WhatsApp: la tyrannie au bout des doigts
Numérique
Flots de notifications, groupes, pression sociale: comment ne pas se laisser envahir par l’application qui atteint le milliard d’utilisateurs?

1400: c’est le nombre de messages WhatsApp que Nathan*, 12 ans, avait reçu en un jour, alors qu’il avait délaissé son smartphone pendant 24 heures. On s’étrangle. Mais à y réfléchir, le compte est rapidement atteint. Prenez simplement soixante ados qui forment un groupe baptisé «collège» sur la messagerie instantanée, et qui envoient chacun 25 SMS dans la journée. «Salu», «tu fé kwa?», «MDR», «lol».
Un outil envahissant
En une petite poignée d’années, WhatsApp s’est démocratisé, apportant, avec tous ses points positifs (gratuité des messages envoyés, visibilité des connexions de l’interlocuteur, lien social facilité), son lot d’aspects irritants. Rachetée voilà exactement deux ans par Facebook pour la modique somme de 19 milliards de dollars, l’application est en train de dépasser la barre du milliard d’utilisateurs. Pour comparaison, Facebook Messenger compte 800 millions d’utilisateurs actifs. «700 millions de Chinois, et moi et moi et moi», chantait Jacques Dutronc dans les années soixante.
Aujourd’hui, d’autres sortes de chiffres donnent le vertige! Selon les statistiques officielles dévoilées fin janvier, un milliard de personnes utilisent chaque mois la fonction groupes de WhatsApp. Autant dire qu’il y a de quoi se laisser envahir par cet outil de communication qui nous rend bien service.
Une fonction difficile à gérer: le groupe
La fonction «groupe» est, justement, particulièrement compliquée à gérer. Des groupes de discussions réunissant dix, vingt, ou plus de participants peuvent être formés par tout un chacun. On se retrouve alors régulièrement inclus contre notre gré dans des conversations, noyés dans des vagues de messages, de photos et d’émoticones. Les solutions? Se retirer systématiquement des groupes, au risque de passer pour un rabat-joie. Ou mettre les conversations sur l’option silence pendant une année, histoire d’avoir la paix. Ce qui n’empêchera pas les notifications visuelles de s’accumuler, ni les photos de vacances des autres de s’incruster dans votre photothèque.
WhatsApp va devoir changer quelque chose, pour éviter d’être pris au cou par des gens qui vous ajoutent à des groupes sans vous demander votre avis.
«Il y a une immaturité d’adaptation dans cette application, confirme Blaise Reymondin, spécialiste en marketing digital. Cette effervescence est tolérée par les ados, mais elle devient insupportable pour les adultes. WhatsApp va devoir changer quelque chose, pour éviter d’être pris au cou par des gens qui vous ajoutent à des groupes sans vous demander votre avis. C’est la mode de pouvoir qualifier l’intérêt d’une conversation. Et comme WhatsApp devient une commodité même au niveau professionnel, les messages importants ne peuvent pas se retrouver noyés par des sujets secondaires.»
Etat de veille permanente
Côté teenagers, on imagine les problématiques qui s’installent… Recevoir des centaines de SMS par jour est aussi assommant que de découvrir une boîte mail saturée après deux jours de congé. Et la tyrannie fait son nid, comme dans n’importe quelle dynamique de groupe. «Des garçons de ma classe créent des groupes pour être populaires, raconte Lily*, 12 ans, mais quand tu te retires du groupe, ils te remettent dedans parce qu’ils veulent avoir le plus de monde possible.»
Nathan ajoute que, parfois, on le réintègre juste pour lui demander pourquoi il est parti, ou «juste pour embêter». Il est bien sûr possible de bloquer le contact qui nous parasite, au risque de le vexer…
«Les messageries sont au cœur de l’internet»
Sébastien Gendre, travailleur social et spécialiste des situations complexes liées au monde numérique, relève «l’émergence d’une forme d’exclusion numérique. L’administrateur a le pouvoir de virer quelqu’un du groupe.» Dans une situation de harcèlement, «le jeune préfère ne pas quitter le groupe, car il souhaite savoir ce que l’on dit de lui. Ces pressions ont toujours existé, mais cela complexifie la construction d’identité des jeunes. Cela nécessite pour eux un état de veille permanente.»
Il faut l’admettre: WhatsApp – une messagerie déguisée en réseau social – a bel et bien colonisé notre quotidien. Et ce n’est pas fini. «Les messageries seront au cœur de l’internet dans les années à venir» prévient Blaise Reymondin.