Un joli parcours alpin. C’est en ces mots que Ludovic Lattion, l’organisateur du Trophée du Saint-Bernard décrit sa course de ski-alpinisme. L’événement qui s’est déroulé ce 9 février sur la commune de Liddes, dans le val d’Entremont en Valais, a réuni plus de 380 participants. Tous ont parcouru les 19 km entre le village de Dranse, la Tour de Bavon et le Bec Rond dans la Combe de l’A. A l’issue de ces 1820 mètres de dénivelé, entre forêt et cime face au massif du Mont-Blanc, l’initiateur s’est dit heureux et impatient dans l’attente d’une seconde édition prévue en 2022.

Mais ce bonheur n’était pas partagé. Cet événement, imaginé dans le cadre du travail de maturité de l’organisateur, se déroule sur l’un des 42 districts francs fédéraux. Il s’agit d’une zone de protection de la faune et de la flore où la pratique des sports de neige est soumise aux mêmes restrictions que dans les zones de tranquillité. Tout visiteur se doit de rester sur les itinéraires balisés. «Et les manifestations de masse nécessitent une autorisation», précise Marie-Thérèse Sangra.

Une procédure «précipitée»

Pour la secrétaire régionale de la section valaisanne du WWF, cette manifestation n’aurait pas dû avoir lieu dans un district franc fédéral, ou aurait au moins dû être mise à l’enquête plusieurs mois avant la course. «La procédure d’organisation a été précipitée, constate Marie-Thérèse Sangra. Elle ne nous a pas permis de faire entendre notre voix. Au contraire, les autorités ont même retiré l’effet suspensif, nous mettant ainsi devant le fait accompli.» Le WWF, ainsi que Pro Natura et Mountain Wilderness ont donc déposé un recours dans la but d'empêcher une seconde édition du Trophée du Saint-Bernard.

Interrogé dans Le Nouvelliste, en décembre dernier, Marcel Theux, responsable du parcours de la course, fait part de sa surprise face au désaccord émis par les organisations environnementales. Il est toutefois confiant dans l’avenir de l’événement: «Le Trophée du Saint-Bernard a obtenu toutes les autorisations nécessaires et le parcours a été validé par le Service valaisan de la chasse, de la pêche et de la faune.» Et c’est bien là le problème pour les opposants: «Les autorités auraient dû demander à ce que cette manifestation se déroule dans une autre vallée», relève Jérémy Savioz, chargé d’affaires à Pro Natura Valais.

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Pour les militants, il est grand temps de mieux régler la gestion des districts francs – zones protégées qui représentent 3,7% du territoire suisse – compte tenu des conséquences de la présence humaine sur la biodiversité. «Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte de démultiplication des activités de loisirs en plein air. Grâce à un matériel sportif beaucoup plus performant, il y a du monde partout dans la montagne, dénonce Marie-Thérèse Sangra. Il est nécessaire de réserver des zones où les animaux ne sont pas dérangés.»

Calme requis

En hiver, des espèces comme le lièvre variable, le tétras-lyre ou le lagopède doivent leur survie au calme. «Les cerfs et les chevreuils en ont d’ailleurs aussi besoin. Or le passage de groupes de skieurs ou randonneurs les effraie et peut, à la longue, leur être fatal», souligne la représentante du WWF. Elle remarque toutefois que ces utilisateurs le font souvent à leur insu et par ignorance. «C’est pourquoi un meilleur balisage ainsi qu’une amélioration des itinéraires proposés sont nécessaires. Car nous ne nous opposons en aucun cas à ces activités.»

Dans le cadre de la révision de la loi sur la chasse, un groupe de travail a été créé afin de trouver un compromis entre les différents pratiquants de la montagne. En Valais, la première réunion a eu lieu en début d’année. Au même titre que les organisations de protection de l’environnement et du service de la chasse, de la pêche et de la faune, les guides de montagne y sont conviés.

Trop de contraintes

Pierre Mathey, le secrétaire général de l’Association suisse des guides de montagne, tient à défendre une vision libre de la montagne: «Nous ne voyons pas aujourd’hui la nécessité d’avoir plus de restrictions. Bien sûr, il faut protéger. Mais tenir compte des activités humaines et économiques est aussi nécessaire.» Selon lui, les 3,7% du territoire suisse protégés sont mal répartis: «On ne peut plus rien protéger sur le plateau. Si l’on veut augmenter cette part, ce sera inévitablement en montagne et cela réduit notre marge de manœuvre.»

Quelle est donc la solution? Autant le WWF que le représentant des guides penchent pour définir des couloirs canalisant le passage des adeptes de sports d’hiver. «C’est toutefois complexe, car pour des raisons de sécurité nous ne pouvons pas nous résoudre à demeurer par exemple sur une seule face», souligne Pierre Mathey. L’homme suggère également plus de souplesse au-delà de la limite forestière, «là où il y a moins de faune».

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«L’être humain peut-il vraiment aller partout?» s’insurge Marie-Thérèse Sangra. Elle relève une contradiction de la part des pratiquants de sports d’hiver: «Certes le Valais est traditionnellement un canton de tourisme. Il faut toutefois combiner le respect de la nature avec le développement maîtrisé des activités de plein air et préserver la faune». En ce qui concerne le Trophée du Saint-Bernard, les organisations attendent la décision du canton et pourraient, le cas échéant, poursuivre la procédure jusqu'au Tribunal cantonal.