Un soir par semaine pour construire le temple idéal
Salons où l’on cause (7/8)
Liée de près à l’histoire vaudoise et suisse, la loge maçonnique Liberté, à Lausanne, regroupe aujourd’hui 75 membres en quête d’élévation

Les plus anciens? Les vénérables sociétés de lecture lémaniques. Le plus récent? Le café psycho proposé par un jeune couple en Gruyère. Chaque semaine de l'été, «Le Temps» présente un de ces salons romands, tous impatients de pouvoir de nouveau causer, débattre et réfléchir à propos de l’état de la Suisse et du monde.
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«On ne peut pas changer les autres, mais on peut se changer soi-même. C’est une voie exigeante avec des hauts et des bas.» Silvio Amstad-Wang, un maître de gymnase retraité, nous fait visiter la loge maçonnique lausannoise, dans laquelle il est entré à l’âge de 34 ans. Elle a pour nom Liberté et pour symbole le bonnet phrygien.
On ne sait pas encore très bien comment se passeront, à la rentrée, les séances du lundi soir. Dans le temple au ciel étoilé, sans fenêtres, le masque sera sans doute recommandé. Dans la salle humide, où l’on peut boire en tenant les séances ordinaires, il faudra revoir la disposition des sièges. Peut-être aussi limiter les échanges avec les autres loges, très soignés en temps normal.
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Rattachée à la Grande Loge Suisse Alpina, dont Silvio Amstad-Wang est grand secrétaire, la loge Liberté promet sur son site internet «une discussion sans tabou sur tous les problèmes de notre époque dans un esprit humaniste et positif». «Dans les questions abordées, nous cherchons un équilibre entre les sujets sociétaux, comme l’environnement ou le transhumanisme, pour lesquels nous invitons régulièrement des intervenants extérieurs, et les thèmes à proprement parler maçonniques», explique notre hôte.
Si la franc-maçonnerie se définit comme un lieu égalitaire d’élévation, ce sont la recherche symbolique et le rituel, faisant appel à l’émotion plus qu’à l’intellect, qui la distinguent. Les apprentis, voués au silence durant la première année, ont à dégrossir leur pierre brute au maillet et au ciseau, en vue de l’insérer dans la construction sans fin d’un temple idéal. Les maçons s’engagent à respecter le secret d’appartenance et celui des délibérations, mais leur troisième secret, le secret initiatique, touche à l’ineffable.
Les combats de l’Etat radical
La loge Liberté, fondée en 1871, a du pedigree. On trouve parmi ses premiers membres pas moins de deux conseillers fédéraux, Louis Ruchonnet (1881-1893) et Marc-Emile Ruchet (1900-1912). Les maçons d’alors construisent l’Etat radical. Dans les années 1930, la loge monte au front pour combattre l’initiative populaire d’un autre Vaudois, le militant fasciste Arthur Fonjallaz, qui veut interdire la franc-maçonnerie. Dans cette époque troublée, les Suisses se mobilisent pour défendre la liberté d’association: le 28 novembre 1937, l’initiative est rejetée par 68% du peuple et par tous les cantons sauf un, Fribourg.
Les 75 membres que compte aujourd’hui Liberté se réunissent dans un bâtiment propriété des loges lausannoises. Ils s’acquittent d’une cotisation annuelle de 480 francs, après en avoir versé 1300 francs à leur admission. C’est souvent par internet que les gens frappent à la porte du temple, explique Silvio Amstad-Wang. On leur demande de consacrer un soir par semaine à cette construction personnelle et collective.
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La loge Liberté, comme toute l’obédience Alpina, se réclame de la franc-maçonnerie régulière, par opposition à la libérale. Les femmes, donc, n’y sont pas admises. Le caractère intime de l’initiation est parfois avancé pour justifier cette exclusion, qui fait de la principale organisation maçonnique l’un des derniers bastions de non-mixité en Suisse.
Il existe tout de même des débouchés pour les femmes cherchant à s’élever, comme la Grande Loge Féminine de Suisse, qui réunit 400 sœurs au sein de 18 loges. «La liberté et la tolérance sont les idées qui m’ont attirée, explique sa grande maîtresse, Annie Ladame, ainsi que l’espoir de dépasser les barrières théologiques qui me gênaient dans la religion. Je n’ai jamais été déçue. A qui recommanderais-je cette expérience? A toute personne qui se pose des questions sur elle-même, sa vie et sa place dans l’univers. A chacun de trouver sa propre solution, librement, pour comprendre et avancer. Seuls les intégristes, je crois, ne pourraient pas le supporter.»
Pour en savoir plus:
«Guide suisse du franc-maçon», Groupe de recherche Alpina, Lausanne, 2017.