Portrait
La militante antispéciste adepte des méthodes de désobéissance civile publie lundi une enquête sur l’industrie laitière suisse. Un cri du cœur où il est question de «responsabilité citoyenne» en opposition à une «consommation passive et désuète»

«Il vient une heure où protester ne suffit plus; après la philosophie, il faut l’action»: l’ouvrage de la Genevoise Virginia Markus s’ouvre sur cette citation hugolienne. Un préambule coup de poing qui ancre d’emblée son propos dans l’engagement de terrain. Pour réaliser son enquête sur la filière du lait, la jeune militante antispéciste a pénétré au cœur d’élevages et d’abattoirs de la région romande, de jour comme de nuit, parfois sans autorisation. Des méthodes contestées qui lui valent une citation à comparaître devant la police vaudoise ce vendredi. Soit quelques jours avant la parution officielle de son livre Industrie laitière: une plaie ouverte à suturer? aux Editions L’Age d’Homme.
A seulement 27 ans, Virginia Markus est un concentré de révolte. En apparence, rien ne laisse présager la fougue qui bouillonne en elle. Pas même ses yeux en amande, ni les cheveux raides qui encadrent sagement son visage. Végétarienne depuis dix ans, la jeune femme, éducatrice auprès de jeunes en rupture, mène un combat de longue haleine pour un postulat: l’homme doit cesser d’exploiter l’animal pour ses coutumes alimentaires et son profit financier. Les représailles judiciaires, elle s’y était préparée: «C’est le risque à prendre pour créer une prise de conscience, avance-t-elle, posément. J’assume.»
Parcours atypique
Considérer les animaux comme des êtres vivants à part entière? Une évidence pour Virginia qui, enfant, recueille chiens, chats et cochons d’Inde dans l’appartement de son père à Nyon. A chaque voyage en Chine, pays d’origine de sa mère, la fillette d’alors s’insurge contre les employés des marchés qui présentent des brochettes de moineaux et autres mets carnés. Lorsque sa mère ébouillante des crabes vivants, elle ne peut retenir ses larmes.
Enfant modèle jusqu’à 12 ans, Virginia explose à l’adolescence. Le besoin viscéral de ne pas se conformer au système l’entraîne sur un chemin sinueux. «Je refusais qu’on m’apprenne des choses qui ne faisaient pas sens à mes yeux. J’étais sans cesse dans la confrontation», confie-t-elle. Après moult convocations, elle quitte la filière «économie et commerce» du gymnase avant de trouver enfin sa voie en socio-pédagogie. Contre toute attente, l’étudiante jadis rebelle décroche son diplôme avec les honneurs et poursuit jusqu’au bachelor en éducation sociale, qu’elle obtient en 2016.
Expérimentations sur chiots
Entre les deux, Virginia part travailler au Qatar dans une clinique vétérinaire. Le système d’adoption pour chiens et chats errants qu’elle instaure fonctionne bien. Elle jubile puis déchante lorsqu’elle apprend que son chef autorise des expérimentations dentaires sur de jeunes chiots. Indignée quand elle découvre qu’il les a fait euthanasier à la fin des tests, contrairement à l’accord qu’ils avaient passé ensemble sur leur mise à l’adoption, la jeune femme quitte son emploi à Doha, deux chats sous les bras.
De retour en Suisse, Virginia se rend dans un élevage de vaches laitières en France voisine. Prévue comme une balade champêtre, la visite se transforme vite en cauchemar. «J’ai vu des veaux séparés de leur mère, recroquevillés, craintifs dans leur enclos.» Virginia s’accroupit dans un box et attend. Une heure puis deux. Petit à petit, la bête se laisse approcher, caresser. En quittant les lieux, ce soir d’été 2014, sa décision est prise: elle ne mangera plus jamais de fromage, ce mets dont elle raffole et qui incarne à lui seul le patrimoine suisse. «J’ai réalisé qu’en en mangeant, j’envoyais ces veaux à l’abattoir.»
Lot de souffrances
Pour raconter l’histoire d’une dépendance aux produits d'origine animale jugée absurde, Virginia remonte aux origines de l’industrie laitière, poids lourd de l’agroalimentaire suisse. Du champ à l’assiette, elle ausculte tous les acteurs de la filière, multiplie les entretiens pour connaître leur quotidien. Certains éleveurs se livrent, d’autres sont sur la défensive. A l’esprit de l’activiste, ce constat lancinant: «L’industrie du lait en Suisse, c’est environ 1000 exploitations abandonnées chaque année, huit suicides de paysans en 2016 dans le canton de Vaud, 550 000 vaches actuellement exploitées, des dizaines de milliers de chèvres et brebis également, et donc tout autant de veaux, cabris et agneaux qui partiront à l’abattoir.»
Après l’écoute, vient la quête des images. En contact avec l’association française L214, Virginia fait le choix de la désobéissance pour capter une réalité brute qu’on «ne lui aurait pas montrée» si elle avait annoncé ses visites. Des jours durant, elle filme la mort des veaux, des cabris dans les abattoirs. «Les images livrent leur lot de souffrances: le matériel défectueux, les blessures, les cris», souffle-t-elle, une tristesse dans la voix. Si ses vidéos circulent aujourd’hui sur les réseaux sociaux, elle n’y mentionne ni noms ni lieux: «Je ne veux pas stigmatiser un éleveur en particulier, ni devenir une lanceuse d’alerte.»
Changement et justice
Si les méthodes d’enquête détonnent, le propos, lui, tient davantage de l’essai universitaire que du pamphlet sanguin rédigé entre deux sit-in. Au fil des pages, Virginia esquisse des pistes d’alternatives: sensibilisation des enfants, reconversion des éleveurs ou encore mode de vie végane. Sous sa plume, il est question de changement, de justice. Alors pas de demi-mesure: «Il ne s’agit pas d’améliorer les conditions de vie des animaux de rente avec des «initiatives welfare» mais d’arrêter leur exploitation.»
Je garde un souvenir de chaque animal que je rencontre. Leur regard, leurs cris restent gravés dans ma mémoire
«Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent pas pour que ça ne se vende plus»: comme Coluche, Virginia croit au grand revirement. Il faut dire que son engagement pour la cause animale tient davantage de l’amour que du dogme. «Je garde un souvenir de chaque animal que je rencontre. Leur regard, leurs cris restent gravés dans ma mémoire.» Un attachement qui s’observe jusque sur son avant-bras où trône une tête de veau, celui qu’elle a calmé, doucement, un soir d’été.
Sanctuaire rêvé
Transmettra-t-elle son mode de vie à ses enfants? Raté. Virginia ne veut pas devenir mère. «Je n’envisage pas de mettre mon combat entre parenthèses pour un seul être humain», confie-t-elle. Son rêve? Ouvrir un sanctuaire pour animaux de rente, une «seconde vie pour des miraculés».
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Profil
1990: Naissance à Genève.
2008: Choix du végétarisme.
2014: Choix du véganisme.
2016: Bachelor en éducation sociale.
2017: Publication du livre «Industrie laitière: une plaie ouverte à suturer?»