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Youri Kravtchenko, l'architecte que les restaurateurs s'arrachent

Féru d’art et de cinéma, il casse les codes des décors des établissements auxquels il donne une nouvelle vie

Youri Kravtchenko: «Il y a toujours une histoire autour d’un restaurant.»  — © David Wagnières pour Le Temps
Youri Kravtchenko: «Il y a toujours une histoire autour d’un restaurant.»  — © David Wagnières pour Le Temps

Son nom circule en catimini à chaque ouverture de restaurant à laquelle il a contribué. Tel un caméléon au talent aussi structuré que déluré, l’architecte Youri Kravtchenko se fond au sein même du décor qu’il crée. Visionnaire appliqué, c’est avec flegme et panache qu’il redonne vie aux établissements après les avoir longuement diagnostiqués.

A chaque réalisation, sa conceptualisation de la notion d’espace s’adapte à l’environnement dans lequel il évolue le temps d’un projet. Vu son succès et les lieux qu’il dynamise, c’est sans surprise que les restaurateurs en vogue s’arrachent ses coups de pinceau et ses traits de crayon. Malgré cet indéniable succès, le presque quadragénaire reste modestement discret et fait preuve d’une humilité intellectuelle à l’image de ses œuvres.

C’est dans ses bureaux flambant neufs, situés à quelques encablures de l’Université de Genève, qu’on retrouve Youri Kravtchenko. En cette période hivernale, l’arcade d’angle offre un puits de lumière réconfortant grâce à ses larges baies vitrées. Vêtu d’un pantalon stylé assorti à une chemise de couleur identique, il arrive en toute décontraction en indiquant la table de conférence comme point d’ancrage pour un laps de temps.

La discussion prend inévitablement le chemin de l’enfance liée à l’amour que l’architecte voue à la gastronomie. Afin de rester au lit, le jeune Youri prétendait avoir des grippes pour que sa mère lui prépare une purée accompagnée de tranches de saumon fumé en provenance d’Irlande. «Elle avait un tel attachement sentimental et poétique avec ce pays qu’il aurait été impossible que le poisson provienne d’un autre endroit», avoue-t-il. C’était un rituel rassurant.

Une échappatoire

Fils d’un père d’origine polonaise, compositeur de musique de films, et d’une mère dissidente russe, interprète de formation, il baigne très tôt dans un milieu intellectuel. «Hormis son amour pour le cinéma, mon père avait une obsession: manger une fois par semaine chez Frédy Girardet à l’Hôtel de Ville de Crissier.»

Sous l’impulsion de sa mère, Youri peint énormément. Fils unique, il utilise les toiles et les pinceaux comme une échappatoire imaginaire et crée des œuvres ou des reproductions de tableaux de Chaïm Soutine ou Pablo Picasso. «L’image dans son ensemble m’enivre autant par le toucher du peintre que par le regard que celui-ci porte sur son sujet. Presque autant que l’ivresse ressentie grâce au vin, voire plus.»

Egalement passionné de cinéma dès l’adolescence, il s’imagine en tant que metteur en scène qui s’est finalement trompé de carrière. En première année estudiantine, il s’oriente vers la philosophie, expérience qu’il qualifie jusqu’à ce jour de calamiteuse, et bascule vers des études cinématographiques. C’est l’Institut supérieur des arts (Insas) en Belgique qui lui fait les yeux doux.

Un seul hic… le manque d’argent pour financer le concours. Youri trouve un petit boulot de serveur dans un restaurant à Genève. Le propriétaire des lieux lui annonce après deux semaines qu’il n’est pas fait pour le métier de salle, tout en lui demandant ce qu’il sait faire. «Avec du grillage de cage à poules et des composites recyclés, je lui fabrique l’emblème de son restaurant, de deux mètres sur trois, en papier mâché.» Conquis, le patron lui demande de concevoir l’ensemble de la décoration de son restaurant. Le résultat fait un carton… il n’y aura pas de retour en arrière.

Direction l’EPFL pour des études d’architecture, que Youri termine avec brio. Diplôme en poche, il décroche rapidement un important mandat commercial à Genève et se voit confier la mission de décorer Le Passeur de Vin. «On m'a demandé de repenser les lieux avec deux fois moins de budget et trois fois plus vite que les autres architectes», se souvient-il en plaisantant. Un coup de pouce décisif qui lui permet d’enchaîner les projets, qui se succèdent rapidement.

La dame qui a fumé

Des établissements genevois tels que le Bottle Brothers, le Bologne, l’Osteria Zaza, le Café de La Plage au Grand Théâtre ou encore la pizzeria Cinecitta font partie de son catalogue. Mais qu’est-ce qui peut bien le faire vibrer au point qu’il se spécialise dans le milieu de la restauration? «Il y a toujours une histoire autour d’un restaurant. Un restaurant, c’est bien plus qu’une assiette avec des aliments. C’est le bruit d’une machine à café, c’est le serveur qui compte ses pourboires derrière un comptoir en fin de service, c’est le manteau d’une dame qui vient de s’asseoir après avoir fumé une cigarette à l’extérieur.»

Tout l’intéresse, tout le passionne dans ce microcosme qui change de jour en jour et de service en service! A la manière d’un metteur en scène, il amène avec subtilité le monde du cinéma dans cet univers, comme une source d’inspiration inépuisable pour ce créateur d’espaces. Clients et environnement sont les ingrédients indispensables qui vont l’entraîner à prendre son chevalet, ou pas.

Youri tisse ensuite la toile architecturale du projet. «Il faut que l’histoire qui se dégage du lieu soit lisible pour tous. L’univers à créer débute toujours par la créativité de l’autre.» Ultime source d’inspiration? Son épouse Natacha, qui alimente son souffle créateur et a une influence majeure au quotidien sur son univers artistique.

Profil

1984 Naissance à Genève.

2011 Obtient son diplôme d’architecture à l’EPFL.

2012 Ouvre son propre bureau d’architecture et de scénographie, YKRA.

2018 Devient professeur à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD), à Genève.

2021 Ouvre le showroom et la galerie de meubles Dimanche, à Genève aussi.

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