Lucas
«Je ne me rendais pas vraiment compte de ce qui se passait, car j’ai eu une éducation très libre, je pouvais par exemple m’habiller comme je voulais. Puis il y a eu la puberté et je n’ai plus eu la liberté d’avoir le corps que je souhaitais. J’ai compris à ce moment-là que ce ne serait pas possible.» Dans la bande dessinée, cela se traduit par un ado nageant – ou plutôt se noyant – dans une mer de seins. C’est la force du livre, de plonger le lecteur dans les états d’âme des personnages, qu’il s’agisse de Nathan ou de son entourage. Si tout sonne parfaitement juste, une grande part du récit est fictionnelle.
«J’ai questionné Lucas, j’ai discuté avec sa maman, mais je me suis également documentée, j’ai regardé des films, passé du temps sur les forums», note Catherine Castro, par ailleurs journaliste à Marie-Claire. «Il y a pas mal de projections, pour donner de la force au récit. Son frère et son père sont très effacés dans la vie, mais j’ai imaginé le premier se faire casser la figure à l’école et le deuxième vomir lorsqu’il réalise qu’il n’a plus de fille. Je voulais montrer l’impact qu’une telle histoire peut avoir sur une famille, même si, comme c’est le cas pour Lucas, elle est remplie d’amour.»
«Dans quoi je m’embarque?»
Pas de geste militant au départ pour Catherine Castro, qui a simplement été touchée par sa rencontre avec Lucas. «Je l’ai croisé pour la première fois alors qu’il était encore la fille d’un couple d’amis. J’ai été émue parce qu’il semblait à la fois un adolescent solaire et perdu. Il est rare de rencontrer des personnes à qui rien ne semble pouvoir résister. En même temps, il était aux prises avec l’existence. J’ai eu envie de savoir comment il allait évoluer.» Lucas, de son côté, a immédiatement accepté le projet, dans l’idée d’aider les autres. «Lorsque j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas, j’ai galéré pendant un an. J’ai cherché, j’ai pleuré… Cela a commencé quand je suis tombé amoureux de celle qui s’appelle Faustine dans le livre. J’ai tapé des mots-clés sur internet, cela m’a vite amené dans le monde lesbien et j’ai compris que ce n’était pas cela. Puis je suis tombé sur le film Tomboy et il y a eu un premier déclic. Ensuite sur «FtM» – «female to male» – et là j’ai compris. J’ai regardé des vidéos toute la nuit. J’étais à la fois content de savoir et je me disais «Oh la la, dans quoi je m’embarque?.»
Le nombre de courriers reçus depuis la publication du livre atteste qu’il répond à un besoin de la part des jeunes concernés. La BD, plus accessible qu’un roman ou un essai, peut-elle également contribuer à lutter contre les préjugés visant les personnes transgenres? «Je trouve que ça ne va pas si mal, on commence à en parler, il y a des films sur le sujet. Et pour ma part, je n’ai pas vécu beaucoup de transphobie», estime Lucas.
Lorsqu’il découvre le nœud du problème, l’ado informe ses parents, qui le poussent à rencontrer un pédopsychiatre. Les amis réagissent plutôt bien, les professeurs jouent le jeu du nouveau prénom. Lucas/Nathan démarre un traitement hormonal à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, le jeune homme a 18 ans et continue de recevoir une injection de testostérone tous les 21 jours. Sa barbe a poussé, sa voix a mué. Seule la question de l’ablation des ovaires et de la phalloplastie reste ouverte. «C’est encore lointain pour moi, je n’éprouve pas le besoin de changer pour l’instant et les partenaires que j’ai eues non plus», confie le garçon. C’est sur cette identité retrouvée que se termine Appelez-moi Nathan. Dans la légèreté d’un feu entre amis, Nathan évoque sa «chatte de mec» et sa «bite dans la tête» et une amie rétorque qu’il est un type en moins macho et donc «en moins con».
«Appelez-moi Nathan», Catherine Castro et Quentin Zuttion, Payot Graphic chez Payot & Rivages, 142 pages.