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Un désert bientôt sans gazelles

L'UICN publie sa liste rouge des espèces menacées.

L'ours blanc. L'hippopotame. Et les gazelles du désert. Pour la première fois, ces mammifères emblématiques figurent sur la «liste rouge» des espèces menacées. Celle-ci a été communiquée hier par l'Union mondiale pour la nature (UICN). «La tendance est claire: la perte de la biodiversité s'accélère au lieu de ralentir», a déclaré Achim Steiner, directeur général de l'organisation internationale basée à Gland.

Sur les 40169 espèces évaluées, 16125 sont aujourd'hui menacées d'extinction. «Un amphibien sur trois, un oiseau sur huit et un mammifère sur quatre sont en péril», détaille Jean-Christophe Vié, coordinateur adjoint du programme pour les espèces. Reconnue au niveau mondial comme étant l'état des lieux le plus consciencieux de la biodiversité et présentant neuf catégories allant de Non évalué à Eteint (lire p. 2), cette liste doit aussi servir d'outil pour quantifier les objectifs que s'est fixés la communauté internationale: freiner drastiquement la perte de diversité biologique d'ici à 2010.

Pour la première fois aussi, un inventaire régional détaillé de certains groupes marins, comme les raies et les requins, y est inclus. Il en ressort que sur les 547 espèces inscrites, environ 20% sont menacées d'extinction. Selon l'UICN, cela confirme les craintes selon lesquelles ces espèces à croissance lente sont très sensibles à la surpêche. «Il est vital de prendre des mesures pour améliorer les pratiques de gestion et appliquer des mesures de conservation telles que des zones interdites à la pêche, des règlements sur le maillage des filets et des limites de captures internationales», avertit Craig Hilton-Taylor, de l'Unité liste rouge de l'UICN.

Dans les eaux douces aussi, le taux de déclin est conséquent. 56% des 252 espèces de poissons d'eau douce endémiques du bassin méditerranéen sont menacées. Et en Afrique de l'Est, les effets des activités humaines menacent un poisson sur quatre. Avec des conséquences sur le régime alimentaire des populations locales.

Sur la terre ferme, d'autres raisons expliquent pourquoi cette liste rouge s'allonge. Dans les régions arides par exemple, la chasse souvent non réglementée ainsi que la destruction des habitats mettent en péril la faune. C'est par exemple le cas de l'hippopotame pygmée (Hexaprotodon liberiensis), présent en Afrique de l'Ouest. «L'exploitation illicite du bois et l'incapacité d'assurer la protection dans certaines zones centrales l'ont poussé à se réfugier dans des fragments forestiers qui se réduisent comme peau de chagrin», détaille l'UICN. Par ailleurs, selon les scientifiques, les changements climatiques contribuent à amenuiser les calottes polaires, avec des conséquences néfastes directes sur la faune locale, dont le représentant le plus symbolique est peut-être l'ours polaire.

Des efforts payants

Quant à la biodiversité végétale, elle ne se porte pas mieux. Un seul exemple: la région méditerranéenne constitue l'un des 34 «points chauds de biodiversité» avec près de 25000 espèces de plantes dont 60% n'existent nulle part ailleurs. Les pressions de l'urbanisation, du tourisme de masse et de l'agriculture intensive poussent de plus en plus d'espèces vers l'extinction. Parmi celles-ci, la buglosse (Anchusa crispa) qui n'est plus répertoriée que sur 20 sites restreints.

Si la liste rouge 2006 contient 536 espèces de plus que la version datant de 2004, «c'est évidemment parce que l'effort de recherche se développe», admet Jean-Christophe Vié. D'aucuns, optimistes, voient même ce faible accroissement comme un signe plutôt positif. De plus, le nombre d'espèces s'étant éteintes n'a pas changé. «Cela ne veut de loin pas dire que la situation est favorable», rétorque le chercheur de l'UICN. Et d'insister: «Avec cette liste, c'est un signal d'alarme que nous lançons. Nous espérons qu'elle sera largement utilisée par les gouvernements ou les ONG de protection de l'environnement pour prendre des mesures.»

L'UICN cite d'ailleurs plusieurs cas dans lesquels des efforts ont été fructueux. Ainsi, en Asie du Sud-Est, le poisson-chat géant du Mékong (Papasula abbotti) disparaissait à cause des atteintes portées à son habitat et de la présence d'une espèce exotique envahissante. Classé En danger critique d'extinction en 2003, il bénéficie aujourd'hui d'une protection dans le cadre d'une coopération régionale en matière de gestion de la pêche, et voit ses effectifs augmenter. «Ces exemples sont la preuve que les mesures de conservation font la différence, conclut Achim Steiner. Mais il en faut beaucoup plus.»