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Vassili Nesterenko, l'insurgé de Tchernobyl

Le scientifique russe avait lutté pour que la catastrophe ne tombe pas dans l'oubli.

Ce qui frappait chez Vassili Nesterenko, à chaque rencontre, c'était l'intensité de sa volonté, la focalisation de son énergie sur le but qu'il s'était fixé. La même passion tenace qu'il avait consacrée à ses recherches sur l'énergie nucléaire, en tant que savant officiel et brillant de l'ère soviétique, il l'avait tournée vers l'observation des conséquences de l'accident de Tchernobyl sur les populations des régions environnantes, devenant un paria du régime autocratique du président biélorusse, Alexandre Loukachenko. Mais son obstination a permis que les victimes de Tchernobyl ne soient pas oubliées. Il est mort le 25 août à Minsk, après une opération de l'estomac.

Vassili Nesterenko est né en 1934, dans le village Krasny Kout, en Ukraine. En dehors d'un parcours académique impeccable, on sait peu de choses de la jeunesse d'un homme peu enclin à s'épancher. Diplômé de l'université de technologie en 1958, Vassili Nesterenko entre à l'Académie des sciences de Biélorussie en 1963. Il commence alors à piloter un programme de recherche secret, consistant à mettre au point une mini-centrale nucléaire destinée à alimenter en énergie les missiles mobiles SS-20 et SS-25. Il a raconté ce travail dans un entretien publié dans Les Silences de Tchernobyl (Galia Ackerman, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand): «Vers 1985, en pleine «guerre des étoiles», notre travail a porté ses fruits: la centrale nucléaire de l'armée a vu le jour. L'idée était simple. Cette centrale pouvait être déplacée n'importe où dans quatre camions ou hélicoptères dont l'un était affecté au transport du réacteur nucléaire.» Vassili Nesterenko nous avait précisé que le réacteur avait fonctionné pour la première fois le 23 mars 1986. Un mois plus tard, la catastrophe de Tchernobyl se produisait.

Tracasseries administratives

Officiel et scientifique soviétique, Nesterenko était des mieux placés pour comprendre l'ampleur de l'événement. Dans les jours suivant l'accident, il survola en hélicoptère la centrale radioactive et prôna le premier l'évacuation de la zone entourant la centrale. Il se révéla qu'il avait raison, mais sa vigilance dénuée de préoccupations politiques lui fit perdre ses postes officiels.

Il allait alors se consacrer à analyser les conséquences sanitaires des retombées radioactives de Tchernobyl, qui se sont produites pour une grande partie sur le tiers sud-est de la Biélorussie. Avec l'aide d'ONG occidentales, il fondait en 1990 l'institut indépendant Belrad. Les talents de physicien et d'organisateur de Vassili Nesterenko ont permis à Belrad de mener des campagnes approfondies sur les enfants des régions contaminées. Nesterenko a ainsi démontré la persistance de la contamination radioactive des habitants, entretenue par l'alimentation (champignons, lait, baies de la forêt). Ce travail, qui a abouti au recueil de près de 200000enregistrements, a fini par être reconnu du bout des lèvres par la communauté des radiotoxicologues.

Mais Nesterenko s'est toujours heurté aux réticences officielles, tant à l'étranger que dans son pays. «Le lobby atomique international ne veut pas reconnaître les dimensions de la catastrophe chez nous, parce que si on les reconnaissait, l'énergie atomique n'aurait plus le droit à l'existence», expliquait-il au documentariste Vladimir Tchertkoff. Le gouvernement biélorusse menait la vie dure à Belrad, sans arrêt sujet à des tracasseries administratives. Cette lutte incessante a fini par épuiser Nesterenko. Rien ne serait plus absurde que les données accumulées par ce scientifique valeureux soit perdues après sa disparition.