20 ans
Zumba, MMA, parkour… Ces vingt dernières années ont vu apparaître de nombreuses nouvelles disciplines, qui permettent aux sportifs d’aller voir ailleurs dès qu’ils s’ennuient. Tout en mettant au défi structures traditionnelles et collectivités publiques

Cette année, Le Temps fête ses 20 ans. Né le 18 mars 1998, il est issu de la fusion du Journal de Genève et Gazette de Lausanne et du Nouveau quotidien. Nous saisissons l’occasion de cet anniversaire pour revenir sur ces 20 années, et imaginer quelques grandes pistes pour les 20 suivantes.
Lire aussi:
De mémoire d’enseignants, ce n’était jamais arrivé. Cet hiver, deux étudiants en sciences du sport de l’Université de Lausanne ont abordé leur camp de neige sans avoir jamais chaussé de ski. Au pays de Roland Collombin et Didier Cuche, il est aujourd’hui possible d’être suffisamment mordu de sport pour vouloir y consacrer ses études, suffisamment doué soi-même pour réussir les exigeants tests d’admission, et néanmoins totalement étranger à la chose alpine.
C’est surprenant, mais pas anodin. Cet exemple ne traduit pas seulement le déclin (réel) du ski alpin mais aussi la mutation du destin sportif des jeunes Suisses. Ils ne passent plus nécessairement par les incontournables (foot, hockey, gymnastique, ski, etc.) comme le constate au quotidien l’historien Grégory Quin: «A l’université, nous voyons bien que les profils sportifs des étudiants sont de plus en plus divers.» Ils profitent pleinement des nombreuses disciplines qui sont apparues ou se sont démocratisées un peu partout ces vingt dernières années.
Lire aussi: L’école, laboratoire des sports de demain
En 1998, la zumba (à mi-chemin entre la gym et la danse) et le crossfit (une évolution du fitness) n’existaient pas. L’ultra-trail, le parkour et le MMA ne passionnaient que des niches d’initiés. En 2018, ces activités connaissent un succès phénoménal. D’autres, à peine créées, aspirent à un même essor et se développent plus ou moins rapidement.
De nombreux indicateurs statistiques attestent de la diversification du paysage sportif. Les personnes interrogées pour les enquêtes de référence de l’Observatoire suisse du sport et de l’activité physique témoignaient de l’existence de 141 disciplines différentes en 2000, 185 en 2008 et 261 en 2014.
Trois grandes familles
Les sports universitaires lausannois proposaient une soixantaine d’activités en 1998. Vingt plus tard, 123 figurent au programme. «Pour moi, il y a trois grandes familles de sports en expansion, explique le directeur, Pierre Pfefferlé. D’abord, les arts martiaux, dont de nouvelles formes apparaissent régulièrement. Ensuite, les danses, déclinables à l’infini ou presque. Enfin, tout ce qui touche au wellness, au sport-santé, comme le taï-chi, le Pilates…»
Lire aussi: A Lausanne, 75 ans de muscle et de matière grise
Au bord des pelouses, les entraîneurs de football regrettent l’époque où «il n’y avait que le ballon rond», dès qu’un junior quitte leur équipe pour aller faire du taekwondo ou du football de table (qui vient de devenir la 90e fédération affiliée à Swiss Olympic). Ils n’ont pas tout tort: le choix d’activités à embrasser n’a jamais été aussi large.
Cela tient à la fois à l’individualisation des modes de vie (qui pousse à choisir l’activité qui nous convient le mieux), à la mondialisation du savoir (ce qui se passe à l’autre bout de la planète est à portée de clic), à la créativité des jeunes profs de sport (qui inventent des jeux à vertu pédagogique) et à une volonté politique. «On le voit clairement dans les discussions en vue des Jeux de la jeunesse, lance Patrice Iseli, chef du Service des sports de la ville de Lausanne. Le Comité international olympique encourage les nouvelles idées, les nouveaux sports.»
Grisante nouveauté
Aux JO de Pyeongchang le mois dernier, il y avait 102 épreuves, presque deux fois plus qu’à Nagano voilà vingt ans (68). Presque personne ne s’étonne donc que l’e-sport ou le snow-volleyball affichent des ambitions olympiques: la perspective de séduire en masse le jeune public ou d’offrir une variante hivernale au beach-volley, lui-même variante estivale du volleyball, suffit à prendre la démarche au sérieux.
Lire aussi: Pyeongchang 2018, c’était tout ça
Au niveau du sport de base, soit chez les enfants et les athlètes amateurs, la tendance a engendré une nouvelle forme de tourisme. Il n’est pas rare qu’un enfant fasse une année de judo, puis six mois d’escrime, deux ans de volleyball, etc. «Nous sommes clairement entrés dans l’ère du zapping, valide Patrick Pollicino, chef du Service des sports de la ville de Neuchâtel. On le voit clairement au quotidien: ceux qui cherchent à s’épanouir dans une seule discipline sur le long terme forment une minorité.»
Chaque activité inédite offre une échappatoire supplémentaire pour celui qui s’ennuie sur le terrain. «C’est gratifiant d’être confronté à quelque chose de nouveau car, au début, l’apprentissage est rapide et l’accès au plaisir quasi immédiat, explique Pierre Pfefferlé. Mais il y a toujours un moment où on stagne, où on bute sur une étape et pour la franchir, cela demande des efforts. C’est à ce moment qu’il peut être tentant de changer de sport pour revenir au phénomène grisant des débuts…»
Un niveau qui se tasse
Les études de l’Observatoire du sport et de l’activité physique montrent que, ces vingt dernières années, les Suisses font de plus en plus de sport, et de plus en plus de sports différents. De 3,1 à 3,8, en moyenne par personne interrogée, entre 2000 et 2014. «Cela signifie que, en moyenne, les gens pratiquent presque une activité de plus qu’il y a vingt ans», synthétise l’historien Grégory Quin.
Le revers de la médaille: ils consacrent à chacune moins de temps, moins d’énergie, ce qui peut conduire le niveau global à se tasser. L’exemple de la course à pied est particulièrement éloquent: une centaine de Suisses terminaient Morat-Fribourg en moins d’une heure voilà trente ans, ils n’étaient que seize en octobre 2017, alors que l’époque est au boom du running.
Lire aussi: La folle histoire du running
La communauté des sportifs est de plus en plus large mais sa croissance échappe pour bonne part à la structure traditionnelle: fédération nationale-association régionale-société locale. «Les premiers cours d’aérobic diffusés à la télévision remontent au début des années 80, rappelle l’historien Grégory Quin. Cela a enclenché un processus d’individualisation de l’expérience sportive qui a amené la population dans les salles de fitness, et plus récemment de crossfit. Ce sont des structures commerciales quand les disciplines traditionnelles reposaient sur un modèle à but non lucratif.»
L’avantage: on paie, on transpire, et puis c’est tout. Personne ne vient demander un coup de main pour la buvette ou le loto annuel. Une partie des membres (de clubs sportifs) ont accepté de devenir des clients (de salles, de fitness, de cours) pour échapper à ces contraintes chronophages mais constitutives de la vie associative. En conséquence, le nombre de clubs en Suisse a diminué de presque un tiers en vingt ans: il y en avait 27 090 en 1996 et plus que 19 147 en 2016. En parallèle, les sportifs s’organisent de plus en plus de manière informelle via des groupes WhatsApp.
Tournus naturel
S’adapter à la nouvelle donne est un défi permanent pour les collectivités locales. Les demandes explosent, tandis que les infrastructures ne sont pas extensibles. De nombreuses communes romandes contactées par Le Temps assurent ne plus avoir le moindre créneau horaire disponible dans leurs salles de sport.
Lire aussi: Portrait du club suisse typique
En Valais, Sion compte par exemple 130 clubs, un chiffre stable depuis 1998, faute de place pour de nouvelles sociétés. «Nous avons été contactés par une équipe de futsal mais nous avons dû leur dire que nous ne pouvions rien faire pour elle», regrette le chef de service, Blaise Crittin.
Pour prendre la mesure d’une population sédunoise toujours plus active (10 000 utilisateurs quotidiens des infrastructures sportives pour 33 000 habitants), la ville a inauguré ces vingt dernières années de nombreuses installations en libre accès (terrains de beach-volley et de basket, skatepark, piste de BMX). A la piste d’athlétisme de l’Ancien-Stand, les projecteurs peuvent être allumés en toute autonomie par les sportifs qui souhaitent s’entraîner de nuit.
A l’Université de Lausanne, Pierre Pfefferlé estime que la créativité des amateurs de sport n’aura jamais de limite. Mais toutes les activités ne perdureront pas ad vitam æternam. «A mon avis, nous allons arriver à une sorte de tournus naturel avec des disciplines qui apparaissent et d’autres qui s’éteignent d’elles-mêmes.» Les phénomènes de mode se chargeront d’assurer le zapping.