Lecture
Des réflexions ont récemment été lancées pour venir en aide aux personnes souffrant d’un trouble spécifique de la lecture. De nombreux outils ont vu le jour, dont des polices de caractères adaptées. Une petite révolution

Donner accès à la lecture aux enfants dyslexiques en modifiant une typographie: l'enjeu est crucial et les autorités l'ont bien compris. Ce trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture est en effet observé chez environ 10% des enfants scolarisés en Suisse, ayant une intelligence normale et ne souffrant d’aucun déficit sensoriel. Pour leur venir en aide, la cheffe de l’éducation vaudoise, Cesla Amarelle, présentait début mars un nouveau concept cantonal pour la rentrée prochaine. Parallèlement, à Genève, est entrée en vigueur en septembre dernier une directive sur les aménagements et soutiens scolaires pour les élèves en grande difficulté d’apprentissage, qui préconise, entre autres, des mesures liées à la présentation des documents par une mise en page et une typographie adaptées.
Car la police de caractères peut faire la différence. C’est ce dont s’est rendu compte Elvio Fisler, enseignant spécialisé, dès 1989. Ses élèves ne parvenaient pas à déchiffrer les questions du nouveau jeu qu’il venait d’installer sur l’ordinateur de la classe. «La police de caractères était inadaptée pour ceux qui avaient des difficultés à lire. J’ai donc trouvé une combine pour entrer dans le logiciel et la modifier. Cela a fonctionné. Des proches et des enseignants m’ont ensuite demandé de les aider, quelque chose avait démarré», raconte le passionné d’informatique.
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En 2007, le Service de l’enseignement spécialisé a fait appel à ses services pour mettre en place l’actuelle cellule cantonale de coordination en informatique pédagogique spécialisée (cellCIPS). Un centre de compétences qui forme et accompagne les professeurs et dont il est aujourd’hui responsable. En proposant une police de caractères accessible au plus grand nombre, Elvio Fisler avait fait sauter un obstacle majeur pour les personnes touchées par ce que l’on nomme désormais la dyslexie.
Deux nouvelles polices de caractères
Les dyslexiques ont souvent l’impression que les lignes bougent, que les lettres se chevauchent, que le texte est flou. Au début des années 2000, une approche phonologique s’est imposée pour remédier à une faible capacité à analyser des sons, épeler ou écrire. Dans ce contexte, le choix de la typographie n’était pas un enjeu pour les professionnels, observait l’orthophoniste Virginie Klein dans son mémoire sur le sujet en 2010. Peu d’attention était prêtée à la police de caractères des manuels scolaires, des albums de jeunesse ou des jeux destinés au grand public.
Dès le premier âge, le professeur pourrait proposer différents visuels à ses élèves pour leur permettre de s’autoanalyser, de savoir ce qui leur est le plus profitable, afin de mettre en place des stratégies adaptées à leurs besoins spécifiques tout au long de leur parcours
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Maisons d’édition, librairies et institutions proposent une sélection d’ouvrages dans des typographies adaptées. L’an dernier, Amanda Oriol, blogueuse sur le site du Temps, a publié son livre, Confession d’une dyslexique, dans une police de caractères également lisible par les personnes souffrant de son trouble.
Depuis 2011, deux polices spécifiques ont été développées par des graphistes: Dyslexie© et OpenDyslexic. Elles fonctionnent sur des principes similaires: supprimer les empattements (trait horizontal placé à l’extrémité d’une lettre – serif en anglais), aérer, allonger et espacer les caractères afin d’éviter toute confusion entre eux et mettre du gras dans le bas des lettres afin de les ancrer dans le texte.
Another Dyslexia Typeface built from Feedback http://t.co/0JZzKub45D pic.twitter.com/Tm1F4bLElR
— OpenDyslexic (@OpenDyslexic) May 30, 2015
«A l’époque, la plupart des polices de caractères étaient réservées aux éditeurs, se souvient Abelardo Gonzalez, qui a créé OpenDyslexic sur son temps libre. Je voulais faire quelque chose que ma femme et moi puissions utiliser, et qui puisse éventuellement être partagé avec d’autres.» Des e-mails ont confirmé que sa police était efficace et l’ont encouragé à s’y consacrer davantage. Dès le départ, l’Américain a choisi de diffuser sa typographie librement, «pour vérifier si et comment une telle police fonctionnait par la collecte d’un grand nombre des données empiriques» et aussi «pour permettre à des études d’être conduites à son sujet sans barrière de coût».
Fin 2016, une étude menée sur un groupe d’enfants dyslexiques, et publiée dans la revue spécialisée A.N.A.E, a comparé l’efficacité de Dyslexie© en taille 12 par rapport à Arial en taille 14. Les volontaires ont répondu avec davantage de justesse aux questions posées par écrit et lisaient avec davantage de fluidité par oral lorsque l’on utilisait la première.
S’autoanalyser dès le plus jeune âge
La conception de ces polices a coïncidé avec le développement d’une approche neurovisuelle. Il a en effet été observé que les personnes atteintes de dyslexie peuvent avoir une perception visuelle instable et manifester de la distractivité; souffrir de troubles visuels et de difficultés à contrôler leurs mouvements oculaires.
Jean-Jacques Tritten, ophtalmologue à La Chaux-de-Fonds, a vu sa sœur souffrir de dyslexie, puis son fils. Cela l’a motivé à conduire des recherches sur les aspects neurovisuels de ce trouble. A l’aide d’un eye tracker, il observe le mouvement des yeux des enfants lors de la lecture. Quand il décèle des irrégularités, il tente de trouver la meilleure manière d’y remédier par la rééducation ou de simples adaptations.
Le médecin se souvient d’une jeune fille venue le consulter parce qu’elle éprouvait une gêne et un épuisement à la lecture de textes sur une page blanche: «Elle souffrait du syndrome d’Irlen, qui touche environ 10% de la population. Nous avons cherché le filtre coloré qui lui convenait le mieux, jaune me semble-t-il, et ses mouvements oculaires se sont normalisés. C’était très impressionnant.»
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Chaque dyslexique aura des besoins spécifiques, préviennent les experts. «Il n’y a donc pas de potion magique. Il est préférable et bénéfique de chercher avec le dyslexique lui-même le subtil mélange qui lui convient et le met à l’aise dans la réalisation de sa tâche, recommande Elisabeth Weber-Pillonel, présidente de l’association Dyslexie suisse romande (aDsr). Une attitude attentionnée peut faire des miracles. Les dyslexiques sont très créatifs, travailleurs et persévérants parce que constamment amenés à devoir compenser leur trouble.»
Elvio Fisler conseille de s’inspirer de la pédagogie universelle, qui place l’inclusion de tous les élèves au cœur de la formation: «Dès le premier âge, le professeur pourrait proposer différents visuels à ses élèves pour leur permettre de s’autoanalyser, de savoir ce qui leur est le plus profitable, afin de mettre en place des stratégies adaptées à leurs besoins spécifiques tout au long de leur parcours.»
Dyslexie: quelle police utiliser? Quelle mise en page favoriser?
Il existe une quantité d’outils payants et gratuits pour remédier aux troubles de la lecture. Voici une liste non exhaustive d’outils proposés par les experts interrogés. Choisir ou télécharger une police de caractères comme OpenDyslexic, Comic Sans MS, Arial, Verdana, Century Gothic, Andika, Luxia; d’une taille d’au minimum 12, voire 14. L’interligne, l’espacement entre les mots, la couleur de la police et de la page peuvent également être adaptés. Le logiciel LireCouleur pour LibreOffice propose des outils de colorisation et de mise en forme. Les navigateurs web offrent un «mode lecture» à la fin de l’URL de chaque article pour faciliter leur déchiffrement par des changements de graphisme ou par des écoutes vocales. Préinstallé sur Firefox, il peut être installé sur Google Chrome via l’extension Mercury Reader.