Un enfant? Sans façon, merci!
Procréation
Chloé Chaudet appartient aux 5% de femmes qui ne souhaitent pas procréer. Dans un ouvrage vivant et documenté, elle montre l’omniprésence du modèle maternel dans la société

Chloé Chaudet est une universitaire de 35 ans qui vit en couple, mais ne veut pas d’enfant. D’accord, et alors? Alors, ce n’est pas si simple, raconte la spécialiste en littérature comparée dans J’ai décidé de ne pas être mère, sorti ce printemps aux Editions L’Iconoclaste.
En Allemagne où l'auteure a étudié, l’expression Rabenmutter (mère corbeau) désigne toute mère qui ne se consacre pas entièrement à sa progéniture. La formule est péjorative, donc condamnable, mais permet aux réfractaires d’échapper à l’injonction de procréation, puisqu’on les considère volontiers comme inaptes. A l’inverse, dans d’autres pays d’Europe, France en tête, ainsi qu’aux Etats-Unis. le «having it all» ou «droit de tout avoir» met une forte pression sur les parturientes potentielles.
De la famille à la société, en passant par les amies plus ou moins bien intentionnées – jamais un homme ne l’a jugée! –, l’auteure expose les mécanismes qui pèsent sur les 5% de femmes qui ne désirent pas enfanter et se retrouvent seules en cause, même si, en général, un enfant se fait à deux.
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Nullipare. Le terme est vilain. Chloé Chaudet lui préfère celui de «femme». «Je suis femme, écrit-elle, et non mère. Je ne suis pas nullipare.» Il y a quelques années, lorsqu’elle a réalisé que la maternité n’était pas son histoire, la maîtresse de conférences à l’Université Clermont-Auvergne ne savait pas comment riposter à la fameuse question: «L’enfant, c’est pour quand?» Elle hésitait, se troublait. Aujourd’hui, quand on lui demande si elle souhaite avoir un bébé, Chloé Chaudet répond posément: «Sans façon, merci.» C’est léger, un rien impertinent, sans agressivité.
Absentes du discours féministe
Elle se dit childfree, plus que childless. «Libre d’enfant», plus qu’«en manque d’enfant». En France, sur les 4 millions de femmes qui n’ont pas «fait fructifier leur capital génétique», 1 million d’entre elles partagent le choix de l’auteure. Pourtant, ces dernières sont les grandes absentes du discours féministe, regrette l’intéressée. «Les féministes post-#Me Too envisagent le corps et la sexualité, scrutent l’intimité et le quotidien, interrogent le consentement et l’omniprésence des violences faites aux femmes. Dans ce contexte qui s’y prêterait parfaitement, le refus d’enfanter demeure un sujet oublié.»
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Pareil dans les médias ou dans la sphère politique, qui traitent abondamment de l’infécondité lorsqu’elle est subie, – personne n’ignore les sigles PMA ou GPA –, rarement quand elle est choisie. Ce n’est pas un sujet. Pourtant, pour les concernées, c’est un immense sujet. Car, comme toute femme est une mère en puissance, les trentenaires sont sans cesse interpellées sur cette échéance. Au travail, dans la rue, dans les fêtes, au sport, etc. Ce n’est pas méchant, mais c’est lourd.
Surtout qu’après la question sur le désir d’enfant, viennent les interrogations liées à la non-maternité. «Tu ne vas pas le regretter?» «Tu n’as pas peur de finir seule?» «Ton compagnon est d’accord?» «Et tes parents, comment vivent-ils ça?» Même si cette enquête est menée avec bienveillance, elle pèse par sa fréquence et son insistance. Et parfois, l’investigation prend un tour nettement moins clément, se teintant d’envie et de jalousie (les jeunes mères épuisées) ou de condamnation morale (les anciens qui prônent la solidarité… pour leurs retraites).
La liste des bienfaits
Dès lors, sans être une activiste, ni une prosélyte de la non-maternité à l’image de certaines militantes écologistes, Chloé Chaudet a senti un tel «flux de plénitude heureuse et d’énergie sereine» en parvenant à assumer son choix qu’elle a souhaité partager ces bonnes ondes avec ses «semblables silencieuses».
D’où la liste des bienfaits qu’elle décline dans son livre. En tête, bien sûr, la liberté. Au-delà de ses responsabilités pédagogiques et administratives, la jeune femme chérit ses fugues improvisées pour une destination lointaine ou ses grasses matinées du week-end. La liberté, c’est aussi d’épargner à son ventre un assaut du corps médical qui se focalise sur le bébé en devenir et oublie souvent la femme derrière.
D’autres avantages encore? «Echapper aux cris des petits, aux maladies d’enfants, au mauvais goût de certains cadeaux, au poids des gènes, au burn-out du combo maternité et métier ultra-prenant, au déclin sexuel, à la stagnation professionnelle, à l’inquiétude permanente, au clash de l’adolescence, aux soucis d’éducation (école publique ou privée?), aux démons de la surorganisation et de la surgestion, à la monoculture thématique (les enfants, les enfants, les enfants) et, tout de même, à la hantise de mettre au monde quelqu’un qui vivra dans un enfer écologique.»
Les limites du modèle rayonnant
Chloé Chaudet pratique l’humour en guise de défense, car, comme la France est championne du monde en matière d’incitation à la procréation et a d’ailleurs le taux de fécondité le plus élevé d’Europe (1,88 enfant par femme contre 1,55 dans l’Union européenne), l’injonction à la maternité est omniprésente. Le modèle rayonnant? «Celui de la femme qui travaille et élève ses enfants.» Citée dans l’ouvrage, Fiona Schmidt, auteure de Lâchez-nous l’utérus! En finir avec la charge maternelle constate «la somme des préjugés intégrés dès l’enfance présentant la maternité désirée, radieuse et bienveillante comme la norme et la part non négociable de l’identité féminine».
Or, observe Chloé Chaudet, le modèle se craquelle à la lecture du compte Instagram bordel.de.meres où plusieurs milliers de femmes francophones confient la fatigue, les douleurs post-accouchement, la sexualité entamée, l’absence de plaisir à s’occuper de leurs enfants, le stress des fêtes et des vacances, le poids des impératifs éducatifs, les charges mentales et émotionnelles, etc. C’est que, en France comme en Suisse, trois quarts des tâches domestiques sont encore assurées par les femmes, alors, la maternité radieuse, on repassera…
Et les grands-parents?
Comment l’auteure vit-elle le fait de ne pas «donner de petits-enfants à ses parents», selon l’expression consacrée? Le sujet est sensible, car, contrairement à l’idée reçue, Chloé Chaudet a eu une enfance heureuse et, par moments, ressent une «tristesse diffuse» à la pensée de ne retrouver avec personne la relation qu’elle a pu développer avec ses parents. Mais ces derniers, exemplaires, n’ont jamais posé la fatidique question. Une chance, salue la jeune femme, qui, lorsqu’elle consulte les groupes Facebook fédérant les «non-parents-par choix», relève des dizaines de commentaires sur la pression exercée par la famille «à chaque fête de Noël, chaque mariage, chaque nouvelle naissance, chaque anniversaire». La plaie.
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Un autre aspect dont l’auteure tient à se démarquer est celui de la non-maternité comme levier de productivité. Même si, passionnée par son travail, elle accomplit de fait des heures supplémentaires et publie beaucoup, la jeune femme refuse «de remplacer l’injonction à se reproduire par l’injonction à produire». Dans le cadre universitaire, elle veille à ce que les jeunes mères qui se présentent à des postes d’enseignement aient les mêmes chances que leurs homologues masculins. En échange, elle suggère que ces jeunes mères banalisent le fait que plutôt que devenir polyparentale, elle-même préfère devenir polyglotte – elle parle déjà l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le portugais, et aimerait se mettre au russe et au chinois…
La solitude pour horizon
«D’accord, mais tu n’as pas peur de finir seule?» insistent ses amies. D’abord, procréer ne garantit pas de finir entourée, répond Chloé Chaudet en citant Simone de Beauvoir: «Les choses peuvent ne pas tourner comme on avait souhaité. Il arrive que le fils ne soit qu’un propre à rien, un voyou, un raté, un fruit sec, un ingrat.» Ensuite, poursuit la jeune femme, tout le monde semble oublier son compagnon qui, lui non plus, ne souhaite pas se prolonger.
Enfin, en cas de séparation, la jeune femme se voit très bien vieillir dans le style d’une professeur d’histoire de l’art qu'elle a connue en Allemagne et qui, veuve, s’est installée dans une colocation avec sa cousine et une amie de toujours, toutes sans enfants, curieuses et généreuses. «Dans quarante ans, je ne m’imagine pas en train de m’occuper de mes petits-enfants le week-end. Je me vois bien mieux dans un grand appartement rempli d’œuvres d’art, de livres et de plantes, en bonne compagnie, mais fondamentalement libre, bénévole dans une association d’aide alimentaire ou donnant des cours de langue à des réfugiés. Dans ce tableau lumineux, il n’y a pas d’enfants, ni de ventre rond.»