Une escapade dans les mayens: chacun cherche son chalet
Tourisme
Jamais encore les biens isolés de montagne n’ont été aussi prisés que ce printemps. Des plus rustiques aux plus luxueux, ils répondent à l’appel de nature et de sérénité

Nos vacances en Suisse
En cette période si particulière, Le Temps vous propose une série consacrée à la redécouverte des merveilles helvétiques. En voici le 2e épisode.
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Au bout d’une route sinueuse qui s’enfonce dans la nature sauvage du val d’Hérens, La Forclaz est l’un des derniers hameaux de la vallée, sous la vertigineuse Dent-Blanche. En contrebas du village, un grand pâturage accessible à pied est tacheté de six objets à louer à partir de deux nuits. Deux raccards, trois granges et deux greniers en bois de mélèze, anciennes constructions typiquement valaisannes constituées d’une zone de stockage en haut et d’une écurie en pierre sèche en bas.
Sous l’impulsion de l’architecte Olivier Cheseaux, à la tête du bureau Anako’architecture, ces vestiges du patrimoine sont désormais imprégnés d’une architecture contemporaine discrète et respectueuse. On y découvre de grands espaces de vie en béton sablé, inspiré par l’image des socles en pierre d’origine, des boiseries minimalistes en pin et sapin, des extensions souterraines quasi imperceptibles de l’extérieur intégrant une chambre à coucher et une salle de bains éclairée par un puits de lumière. Partout, du mobilier chiné en hommage à la montagne du passé: tables et chaises en formica, lampes à abat-jour en dentelle, vaisselle dépareillée en porcelaine, couvertures militaires.
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Inauguré en 2016, le hameau Anako Lodge est quasiment plein jusqu’à fin août pour la première fois de son histoire. «On fait face à une avalanche de réservations quasi ingérable depuis trois semaines, explique Olivier Cheseaux. Jusqu’à 14 demandes par jour au lieu d’une ou deux en temps normal. Je n’aurais jamais imaginé un tel succès. On sent une grande envie de reprendre une vie normale, de sortir du lieu de vie, même en semaine, sachant qu’une connexion internet haut débit facilite le télétravail depuis les mayens. L’attrait pour la montagne s’explique sans doute par ce nouveau regard que les confinés portent sur la nature. Elle est omniprésente autour des mayens. L’odeur des hautes herbes et fleurs des prairies, la rivière, la nuit noire tachetée d’étoiles. Il suffit d’ouvrir la porte pour s’y plonger.»
Même engouement du côté de Weekngo, agence de séjours alpins de charme, qui compte dans son carnet d’adresses une dizaine de biens individuels proposés à la location, notamment un raccard rénové à La Tzoumaz et un autre sur les hauteurs d’Aminona, juste à côté d’un bisse. «Les chalets se sont très vite remplis sur les mois de mai et juin, alors que d’habitude cela démarre avec les vacances scolaires de juillet», confirme Sabine Rey-Mermet, fondatrice de la plateforme. Les réservations se font principalement à court terme, pour de petits séjours. Sauf pour les personnes qui ont déjà fait une croix sur leurs vacances à l’étranger et prévoient de séjourner deux semaines en montagne. «Là-haut, on ralentit forcément le rythme. On se retrouve avec les gens qu’on aime en faisant des choses simples. Et en vivant des expériences fortes, comme un jacuzzi dans les mélèzes avec vue sur la plaine du Rhône au clair de lune», poursuit-elle.
L’attrait pour des biens extraordinaires, à même de faire oublier les habituelles vacances en bord de mer, se ressent aussi chez la fondation Vacances au cœur du patrimoine qui transforme des bâtiments historiques menacés en logements de vacances hors du commun. Depuis 2005, une trentaine de monuments, en pierre ou en bois, d’un chalet schwytzois datant du XIVe siècle à une ancienne tannerie dans le hameau de Palü, à Stampa (GR), où le célèbre peintre suisse Varlin passait ses vacances. Les rénovations se font selon des critères stricts propres aux monuments historiques, sans effacer les traces des modes de vie des siècles qu’elles ont traversés. Avec une sensibilité esthétique plutôt minimaliste, des meubles de caractère, tous de fabrication suisse. Y loger contribue à soutenir la préservation du paysage bâti, mais aussi les commerces de proximité, les ventes à la ferme, de ces villages reculés.
«La montée des réservations s’est faite de façon surprenante et immédiate, sitôt que le Conseil fédéral a demandé aux Suisses de passer l’été au pays. Pour la première fois, tout type d’objet est demandé, observe Beat Schwabe, président de la fondation. L’attrait pour nos biens est en phase avec la prise de conscience écologique et l’envie de mieux consommer, de mieux vivre. Dans nos demeures, on peut, si on le souhaite, cuire au bois. Il n’y a pas de télévision, ni internet. Ce sont les vacances de nos grands-parents, au rythme des siestes, des balades. Il y a toujours une grande et belle table pour partager des repas en famille ou des jeux de société.»
Habité lors des transhumances d’autrefois, le mayen de l’hôtel Bella Tola, à louer dès deux nuits, est lui aussi prisé pour le voyage dans le temps qu’il propose. Sur deux étages, la toute petite bâtisse en madriers dorés par le soleil a été décorée avec du mobilier et des textiles fidèles à l’esthétique de l’époque. Relié aux services de l’hôtel, à Saint-Luc, il peut être occupé par deux personnes et un enfant en pension complète. Un panier de victuailles, composé de fromages et saucissons du coin, de viande fraîche, de légumes, de pain, avec quelques recettes, est livré tous les trois jours. Les résidents ont aussi accès à la cave à vin et au jardin aromatique pour compléter leur menu. «L’idée est de ne pas redescendre au village pour faire les courses. On s’occupe de tout, en emballant les aliments dans du tissu comme faisaient nos ancêtres. On privilégie les jus de fruits bios du Valais au soda industriel. On évite de mettre un parasol sur la terrasse pour ne pas la dénaturer. C’est un vrai chalet d’alpage, dans le silence de la montagne. Tout le luxe est dans le paysage et la simplicité retrouvée», explique Anne-Françoise Buchs, directrice du Bella Tola avec son mari Claude.
Autres pistes, la plateforme de réservation de chalets d’alpage développée par Suisse Tourisme depuis 2017, qui compte près de 300 objets proposés à la location dans toute la Suisse. Les propriétaires peuvent y inscrire leur chalet à louer à la semaine, pour autant qu’il réponde à certains critères (situation en pleine nature, pas de nuisance sonore ou visuelle, raccordement eau et électricité, etc.). «Son succès ne se dément pas ce printemps, signe qu’elle répond clairement à un besoin de vacances rassurantes au cœur de la nature et placées sous le signe du slow life», confirme Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme.
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Le segment du luxe s’est lui aussi épris d’anciens biens agricoles. Si leur enveloppe reste traditionnelle, les rénovations intérieures visent un niveau tout confort, souvent avec services hôteliers. A l’instar de deux anciennes granges de Zermatt, les Schloss Cottages, qui seront à louer dès le mois de juillet avec une cuisine, un salon, une chambre, un sauna privé et un petit home cinéma.
Du plus rustique au plus haut de gamme, chacun peut trouver le camp de base idéal pour découvrir la montagne, si belle et si vivante, en été.