour coopérer est ancrée dans ses racines hawaiiennes.» Ces mêmes racines «se reflètent dans la philosophie politique et personnelle de Barack Obama. Les jeunes années inculquent des valeurs qui ­restent, confie au Temps Neil Abercrombie, gouverneur de l’Etat d’Hawaii, qui a bien connu, à l’université, le père du président, un «être extraordinairement ­intelligent».

En deux décennies, à l’exception de 2007, Maya Soetoro-Ng a passé chaque Noël avec Barack Obama à Hawaii, où elle vit. Quand on lui fait remarquer que le président est souvent critiqué parce qu’il est froid et qu’il ne fréquente pas le Tout-Washington, elle monte aux barricades pour prouver le contraire: «Pour les gens d’Hawaii, bien qu’il ne soit pas de leur sang, il fait partie de la famille élargie, l’ohana.» Entre Chicago, et Hawaii, qu’est-ce qui l’a le plus influencé? «Chicago, poursuit Maya Soetoro-Ng, est la ville où il est devenu un politique, un organisateur communautaire, un activiste. Hawaii, c’est une histoire d’amour, d’affection et d’amitié.»

En plein mois de juillet, le campus de l’école de Punahou reste très animé, même si ses 3750 étudiants réguliers sont en vacances. C’est ici qu’étudièrent l’ancien patron d’AOL Steve Case et le cofondateur d’eBay Pierre Omidyar. En 1896, 26 des 120 étudiants de Punahou étaient Chinois. Parmi eux, un certain Sun Yat Sen. Le père de la Chine moderne n’oublia jamais les quatre années passées sur l’île en tant qu’adolescent: «J’ai été en partie élevé et éduqué ici, et c’est ici que j’ai découvert ce qu’était et ce que signifiait un gouvernement moderne civilisé.»

Petit-fils d’immigrés japonais, Eric Kusunoki, 64 ans, fut l’un des professeurs de Barack Obama à Punahou. Quand on lui parle de son ancien élève, il a les yeux qui brillent. «Vous observerez, dit-il, que l’école n’exhibe aucune photo de Barack Obama.» La fierté de l’enseignant est bien perceptible, mais elle est silencieuse. Les souvenirs se bousculent. L’enseignant commence par le terrain de basket de l’école: «Barry profitait de la moindre pause pour y jouer.» Et puis en 2005, Barack Obama, sénateur de l’Illinois, était venu parler dans la chapelle de Punahou. Les étudiants, se remémore Eric Kusunoki, lui avaient demandé pourquoi il avait embrassé la carrière d’organisateur communautaire et non d’avocat dans une grande étude après son diplôme de droit. Il avait répondu qu’il sentait le besoin de redonner à la société ce qu’il avait reçu, son éducation à Punahou, à Columbia et à Harvard.

«Barry, qui a voulu reprendre le sobriquet de son père à la place de Barack, était plutôt discret en classe, poursuit le professeur. Il écoutait beaucoup parler les autres. Puis il faisait un commentaire qui impressionnait tout le monde.» Eric Kusunoki, qui avait invité des étudiants dont Barry dans son appartement en fin d’année scolaire, a appris la victoire de Barack Obama le 4 novembre 2008 alors qu’il était dans son jardin de Kaimuki, à Honolulu. Entendant une grande clameur, il a compris que son ancien élève avait été élu à la présidence des Etats-Unis. «La nuit suivante, avoue le professeur, je n’ai pas pu dormir.»

Puis la tentation fut trop grande. Eric Kusunoki ne put s’empêcher d’aller visiter en touriste la Maison-Blanche. Il avait obtenu des billets grâce à une élue du Congrès. Le 3 juin 2010, il était dans la file d’attente avec son épouse et sa fille avant qu’un employé ne leur demande de le suivre. Le professeur, humble, hésite à raconter la suite, ne souhaitant pas donner l’impression qu’il tire profit de la notoriété de son ex-élève. Il n’a jusqu’ici jamais raconté cette histoire aux médias. Il se résout à poursuivre. Après avoir traversé les contrôles de sécurité, la Red Room et la Roseraie, fait connaissance de Bo, le chien présidentiel, les Kusunoki sont emmenés au Bureau ovale. «Imaginez la scène. J’étais en short et en baskets. Quand Barack Obama est apparu, je ne savais pas si je devais l’appeler Barry. Je lui ai dit Monsieur le président. D’emblée, il a demandé: «Comment va tout le monde à la maison à Hawaii?» Le professeur de Punahou n’en revient pas. Barry ne l’avait pas oublié et lui avait consacré un quart d’heure à la Maison-Blanche alors que la marée noire de BP dans le golfe du Mexique l’accaparait. «Personnellement, je suis comme Barry. Je ne cherche pas de reconnaissance. Mais, quand elle vient, c’est un bonheur que j’aimerais partager avec tous les enseignants du monde.»

Barack Obama a vécu à Honolulu sur la côte ouest de l’île d’Oahu. Mais son lieu de vacances est désormais du «côté du vent», à l’est. C’est là qu’il mange, au bar Snow Island, sa shave ice, de la glace concassée arrosée d’un sirop. Les plages y sont moins bondées, l’endroit est moins frénétique que le très populaire Waikiki. La baie de Kailua est un endroit magique. Mangeant de l’ahi, une sorte de tartare de thon local, assis à une table du Buzz’s Original Steak House, que Barack Obama a fréquenté en décembre 2012 sans trop se soucier de la sécurité, Ian Mattoch est catégorique: «Barry est un homme de Kailua. Il adore l’eau. Malgré les impératifs de sécurité, il est très accessible.»

Cet avocat de 70 ans fut le premier à initier Barack Obama au droit dans un cours qu’il dispensa à Punahou. «Mais il fut un «under­achiever», estime-t-il. Ses performances scolaires n’étaient pas à la hauteur de ses capacités.» Une fois à l’université, son talent parlera.

A quelques centaines de mètres de là, Bernice Bowers, 52 ans, reçoit dans le jardin de sa villa, à deux pas du Pacifique. Elle a aussi un destin lié au locataire de la Maison-Blanche, dont elle fut une camarade de classe à Punahou. Diplômée de Princeton et de Harvard, cette ancienne cadre chez Motorola et Toyota est très impliquée dans l’éducation et le développement. Elle se souvient d’un jeune homme très aimable, plein d’humour, capable d’interagir avec toutes les cliques de l’école. «Il mettait toujours les gens à l’aise en faisant de l’humour. Il n’essayait pas de prouver qu’il était très intelligent. Dans un poème qu’il avait écrit, il s’était mis dans la peau d’un vieil homme qui marchait, courbé, sur un trottoir. Celui-ci, par dignité, s’était relevé à la vue d’un enfant. C’était un texte d’une incroyable maturité.»

Bernice Bowers voit l’influence d’Hawaii non seulement sur la personne du président, mais aussi sur sa politique. «Prenez la réforme de la santé qu’il a menée. Elle traduit le même souci qu’ont les habitants d’Hawaii de s’occuper des personnes âgées. Elle reflète aussi le sentiment qui a animé Barry quand sa mère a dû se battre contre les assurances maladie jusqu’au bout, malgré un cancer.» Le président l’a-t-il déçue? La réplique de Bernice Bowers est diplomatique. «J’espère qu’il pourra combler le fossé entre démocrates et républicains.» C’était aussi l’espoir du président si bien exprimé à la convention démocrate de Boston en 2004. Mais, sous sa présidence, le fossé partisan s’est au contraire creusé.

Américaine avec des racines japonaises, Bernice Bowers est une hapa (métisse). Elle confesse avoir été surprise à la lecture du livre de Barack Obama Dreams of my Father. Ce dernier y évoque les difficultés d’être un Noir à Hawaii. Or il était lui-même un hapa. «Mais il fut traité comme un Afro-Américain, fait remarquer Bernice Bowers, même si à Hawaii c’est un facteur d’intégration de dire qu’on est métisse.» Elle se souvient d’une soirée de parents à laquelle participa Stanley Ann Dunham et d’un étudiant qui, choqué, cria dans les couloirs qu’elle était haole, blanche. L’incident était révélateur. Dans son livre, Barack Obama l’avoue: il a choisi une identité afro-américaine et il n’entendait pas «faire de la publicité pour la race de (sa) mère». Il ne cherchait pas à s’attirer les bonnes grâces des Blancs. Ses camarades de classe n’ont jamais perçu, derrière le visage souriant de Barry, la crise identitaire qu’il traversait. Ironiquement, rappellent Stu Glauberman et Jerry Burris, c’est Stanley Ann Dunham qui encouragea son fils dans cette voie, promouvant la culture de son père kényan et les discours de Martin Luther King, qu’elle admirait: «Elle instilla consciemment ou inconsciemment en Barry la fierté d’être Noir.» Barack Obama fut aussi interpellé par les mots de Malcolm X, qui avait décrit comment il souhaitait expurger le sang blanc qui coulait dans ses veines, celui de son grand-père maternel, un Anglais. Ce tourment intérieur, accentué par le fait que son père l’avait abandonné après moins d’un an et que sa mère avait confié une grande partie de son éducation aux grands-parents Dun­ham, le poussa même à essayer des drogues (marijuana et cocaïne), une étape que Barack Oba­ma qualifiera de grave erreur dans son parcours de vie.

«Chicago est la ville où il est devenu un activiste. Hawaii, c’est une histoire d’amour, d’affection et d’amitié»