Jamais simple trait de plume n'aura mis sous protection des espaces aussi étendus. Mardi, le président sortant des Etats-Unis George Bush a reclassé, par décret, neuf zones marines du Pacifique placées sous juridiction américaine, pour les transformer en trois parcs nationaux d'une superficie totale de 505000 km2 (l'équivalent du territoire de l'Espagne ou de la France métropolitaine). Et quelles zones!

Ces territoires perdus et les eaux qui les entourent abritent une nature particulièrement riche et originale. Parmi leurs trésors figurent le plus gros crustacé du monde (le crabe géant des cocotiers), l'un des très rares oiseaux à utiliser la chaleur des volcans pour incuber ses œufs (le mégapode micronésien), la fosse océanique la plus profonde de la planète (celle des Mariannes, moins 10916mètres) et le seul cratère de soufre en ébullition sur Terre (un endroit si particulier que l'écosystème comparable le plus proche se trouverait sur Io, un satellite de Jupiter...).

Les trois parcs créés mardi - des «monuments nationaux», selon la nomenclature américaine - présentent des configurations très différentes. Le premier, le Monument national de la Fosse des Mariannes, comprend le nord-est des îles Mariannes, ainsi que le fond et les eaux profondes de la fosse du même nom. «La faune de ces abysses, qui a dû s'adapter à des conditions extrêmes, ouvre des perspectives fascinantes sur les formes que peut prendre la vie, y compris en dehors de notre planète», s'est enthousiasmé mardi le président du Conseil de la Maison-Blanche sur la qualité de l'environnement, James Connaughton.

Le second, le Monument national des Iles périphériques du Pacifique, est émietté autour de sept îles, atolls ou récifs dispersés entre les îles Hawaï (au nord) et l'Etat de Kiribati (au sud). Ces territoires minuscules, qui ont pour toute population quelques scientifiques et militaires de passage, sont décrits comme un paradis pour les oiseaux de mer et les oiseaux migrateurs.

Le troisième, le Monument national de l'Atoll rose, est centré sur un seul territoire, de toute petite taille également. Mais l'îlot, qui doit son nom à la couleur que lui donne une algue, rassemble une faune particulièrement riche, qui va de très gros poissons perroquets à des palourdes géantes, en passant par des baleines à bosse. Sans oublier une collection unique de coraux.

La reclassification de ces zones entraîne l'interdiction de la pêche industrielle et des activités minières, et limite les prises de poisson par les communautés autochtones, les scientifiques et les touristes. C'est moins que ce qu'avaient recommandé les défenseurs de l'environnement. Ainsi, les zones protégées s'étendront sur un rayon de 50miles (92kilomètres) autour des terres émergées et non de 200 comme espéré. Elles comprendront la fosse proprement dite des Mariannes (de ses bords au fond) mais pas les eaux situées au dessus. Et elles toléreront la présence réglementée de la marine américaine. Mais c'est déjà beaucoup. Surtout venant d'un président réputé peu sensible à l'environnement. Un président qui a encore favorisé en 2008 la reprise des forages pétroliers off shore dans le golfe du Mexique et au large de la Californie après plus de vingt ans de moratoire.

Le projet a d'ailleurs rencontré de vives réticences à Washington. A commencer par celles du vice-président Dick Cheney, qui s'est fait, sur ce dossier comme sur beaucoup d'autres, le porte-parole des milieux d'affaires ultralibéraux. George Bush, cependant, a résisté. A l'origine d'un premier parc national marin créé en 2006 à l'ouest des îles Hawaï, il a été de nouveau jusqu'au bout de son idée. Avec le soutien de sa femme, Laura, exceptionnellement active sur ce dossier.

Son geste est d'une grande portée. «La protection des océans a pris un énorme retard sur celle des continents, explique Carl Lundin, chef du programme marin de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Seul 1,2% de l'espace maritime est protégé contre 12% du domaine terrestre. Et encore se situe-t-il essentiellement à proximité des côtes. La création de parcs en haute mer est devenue aussi urgente qu'indispensable.»

Les Etats-Unis ne sont pas seuls à avoir sauté le pas. La France et l'Australie s'y sont également mises depuis quelques années. Il n'empêche que les zones protégées marines se développent encore très lentement. Beaucoup trop lentement pour que puisse être atteint le but fixé en 2002 par le Sommet mondial de Johannesburg sur le développement durable: soit leur extension à 20% de l'océan autour de 2010. Carl Lundin se veut optimiste. «Nous allons maintenant travailler à la création de parcs dans les eaux internationales, confie-t-il. Et là, le potentiel est immense. Ne recouvrent-elles pas 50% de la surface du globe?»