Valence, baroque et sauvage
Voyage
Plus sage que Madrid ou Barcelone, Valence? La troisième ville d’Espagne cultive son grain de folie et sa frénésie. Délires architecturaux, paella et champagne

Elle paraît calme, de prime abord, mais elle est trépidante. Et pas seulement en mars, durant les Fallas, fêtes populaires qui allient pyrotechnie, corridas et chars monumentaux. Dans les années 1990, Valence s’était lancée dans d’ambitieux projets urbains. Un quartier de musées futuristes près de la mer, signé en partie par Calatrava, l’architecte du pays. L’installation d’un parc long de 15 kilomètres en pleine ville, dans le lit du rio Turia, fleuve capricieux détourné vers le nord-ouest. Le réaménagement du port enfin, pour l’organisation de l’America’s Cup en 2007. Si d’autres projets ont été freinés à cause de la crise économique, Valence se porte bien et ambitionne de devenir le premier port de la Méditerranée. Située dans une vallée fertile, la huerta, elle bénéficie de 300 jours de soleil par an. Propice à la flânerie, elle a développé 80 kilomètres de pistes cyclables.
Décor néodandy
Pour commencer, rendez-vous dans le quartier festif Barrio del Carmen pour déguster une agua de Valencia. Ce cocktail, créé en 1959, à base de cava (le champagne catalan), de gin et de jus d’orange, est devenu la boisson emblématique de la ville. La meilleure agua de Valencia est servie au Café de las Horas. Bustes néoclassiques, dorures et brassées de fleurs assurent un décor néodandy. Marc Insanally, l’un des deux propriétaires, rêve de ramener à Valence l’esprit «café littéraire». Il organise également de folles soirées costumées ou des concerts de jazz. A l’écouter, seule Valence sait encore s’amuser. A propos, les noctambules devront s’armer de patience: les boîtes de nuit ne se remplissent que vers 2 heures du matin.
Autre quartier festif, mais plus alternatif, Russafa était, il y a quelques décennies encore, le repère du crime et de la prostitution. Aujourd’hui, gentrification oblige, artistes et hipsters y côtoient les classes populaires. Idéal pour la fin de l’après-midi, l’Ubik Café accueille volontiers les enfants. On y déguste des tartes ou des bières artisanales. Ce café-librairie doit son nom à l’un des meilleurs romans de science-fiction de Philip K. Dick. Tout près, Slaughterhouse, ancienne boucherie, vend aujourd’hui hamburgers et livres. C’est aussi à Russafa que l’on trouvera le Ricard Camarena Restaurant, établissement du chef valencien du même nom. Le cuisinier y revisite le terroir. Il possède plusieurs enseignes et vient d’ouvrir, dans le quartier voisin de L’Eixample, le branché Habitual. Ici, on vous sert des aubergines flambées à la sauce hollandaise, un merlu grillé à la flamme avec sa caponata. Le repas se termine avec une brioche caramélisée et son biscuit glacé au lait merengada… Les menus de haute volée coûtent moins de 30 euros par personne.
Le rococo qui rend fou
Pour une expérience plus baroque, toujours dans L’Eixample, essayez El Poblet, chez le chef Quique Dacosta. Vous pourrez croquer de faux cailloux (au parmesan et à la truffe) ou effeuiller des roses comestibles avec des baguettes (les pétales sont faits de pommes et de grenadines). Une aventure à tenter, même si les saveurs et les textures ne sont pas toujours à la hauteur de la beauté des plats. Si la cuisine moléculaire vous laisse de marbre, préférez le cadre et la carte plus conviviaux de la Vuelve Carolina, du même chef, à la même adresse, juste en dessous. Bien entendu, vous ne pouvez repartir de Valence sans avoir goûté une paella, plat national inventé ici même. La «vraie» paella serait-elle servie uniquement sans fruits de mer, avec du lapin et du poulet? Le débat fait encore rage, et pas moins de 50 spécialités sont préparées avec le riz local.
La ville est aussi riche de plus de 45 musées, notamment l’Institut Valencià d’Art Modern, qui fait la part belle au sculpteur cubiste Julio González, rival de Picasso. Mais un des sommets reste le palais de Dos Aguas, qui abrite le Musée national de la céramique. Hipólito Rovira, l’architecte de cette construction d’un rococo délirant, mourut fou. Ne manquez pas, dans les appartements du marquis de Dos Aguas, le petit salon chippendale chinois où même les meubles sont en porcelaine. Dans le musée, vous apprendrez tout sur les céramiques valenciennes du XVe siècle. Cette «faïence dorée» aux reflets métalliques produite à Manises, commune voisine, ornait les tables de toutes les cours européennes…
On en oublierait presque que Valence est bâtie au bord de la mer. Depuis la fin des années 1990, la ville investit davantage son littoral. En vous rapprochant du port, faites une halte à la Casa Montaña, dans le quartier de Cabanyal. Depuis 1836, cette bodega régale ses hôtes en tapas. Un établissement touristique, mais toujours dans son jus, raffiné et chic. On trouve plus de 500 vins à la carte et le jambon ibérique 100% bellota y est divin.
Le moment est venu d’aborder le quartier futuriste de la Cité des arts et des sciences, inauguré il y a vingt ans. Si Valence peut s’enorgueillir de splendides bâtiments gothiques ou Art nouveau, elle s’est aussi projetée avec succès dans l’architecture contemporaine. La Cité des arts et des sciences, ce sont 350 000 mètres carrés de ville futuriste. Futuriste, vraiment? On se plaît à rêver, devant ces puissantes structures organiques signées Santiago Calatrava, à quelques animaux préhistoriques. Comment ne pas y voir un héritage de l’excentrique Gaudí? Le pont de l’Assut de l’Or évoque une lyre. Le Planétarium, un œil géant, ou la carapace d’un scarabée colossal. Le Parc océanographique, signé Félix Candela, est en forme de nénuphar. C’est le plus grand d’Europe.
Rizières et anguilles
Dans sa périphérie, Valence a su rester sauvage. Aux portes de la ville s’étale le parc naturel de l’Albufera, de petits villages de pêcheurs, un lac, des canaux et des rizières. On y retrouve la campagne pittoresque chantée par Vicente Blasco Ibáñez, le Zola valencien, un écrivain ogre, tant pour sa production littéraire que pour son appétit et ses conquêtes féminines (son ancienne villa, au bout de la plage de la Malvarrosa, est devenue un musée). En français, on peut lire de sa plume Boue et Roseaux, roman dans lequel il décrit l’Albufera qu’il a connu, ses barques chargées de riz, le chant de ses bateliers, ses eaux stagnantes aux «reflets dorés de thé» dans lesquelles on continue de pêcher l’anguille, plat typique du pays. Si vous en dégustez au village El Palmar, votre dessert est tout trouvé: visitez la pâtisserie Sant Josep. Simple et typique, elle produit depuis 1886 de la coca de llanda, biscuit valencien très populaire, parfumé à l’orange. Valence est fière de ses agrumes et du parfum de ses orangers… Souvenir d’un temp s où elle était arabe, il y a treize siècles, et où elle s’appelait encore Balansiya.
Y aller
Avec Swiss, vol direct de Genève,
les jeudis, samedis et dimanches. Entre juillet et août, 4 vols hebdomadaires. Dès 80 francs. www.swiss.com
Y dormir
Las Arenas, un palace au bord
de la mer, avec plage.
www.hotelvalencialasarenas.com
Hotel Palacio Marqués de Caro,
plus typique et plus centré.
www.carohotel.com
Restos & bistrot
El Poblet.
elpobletrestaurante.com
Habitual.
habitual.es
Café de las Horas.
www.cafedelashoras.com