Yvette Helfer, la vie en mobile home sinon rien
Vieillir en Suisse
AbonnéÉPISODE 1. Après une vie rythmée par des aventures aux quatre coins du globe, cette octogénaire réside depuis plus de dix ans au camping de Vidy, et elle ne changerait ça pour rien au monde

Parce qu'il y a autant de scenarii possibles que d'aînés, eux ont choisi de passer leur «troisième mi-temps» entre amis, au camping, ou en colocation entre séniors. Cette semaine, Le Temps va à la rencontre des seniors qui ont souhaité repousser, ou bien ont refusé, la perspective de l'EMS. Et qui vivent leur meilleure (fin de) vie.
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Des aventures de voyage, Yvette en a 1000 à raconter. Une expédition en voiture jusqu’en Inde à dormir dans sa Citroën, son émerveillement pour les terres afghanes, deux décennies à vivre dans un mobile home en Californie, une traversée de la Méditerranée – du port de Beyrouth jusqu’au Caire –, et maintenant sa retraite paisible au camping de Vidy. Yvette Helfer, c’est «la voyageuse du camping», comme l’appellent ses voisines.
Née à Lausanne, elle connaît une enfance mouvementée par les déménagements – contraints par le métier de son père, officier à l’armée suisse. L’adolescente de l’époque souffre de cette instabilité: «Il fallait tout recommencer à chaque fois, je perdais mes amies, j’arrivais pas à suivre.» Mais cela ne l’a pas empêchée, plus tard, de vivre une vie nomade hors de sa terre natale. C’est avec son mari Marcel qu’elle assouvit cette soif d’ailleurs. Grâce à leurs économies, ils enchaînent les voyages aux quatre coins du globe, et parcourent en motor-home la plus grande route du monde, la Transaméricaine – de la Terre de Feu en Argentine jusqu’en Alaska. Pour, enfin, élire domicile aux Etats-Unis pendant plus de vingt-cinq ans.
La retraite sera au camping
Au milieu de leur quarantaine, ils décident de traverser l’Atlantique pour vivre l’American dream, mais à leur manière. Toujours dans la simplicité et avec leur motor-home transporté par bateau depuis la Suisse. Ou plus tard dans leur mobile home dans la ville montagneuse de Mammoth Lakes. C’est dans cette station de ski, sous des épaisses couches de neige, qu’ils deviennent propriétaires d’un restaurant qu’ils nomment «Matterhorn». Une manière pour eux de retrouver un peu de leur terre helvète en Amérique. Par contre, pas de fondue ni de raclette au menu, «les Américains n’aiment pas l’odeur». C’est pourtant l’ouverture d’esprit et la sympathie des Américains qui les retiennent sur place et retardent leur retour en Suisse.
Une fois à la retraite, ils ressentent le besoin de revenir au bercail. C’est au camping de Vidy, au bord du lac, dans leur mobile home de vacances qu’ils s’établissent. Leur maisonnette de 30 m² Sierra Nevada, à la façade en bois et au style chalet à l’intérieur, a tout le confort d’un appartement classique, mais à taille réduite. Une décoration épurée et «cosy, comme on dit en Amérique». Sur les étagères sont parsemés des souvenirs de voyages: des statuettes d’Inde, des photos argentiques, une table en cuir du Pérou. «C’est le plus beau mobile home de tout le camping», s’exclame son voisin. Une maisonnette dans laquelle son mari, menuisier de profession, «passait des heures à bricoler chaque recoin possible.» Atteint d’un cancer, il en est décédé il y a neuf ans. Yvette poursuit maintenant seule leur passion commune du camping.
«Je suis libre comme les oiseaux»
Yvette s’amuse à nous faire deviner son âge. Septantaine? Pas du tout. Bientôt 86 ans. La vie en camping, selon elle, est un remède anti-âge, parce qu’«on passe notre vie à l’extérieur et en contact avec la nature». Mais derrière toute cette légèreté se cache néanmoins la peur de vieillir: «La vieillesse, je n’en parle pas. C’est mieux comme ça.» Et quand on évoque les maisons de retraite, Yvette s’en préoccupe peu. «Tout ce que je souhaite, c’est de pouvoir rester ici jusqu’à la fin de mes jours.»
Alors, quand on lui demande ce qu’elle aime tant dans cette vie au camping, elle répond sans hésiter: la liberté! «Je suis libre comme les oiseaux, je suis prête à m’envoler.» Cette dernière n’envie rien à une vie en appartement. «Une fois qu’on a pris l’habitude de vivre dans un mobile home, on ne retourne pas dans un appartement. On n’y pense même pas», dit-elle avec joie. Une vie simple, c’est tout ce qui peut l’épanouir.
Sous le signe de la convivialité
«Yvette, c’est la ragoteuse du camping», rigole sa voisine, elle aussi retraitée. Il n’y a pas un instant sans qu’une personne salue Yvette avec enthousiasme. Même le petit Alex, vivant à Doha, mais originaire de Lausanne, qui vient au camping tous les étés avec ses parents, s’arrête toujours pour s’assurer qu’elle va bien. Elle nous confie lui glisser parfois dans la main un petit chocolat. Il lance: «Yvette, ça fait 400 années qu’elle habite ici.» Elle s’amuse: «Ah oui c’est presque ça.» Il repart sur son gros vélo: «A demain, Yvette.»
Entre les haies de son jardin, une voix rauque s’impose avec humour: «Madame Yvette, vous êtes attendue au restaurant de Claudio. Vous n’allez pas raconter toute votre vie, sinon on ne va jamais manger.» Claudio, son voisin depuis une dizaine d’années, la moustache remontée, vient la chercher sur son scooter électrique pour l’apéro. Ancien restaurateur lui aussi retraité, l’Italien d’origine conserve sa passion pour la cuisine, qu’il fait valoir auprès de ses voisines. Il leur concocte des plats avec soin et elles sont ravies de se sentir comme au restaurant. «Venez boire un petit Ricard à côté.» A la vôtre, Yvette.
En bref
1936 Naissance.
1958 Mariage.
1967 Voyage en Inde en voiture.
2011 Résidence au camping de Vidy.