tout cru
Röstigraben
C’était lundi soir en gare de Zurich dans un train bondé en partance pour Genève. J’avais trouvé une place assise dans le dernier wagon, un soulagement après avoir passé cinq heures à arpenter les allées du Kongresshaus où se tenait la dégustation annuelle Mémoire & Friends. Organisé depuis 2009, l’événement est un must pour découvrir la crème de la production de nos six régions viticoles. Un «Winzer-All-Stars» qui réunit les 54 membres de l’association Mémoire des vins suisses et une centaine d’autres domaines triés sur le volet.
Je venais de me plonger dans la lecture du Temps – quel journal! – quand deux hommes sont entrés dans le train tout essoufflés. Après avoir bousculé une jeune femme, ils se sont jetés sur les deux places encore disponibles dans le compartiment voisin. Leurs dents noircies par les tanins, leurs yeux brillants et le volume élevé de leur discussion ne laissaient guère de place au doute: ils avaient dû déguster avec acharnement, probablement sans prendre la peine de cracher. En effet: une fois installés, ils ont commencé à évoquer en français leurs découvertes de l’après-midi au Kongresshaus.
L’un d’eux me faisait face. La cinquantaine rebondie, il s’exprimait avec un fort accent alémanique. Il soulignait sa surprise d’avoir bu «autant de bons vins rouges». Il disait avoir été particulièrement frappé par la qualité des merlots tessinois et de plusieurs assemblages vaudois. Un canton qu’il associait jusque-là au seul chasselas, comme il l’a répété à plusieurs reprises en se remémorant un lointain cours de répétition à Vallorbe.
Je vous rapporte cette anecdote car elle illustre un des grands défis des vins suisses: séduire la Suisse alémanique qui concentre 80% de la population nationale. Un marché prioritaire pour les Romands et les Tessinois qui concentrent eux 80% de la production. Une forme d’export, tant la méconnaissance qui existe entre régions est marquée – l’ignorance de mon voisin de train est emblématique des lacunes de l’Homo helveticus en la matière.
Le déclic pourrait venir de regards étrangers. La Revue du vin de France a publié cette semaine un reportage de quatre pages sur la région de Lavaux. La journaliste américaine installée à Genève Ellen Wallace a publié un beau livre dédié aux vins suisses*. Une déclaration d’amour à nos terroirs si variés – en anglais, histoire d’être comprise des deux côtés de la Sarine.
* «Vineglorious! Swizerland’s Wondrous World of Wines», 2014, ellenbooks. www.ellen-books.com