Publicité

Grimper, un acte qui peut être solidaire

Active depuis 2016 entre la Suisse et le Liban, l’association ClimbAid a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des réfugiés syriens ainsi qu'une  coexistence pacifique avec les Libanais. La grimpeuse Katherine Choong est allée lui porter main-forte en octobre dans la vallée de la Bekaa

Dans la plaine de la Bekaa, au Liban, des réfugiés ont l'opportunité de pratiquer l'escalade grâce à l'association suisse ClimbAid. — © Jameson Schultz
Dans la plaine de la Bekaa, au Liban, des réfugiés ont l'opportunité de pratiquer l'escalade grâce à l'association suisse ClimbAid. — © Jameson Schultz

Le grimpeur est un voyageur. Il sillonne la surface de la terre en quête de nouvelles parois et d’expériences suspendues entre ciel et terre. La grimpeuse suisse Katherine Choong en a l’habitude. D’ailleurs, si elle quitte son pays, c’est essentiellement pour performer dans une voie tout en découvrant un pays ou participer à des compétitions. «En général, tout est centré sur moi», confie-t-elle. Mais en octobre, à l’invitation de l’association suisse ClimbAid, elle a décidé de changer ses habitudes, de partager sa passion et de transmettre son savoir-faire. Elle en revient exaltée.

Lire aussi: Katherine Choong, le pied qui a fait la différence

Active essentiellement dans la vallée de la Bekaa au Liban, ClimbAid a pour objectif de combiner grimpe et action humanitaire auprès des habitants et des réfugiés accueillis sur le territoire libanais. Beat Baggenstos, son fondateur, pratique lui-même ce sport passionnément depuis 2012. Et avant de distinguer le potentiel caritatif de son activité, il a voyagé pour répondre à ses envies de falaise et d’attrait du vide.

Changement de carrière

Il venait de tourner le dos à une carrière dans la finance et parcourait les continents de l’hémisphère austral en quête d’aventures. Après des mois de vagabondage, cette situation l’a dérangé. «Les grimpeurs qui voyagent forment une communauté de personnes qui vivent en harmonie avec la nature et consomment peu, mais ils restent des êtres particulièrement privilégiés, centrés sur leurs performances et leur développement personnel», relève-t-il au téléphone. L’Argovien décide donc de réagir. On est en 2016, les réfugiés syriens continuent d’affluer sur le territoire libanais. Des camps, notamment dans la plaine de la Bekaa, sont apparus dans le pays. Il connaît la région pour l’avoir parcourue et décide d’y investir son énergie.

La combinaison entre grimpe et action humanitaire lui paraît évidente. Aujourd’hui encore, il en est convaincu: «L’escalade permet d’améliorer la santé physique mais aussi psychique de ceux qui la pratiquent. Ce sport améliore l’estime de soi. En outre, il renforce l’esprit d’équipe et permet des interactions sociales.» De plus, à ses yeux, la grimpe est vecteur de paix. Et la vallée de la Bekaa en a besoin.

Faire bouger les montagnes

Beat Baggenstos est un idéaliste. Il est cependant rapidement confronté à la dure réalité des migrants au Liban. «Emmener des réfugiés musulmans grimper sur des parois qui s’élèvent en territoire principalement chrétien était compliqué, se souvient-il. Et les faire passer, sans papiers, les multiples checkpoints militaires, encore plus.» Emprisonnés entre le mont Liban et l’Anti-Liban, ces exilés risquaient gros en tentant d’aller toucher du caillou. Le rêveur ne baisse pour autant pas les bras. Il décide de leur amener «la montagne».

Cinquante mille francs ont été nécessaires pour monter son projet. Des dons accumulés au gré des coups de chance, et l’aide d’une équipe investie ainsi que d’une assurance suisse lui ont permis d’atteindre son objectif: il crée un mur d’escalade sur les flancs d’un camion. Ce «Rolling Rock», tel qu’il le baptise, offre des possibilités de pratiquer le bloc, au-dessus de matelas, sans corde. A son bord, l’Argovien visite les camps de la Bekaa.

Des grimpeurs sélectionnés

Depuis, ClimbAid travaille avec des associations actives sur place qui sont chargées de sélectionner les participants parmi les adolescents présents dans la vallée. «Nous avons aussi rapidement ouvert les cours d’escalade aux Libanais et constatons avec joie les liens d’amitié qui se créent entre les nationalités», souligne le fondateur. Aujourd’hui, Beat Baggenstos s’avoue heureux d’observer les résultats positifs de son pari sur les jeunes participants. «Ils se motivent entre eux, ne se tapent plus lorsqu’ils ne sont pas d’accord. Ils collaborent et résolvent les conflits de façon pacifique. Le respect entre fille et garçon a aussi été instauré. C’est pour nous un beau signe de progrès.» A l’avenir, des cours d’anglais seront donnés en parallèle de l’activité sportive et la possibilité de toucher du vrai caillou pourrait, selon les dires du fondateur, se concrétiser.

En Suisse aussi

Jusqu’alors, hormis un chef de projet libanais salarié, ce sont essentiellement des volontaires qui portent main-forte à ClimbAid sur place. L’association jouit aussi de l’engagement de certains acteurs de haut niveau au sein du milieu de la grimpe tels que les Suisses Nina Caprez et Fred Nicole ou les Français Stéphanie Bodet et Arnaud Petit. Katherine Choong a quant à elle rejoint ces rangs dès cet automne. Dans l’attente de retourner au Liban, elle s’attelle désormais à participer au développement d’une offre de cours d’escalade pour les personnes issues de la migration en Suisse romande.

Car depuis 2016 déjà, l’association, en collaboration avec des organisations locales d’aide aux migrants, offre cette opportunité aux demandeurs d’asile dans six salles en Suisse alémanique. Beat Baggenstos ne cache pas être à la recherche de volontaires suisses romands passionnés d’escalade pour soutenir ce projet. «Les grimpeurs ont beau être focalisés sur leurs performances, ce sont des êtres réfléchis et pleins de ressources, assure-t-il. Beaucoup d’entre eux me disent vouloir donner après avoir joui de tant de privilèges.» Voyageur, le grimpeur? Pas seulement.