Escalade
Le grimpeur tchèque a réussi à enchaîner le premier 9c du monde, en Norvège. Un niveau encore jamais atteint qui s’étend sur un dévers de 45 mètres et pour lequel il a investi des années d’entraînement

Grimper et époustoufler. S’il fallait résumer les vingt-quatre années de la vie d’Adam Ondra, ce serait peut-être au moyen de ces deux verbes. Car dans le milieu de l’escalade, le petit prodige, c’est lui.
Pour ceux qui l’ont suivi dès ses débuts, Adam Ondra, c’est une bouille. Une tête frisée, un sourire rêveur, des lunettes et des membres filiformes qui s’allongent au fil des ans. Mais c’est aussi un palmarès. A 9 ans, le Tchèque réussissait son premier 8a, une cotation pour laquelle certains consacrent une vie. En 2006, à 13 ans, il était le plus jeune grimpeur à enchaîner une voie dans le neuvième degré.
Aisance déconcertante
Il a grandi, pris de la masse musculaire, mais jamais il n’a cessé de défrayer la chronique. Avec une aisance déconcertante, il a enchaîné les voies les plus difficiles du monde. Les deux 9b + «Change», à Flatanger, en Norvège, et «la Dura Dura», à Oliana, en Catalogne, lui succombent entre 2012 et 2013. Et l’année passée, ce sont les 32 longueurs du Dawn Wall qui s’inclinent lors de son passage express dans le Yosemite.
Cette semaine, il a permis à l’escalade d’atteindre un nouveau palier. Bien qu’il ne soit pas le seul au monde à escalader à ce niveau, cela n’étonne personne que la nouvelle vienne de lui. «Je suis juste vraiment content», affirmait-il en souriant dans une vidéo postée sur Instagram le 3 septembre. Le sésame de son bonheur s’appelle «Project Hard», une voie qu’abrite la grotte de Flatanger, à quelques kilomètres de Trondheim. Il la travaille depuis 2012 et c’est le premier 9c de la planète.
Pour l’heure, comme il est le seul à avoir parcouru cette voie, la cotation n’en revient qu’à son appréciation personnelle. Adam Ondra est encore en Norvège pour quelques jours et profite de sa réussite pour fêter, grimper et se remettre de ses émotions. Jamais il n’a eu affaire à une telle difficulté.
Le Temps: On a l’habitude de vous entendre crier en grimpant et exploser de joie une fois la voie finie. Cette fois, vous êtes resté silencieux. Pourquoi?
Adam Ondra: C’est la voie la plus importante de ma carrière. C’est celle qui m’a demandé le plus de travail. Je crois qu’elle me demandait trop de précision pour me permettre de crier. Et en arrivant en haut, j’ai eu un sentiment étrange: rien n’est venu. Tout ce que je pouvais faire, c’était rester suspendu et sentir les larmes me monter aux yeux.
– Vous n’y croyiez pas?
– Je ne pensais pas y parvenir si rapidement. C’était aussi une journée particulièrement chaude, 16 ou 17 degrés, alors que normalement, 10 degrés valent mieux pour grimper des voies difficiles. Et j’étais fatigué des jours précédents. Je pense que le fait de ne pas vraiment croire en ce jour m’a protégé de la pression. Y aller relax m’a beaucoup aidé car le mental en grimpe est le plus important.
– On dit de «Project Hard» qu’il s’agit d’une voie futuriste.
– Si on raconte cela, c’est sans doute parce qu’elle demande des mouvements inédits. C’est presque un toit. Une voie d’environ 45 mètres sur du granite qui déverse à 60 degrés. Il y a trois sections plus ou moins difficiles qui sont séparées par deux repos assez précaires. Le premier est un coincement de genou, le second implique de se mettre en position de chauve-souris. La solution que j’ai trouvée pour passer le crux, la partie la plus difficile, me demande de grimper les pieds en avant. Ce passage ne fait que dix mètres, mais est déjà à lui seul un problème de classe mondiale.
En général, la voie ne requiert pas que de la puissance dans les doigts et les bras, mais elle demande que tous les muscles soient engagés d’une façon particulière et que chaque mouvement soit exécuté avec une précision millimétrée.
– Les saisons en Norvège sont courtes: vous ne pouvez grimper qu’au printemps et en été. Pourquoi avez-vous choisi cette paroi de Flatanger?
– Il y a beaucoup d’endroits dans le monde où l’on peut trouver un 9c, mais Flatanger est un lieu particulier. Les paysages sont magnifiques et la grimpe est vraiment unique. Trouver un secteur de granite qui soit raide avec autant de particularités n’est pas si facile. Ici, la plupart des prises semblent avoir été créées pour la grimpe, et le grain de la roche est excellent.
Cette voie m’a demandé de résoudre l’impossible. Ce sont les séquences les plus cryptées et étranges que j’aie jamais faites. J’ai mis des semaines pour comprendre quelle prise de mains ou de pieds il fallait utiliser, quelle pression j’allais devoir appliquer, quelle position adopter, comment insérer mon pied dans la fissure… Tout cela a rendu l’expérience très excitante. Mais très frustrante aussi par moments.
– L’année passée, vous disiez que vous n’étiez pas assez fort pour «Project Hard»…
– Oui. Je suis venu sept fois à Flatanger et lors de tous ces voyages j’ai dû me rendre à l’évidence: «Cette voie est faisable, mais en ce moment, je ne suis pas assez fort.» Ce n’est que cette année que j’ai senti que je pouvais y arriver.
– Vous avez pris un coach, Patxi Usobiaga, qui entraîne aussi Chris Sharma, un des seuls grimpeurs qui puisse peut-être venir tester votre 9c.
– Oui. Depuis que j’ai fini mes études, j’ai pris un coach et un physiothérapeute. Ils m’ont aidé à élaborer des exercices uniquement destinés à cette voie. On a par exemple beaucoup entraîné mes mollets, car c’est grâce à leur force que j’ai pu coincer mon genou pendant les repos. Tête en bas, mes bras sont ainsi libres et, malgré le fait que la position est fatigante pour le reste du corps, ils se reposent juste le temps nécessaire pour pouvoir poursuivre la voie. Ces coincements de genou font à mon avis de cette voie un 9c.
– Vous êtes donc certain de la cotation?
– Selon mon expérience, les gens qui donnent des cotations les surestiment souvent. Mais là, je pense être assez exact.
– Est-ce que le fait d’avoir enchaîné cette voie fait de vous le meilleur grimpeur du monde?
– (Il hésite.) Peut-être, car parmi les grimpeurs, il n’y en a pas beaucoup qui aient enchaîné autant de voies si difficiles dans ces niveaux. J’avoue que c’est agréable d’entendre qu’on est le meilleur, mais ce qui m’importe, c’est que j’ai fait ma propre progression. J’ai beaucoup travaillé et j’ai atteint mon but. On escalade des voies qui sont créées par la nature, le challenge est surtout personnel et le but, au fond, n’est pas de combattre quelqu’un d’autre.
– Envisagez-vous de vous trouver désormais un 9c +?
– Je sais maintenant qu’il est humainement possible de grimper un 9c + ou un 10a. En ce qui me concerne, cela me demandera des années d’entraînement. Pour l’instant, je préfère rester dans des niveaux plus faciles en 9b et les enchaîner plus rapidement.