Envie de vivre le grand frisson numérique et, soyons fous, de commercialiser votre propre jeu vidéo? Si, en Suisse, la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD) et l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) mettent à leurs programmes des formations en game design, la Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK) reste pour l’instant la seule à proposer une filière entièrement dédiée à ce domaine. Et avec un certain succès. Les productions développées derrière les murs de l’ancienne usine de yogourts Toni décrochent régulièrement des prix dans les festivals internationaux («Feist», «Cloud Chasers») et profitent d’une diffusion maximum en sortant sur Xbox One («Far: Lone Sails») ou PlayStation 4 («Schlicht»). Lorsque leurs auteurs, après avoir goûté aux fruits de l’indépendance, ne rejoignent pas les équipes de grosses productions («Hitman Go», «Farming Simulator»).

«Dès 2005, notre école a proposé parmi les premiers cours en Interactiv Design de Suisse alémanique, explique René Bauer, responsable du master en game design à la ZHdK. Après quelques hésitations, les responsables décidèrent toutefois de lancer un enseignement intégralement consacré au jeu. Ce qui touchait au design d’interaction allait désormais y être traité à travers le prisme du game design.»

Maîtrise du suisse allemand

A chaque rentrée, une quinzaine d’étudiants (dont un tiers d’étudiantes) sont sélectionnés sur dossier. «Il n’est pas nécessaire de savoir programmer en entrant chez nous. Ce programme d’une durée de six semestres couvre des aspects aussi pratiques – graphisme, animation, son, écriture, règles du jeu – que théoriques – gamification, serious gaming, game studies», continue Ulrich Götz, responsable de la filière de game design. Il est suivi d’un master de trois semestres centré sur la réalisation d’un projet de taille qui doit mener à une réflexion autour des conditions de production d’un jeu vidéo. «Notre objectif est d’avoir pour moitié des étudiants avec une formation artistique, pour un quart des scénaristes et pour le reste des programmeurs, précise René Bauer. Dès le début, nous tenons à ce que les programmeurs réalisent des illustrations et que les designers apprennent à coder. Pour compléter les connaissances pratiques acquises, nous enseignons l’histoire et l’analyse du jeu, ou encore comment briser les stéréotypes en vigueur dans les jeux vidéo.»

A voir les productions des étudiants, ce message qui prône l’originalité semble avoir bien passé. «Monocular», réalisé en bachelor par Helen Galliker, propose d’incarner un cyclope projetant son œil loin de lui afin de découvrir sous un autre angle le monde qui l’entoure. «Krautscape», de Mario von Rickenbach, est un jeu de course où le circuit se dessine en fonction de la trajectoire du joueur de tête, dont le champ de vision s’en trouve dès lors limité.

Elias Farhan a obtenu son master en 2016 avec un travail sur les game jams (ces marathons où il s’agit de sortir un jeu en quelques heures) vues comme processus créatifs. Il est l’un des deux seuls Romands à avoir suivi la branche game design de la ZHdK. «Après un bachelor en informatique de l’EPFL, j’ai voulu devenir créateur de jeux vidéo. Zurich était la seule option valable en dehors des écoles privées car il n’y a pas de cursus en game design à l’ECAL ou à la HEAD. Mais attention, la maîtrise du suisse allemand et d’un allemand, disons, académique, n’est pas une option.»

Silicon Zurich

Comment cette formation est-elle perçue de Suisse romande, où le jeu reste tout de même au programme des hautes écoles? «Nous ne considérons pas la filière game design de la ZHdK comme une concurrence, mais comme complémentaire avec les formations que nous proposons, estime Gordan Savičić qui dirige le master en média design de la HEAD. Le game design est l’un des quatre axes que nous avons identifiés aux côtés du motion design, du Web design et du design d’interaction. Nous organisons des ateliers de conception et de création de jeux avec des enseignants spécialisés, mais il s’agit principalement de jeux éducatifs, expérimentaux ou qui portent une réflexion sur le média numérique. Ce qui n’empêche pas nos étudiants de participer à de grands événements internationaux. Leurs travaux viennent d’être présentés à la Geneva Gaming Convention ainsi qu’à la Gamescom de Cologne.»

Il faut cependant reconnaître que la région de Zurich profite de quelques avantages. Outre la ZHdK, c’est aussi là que s’organisent les festivals Ludicious et gameZfestival et que plusieurs entreprises (comme Giants Software) et Pro Helvetia y ont installé leurs sièges. Zurich, capitale du jeu vidéo en Suisse? «Je ne pense pas qu’il y ait eu une volonté politique de créer un tel «centre» quand la ZHdK a lancé sa filière en game design, reprend René Bauer. C’est quelques années plus tard que Pro Helvetia a commencé à soutenir le jeu vidéo et à promouvoir des entreprises déjà établies aussi bien que les diplômés de la ZHdK.» Bref, cette image de centre névralgique s’est finalement surtout créée par accident, faute d’alternatives. D’ailleurs pour Gordan Savičić de la Head-Genève rien n’exclut à long terme l’ouverture d’un master en game design en Suisse romande. Il s’agirait d’abord de mesurer la demande. Et ensuite d’observer l’évolution du marché et des aides gouvernementales à la production suisse. 


Les sites à consulter:

La ZHdK, www.zhdk.ch

L’ECAL, www.ecal.ch

La HEAD, www.head-geneve.ch