Haut perchés, poings levés. Ils dévalent les pentes canadiennes sur des montures phénoménales. Les frères Zenga sont des inventeurs. Peu à peu, à mesure que leurs films se font connaître, leur philosophie se propage. Ils mènent une révolution. Découvrir leur monde, c’est se rappeler que l’enfance est une période beaucoup plus longue qu’on ne le croit.

Du haut de leur Tall Bikes, des «vélos hauts», les frères et leurs compagnons semblent observer le monde et en rire. Leur credo: surtout ne pas se prendre au sérieux. Leur slogan: Tall Bikes will save the world. «Les vélos hauts sauveront la planète». Ni plus, ni moins. Car leur monture est avant tout un moyen d’accéder à leur façon de vivre. Pour mieux comprendre, ils ont créé un manifeste. Ce sont trois injonctions au pinceau qui invitent l’heureux qui lira à créer partout, tout recycler et être un imbécile.

Depuis 1999, les frères Zenga, ont choisi la créativité comme fil rouge de leur existence. Elle s’immisce dans toutes les aspérités de leur vie. A travers le collectif qu’ils ont fondé, dans leur petite ville d’Uxbridge en Ontario, ils prennent plaisir à tout tourner en dérision. «Au début, nous voulions surtout inviter les gens à créer et à être eux-mêmes», raconte au téléphone Billy Zenga, un des membres de la fratrie.

Lutte contre la télévision

Tout avait commencé par une guerre menée contre la télévision, identifiée comme la source d’une passivité à combattre. Il fallait les voir, dans la rue, à vélo, charrier des téléviseurs dans la poussière tel des cow-boys revanchards. Au fil du temps, ils se sont créé leur monde et à l’image de ces personnages de western, ils ont choisi leur monture. Des vélos bien sûr, mais conçus à leur sauce à partir de pièces recyclées. «Nous en avons construit de toutes les formes, mais assez vite nous nous sommes dirigés vers les Tall Bikes», se souvient Benny Zenga.

Ces vélos hauts, s’apparentent aux bas grâce à la présence d’un guidon, de roues et de pédales. Mais leur géométrie invite le conducteur à trôner en altitude. Chaque engin est différent car il est le fruit de la lubie de son créateur. Souvent, il porte un nom: «Tall Horse», «Daddy Longlegs» ou «Riki Oh», des totems qui évoquent les grandes chevauchées sur le Nouveau Continent et réveillent instantanément l’enfant qui dort en chacun de nous.

Retour en enfance

Les frères Zenga le savent pertinemment: il y a une part d’enfance dans le fait d’enfourcher un vélo. Le vent dans les cheveux, la vitesse, l’équilibre et le paysage qui défile donnent à son usager grisé un sentiment de liberté. Tout comme grimper dans un arbre et s’asseoir sur la branche la plus haute dans le simple but de contempler.

A nos yeux, l’expérience vécue à travers la construction du vélo l'emporter sur l’objet en soi. Cela n’a pas de prix

Benny Zenga

Leur Tall Bikes réunissent ces deux instants. «Conduire un Tall Bike est absolument ridicule, mais il s’avère qu’il est aussi utile et l’on trouve sa place assez logique sur les routes», expose Benny Zenga. «D’un point de vue pratique, le fait d’être en hauteur offre plus de sécurité dans la circulation. Nous voyons mieux et sommes plus visibles, c’est indéniable. De plus, la géométrie de ces vélos permet de transporter confortablement des charges conséquentes.» En mettant leurs créations à l’épreuve, ils ont pu emporter jusqu’à 90 kilos sans difficulté, sur leur deux-roues. «Cela en fait le moyen de transport idéal pour partir en voyage ou aller faire ses courses!»

Briser les routines

Il y a, sur le visage de ces Zenga Brothers, un air d’inventeur fou. Un sourire omniprésent et une légèreté qui donne des ailes. Will, le frère aîné, assure devoir toutefois être plus alerte et concentré une fois perché sur un Tall Bike. «La plupart de nos vélos sont trois fois plus hauts que les habituels. Il faut se méfier des fils électriques et des tunnels. Mais avant tout il est nécessaire de nous affranchir de nos peurs. Une fois tout cela acquis, monter sur la selle est un jeu d’enfant», rit-il.

Si j’ai choisi ce moyen de transport c’est pour son aspect économique. Mais il s’est avéré qu’il est non seulement une source de liberté mais c’est surtout le prétexte à créer des liens

Gerry Oulevay

Ce que veulent les frères Zenga, c’est briser les routines. Leurs sculptures roulantes, souvent entièrement issues du recyclage évoquent les inventions des frères Wright, pionniers de l’aéronautique ou de Simon Rodia, artiste italien immigré en Amérique, à l’origine des Watts Towers à Los Angeles.

Les frères Zenga insistent sur la radicalité de leur créativité. L’art est à leurs yeux omniprésent. «Nous sommes tous nés pour engendrer de l’art», écrit le collectif sur son site. Les Tall Bikes ne sont au fond que le prétexte à une vie créatrice.

Commercialisent-ils leurs créations? «Non. Ce serait d’ailleurs en contradiction totale avec nos principes. A nos yeux, l’expérience vécue à travers la construction du vélo l'emporter sur l’objet en soi. Cela n’a pas de prix. Et s’il devait y en avoir un, il serait inestimable», explique Benny.

Le lien social

C’est aussi l’avis du Suisse Gerry Oulevay. Il lui a fallu un voyage à vélo de trois ans avec 4000 francs en poche pour se convaincre du pouvoir insoupçonné du deux-roues. «Si j’ai choisi ce moyen de transport c’est pour son aspect économique. Mais il s’est avéré qu’il est non seulement une source de liberté mais c’est surtout le prétexte à créer des liens», lâche-t-il d’une voix limpide au téléphone. A son retour, il décide de poursuivre une activité liée au vélo. «Je voulais réparer des vélos et la fille de ma compagne voulait que je lui fasse des barbapapas. Alors j’ai concilié les deux idées.»

Dans son atelier veveysan, il fabrique désormais des «vélos rigolos». Conçus «à l’indienne», avec une esthétique rétro, ces inventions visent à revenir à un système de troc où les gens participent à un résultat. Ainsi, le «barbapapi» confectionne des barbapapa en quelques coups de pédales, le «sorbélo», des sorbets et le cyclotronc permet de débiter des troncs d’arbres à la force du mollet.

Plus qu’avec n’importe quel moyen de transport, circuler à vélo permet de faire jaillir des idées et des rêves

Pauline Girardier, membre de l’association 1001 roues

Son système est inspiré de celui utilisé par l’ONG Maya Padal au Guatemala qui utilise l’énergie humaine pour remplacer l’électrique grâce à l’usage d’un vélo. Quelques coups de soudure et un système de courroie pour moudre le grain, concevoir des shampoings à l’aloe vera ou tirer l’eau d’un puits.

Duel simulé

C’est également par un procédé mécanique que les membres de Mecania à Neuchâtel actionnent leurs inventions. Eux, sont stimulés par l’aspect festif du vélo, comme l’association genevoise 1001 roues, qui fabrique et met à disposition du public des cycles pas croyables. A force de réparer leurs cadres et de cultiver leur imagination débordante, les Neuchâtelois ont conçu plusieurs exemplaires d’un dispositif digne d’une installation de fête foraine destiné à simuler un duel de course à vélo. «Notre concept demeure cependant assez brut du point de vue artistique. Ce que j’aime, c’est son côté spontané», décrit Pauline Girardier, membre de l’association créatrice. Pour la jeune femme, ces inventions sont l’illustration d’une utopie. Une course factice, des maillons, des chaînes et des pistons. Et surtout pas de but précis, si ce n’est celui de créer et de s’amuser.

Pourquoi avoir choisi le vélo? Pauline a son avis: «Plus qu’avec n’importe quel moyen de transport, circuler à vélo permet de faire jaillir des idées et des rêves.» L’urgence c’est maintenant, de les réaliser.