Le trail d’union des montagnes jurassiennes
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AbonnéLa première édition de l’Ultra-Trail des Montagnes du Jura s’est déroulée ce week-end dans des conditions dantesques. Tant mieux: cela nourrit le mythe d’une épreuve sur laquelle compte toute une région

Eric Picot peut se poser pour siroter tranquillement une petite pression. «Le plus dur est derrière nous», souffle le directeur de l’Ultra-Trail des Montagnes du Jura (UTMJ). Juste là, derrière lui, les coureurs engagés sur les deux plus courts parcours de l’événement (19 et 38 kilomètres) terminent les uns après les autres sous un soleil radieux qui rend le froid supportable.
L’ambiance était différente la veille, tout au long de l’épreuve-reine (180 kilomètres). Partis de Lancrans (Ain) vendredi à 8 heures, ils ont dû crapahuter le long de la frontière franco-suisse un jour et une nuit sous la pluie et les flocons, dans la boue et la neige, pour rallier Métabief (Doubs). Où Eric Picot sourit, entre deux gorgées de bière: «Oui, les conditions ont été vraiment dantesques. C’est le mot.»
Mais dans le milieu particulier de l’endurance extrême, plus on en bave, et plus on savoure. Alors quelque part, les organisateurs n’auraient pu rêver mieux que ce déchaînement des éléments pour leur première édition, estime Christophe, l’un des speakers. «Sur un ultra, on a en général entre 20 et 30% d’abandons. A 50%, on dit que ça a été particulièrement dur. Là, il y en a eu près de 70%! Cela fera le mythe de l’UTMJ. Ceux qui étaient là s’en souviendront, reviendront, et beaucoup voudront s’y frotter à leur tour.»
Un tourisme à réinventer
Cela tombe bien: l’événement a pour vocation de devenir une référence «nationale, voire internationale», sur le modèle (assumé) de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB). Ce rendez-vous a débuté de manière relativement modeste (711 participants en 2003) mais il est rapidement devenu incontournable tant pour le CV d’un spécialiste que pour l’économie de la vallée de Chamonix, son épicentre. Chaque édition attire aujourd’hui 10 000 coureurs et génère des retombées économiques considérables avant, pendant et après les courses. Mais en plus, montre le sociologue Olivier Bessy dans un article sur le sujet, l’UTMB a permis à Chamonix de devenir la «capitale mondiale du trail» quand elle a cessé, au profit de l’Himalaya, d’être celle de l’alpinisme. En somme: il a permis à la cité alpine de réinventer son identité.
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Voilà qui intéresse forcément les territoires touristiques jurassiens, historiquement liés à la pratique des sports d’hiver mais confrontés à la raréfaction de la neige en moyenne montagne. L’UTMJ est d’ailleurs organisée par l’Espace Mont d'Or, une association qui met sur pied des séjours touristiques sur mesure dans la région de Métabief. «Les perspectives d’enneigement à moyen terme ne sont pas très réjouissantes, valide Eric Picot. Chacun a sa petite idée originale ou atypique pour remplacer ce que l’on risque de perdre sur l’hiver, mais à mon avis, il faut simplement miser sur notre force: la beauté de la nature environnante. Et elle est particulièrement bien mise en valeur par le trail.»
Ce week-end, les cinq courses (180, 112, 72, 38 et 19 kilomètres) ont attiré un total de 2000 participants. La pandémie, que l’on n’oublie jamais puisque tout le monde porte docilement son masque, n’a pas eu que des mauvais côtés. Certes, il a fallu prévoir tout un tas de dispositions particulières et le spectre de l’interdiction a plané jusqu’au dernier moment. Mais les nombreuses annulations d’épreuves dans toute l’Europe ont aussi poussé les spécialistes, plus habitués à penser Alpes ou Pyrénées, à venir découvrir le Jura.
Le boom du VTT
Il semblerait que l’opération séduction fonctionne: tous les «finishers» passent la ligne en louant les paysages «ouverts sur le Léman et les Alpes», la qualité du parcours et le défi que représentent certains passages techniques. Au final, la course de 180 kilomètres affiche quand même un dénivelé positif respectable de 8300 mètres, pas si loin des 10 000 de l’UTMB…
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Mais il n’y a pas que le trail. En marge de l’événement, la station est surtout animée ce dimanche par un incessant ballet de VTT, dont les pilotes profitent du télésiège pour enchaîner les descentes. Au comptoir du magasin spécialisé Adrénaline, Stéphane Montfort confirme la tendance. «Durant l’été, on a loué tous nos vélos quasiment tous les jours, même par mauvais temps. Petit à petit, Métabief devient une station plus estivale qu’hivernale. Et à ce titre, oui, le trail est intéressant aussi. Cela fait trois jours que les parkings sont pleins: on comprend vite le potentiel!» Dans ses rayons, il n’a toutefois pas installé de matériel dédié. «Ce n’est pas notre spécialité, mais on verra à l’usage. De toute manière, c’est positif que la station soit animée. Les coureurs sont des sportifs. Ils reviendront peut-être faire du vélo…»
En attendant, le succès de la première édition de l’UTMJ suscite de l’intérêt. Le tenancier du Chaglisse, juste en face de l’arrivée, appelle à ce que «les commerçants locaux soient davantage impliqués, pour créer une vraie ambiance de fête», tandis que plusieurs régions laissées cette année à l’écart des parcours ont déjà fait vœu de rejoindre l’aventure, qui passe déjà pour le trail d’union entre les différents territoires jurassiens.
«J’ai compris que la nuit allait être longue»
Fabrice Fauser (33 ans) n’avait jamais pris part à une épreuve de plus de 100 kilomètres avant ce week-end. Cela n’a pas empêché l’habitant d’Arnex-sur-Orbe, dans le canton de Vaud, de s’imposer sur le grand parcours de l’Ultra-Trail des Montagnes du Jura (180 kilomètres), au terme d’une course disputée dans des conditions météorologiques extrêmes. Il raconte.
Le Temps: Vous avez pris le départ à un moment très particulier…
Fabrice Fauser: Oui, cinq ans jour pour jour après la fin de mon traitement contre le cancer. J’ai eu un lymphome de Hodgkin, qui a nécessité six mois de chimiothérapie et un mois de rayons. Après cela, j’ai vraiment repris goût à la vie. J’ai commencé à courir. Et je considère chaque dossard que je peux enfiler comme une victoire.
Mais cette fois, vous avez vraiment gagné. C’était votre objectif?
Pas du tout. Avant l’UTMJ, je n’avais jamais participé à une course de plus de 100 kilomètres. Je m’élançais dans l’inconnu. En plus, ces deux dernières semaines, je me suis laissé prendre par la fatigue et les doutes. Et il y avait du beau monde au départ… Donc jamais je n’aurais imaginé pouvoir m’imposer. Mais je suis parti vite, avec un petit groupe de six ou sept coureurs, et après une trentaine de kilomètres, je me suis retrouvé seul en tête, en ayant conscience que c’était un jour spécial pour moi. Et je n’ai plus revu personne.
Les conditions ont été épiques. Racontez-nous.
Il a commencé à pleuvoir deux ou trois heures après le départ et cela n’a pas cessé. Pendant la journée, cela allait encore, mais à 22 heures, il a commencé à faire très froid. J’ai compris que la nuit allait être longue, et je ne me suis pas trompé. Le long des Aiguilles de Baulmes, il y avait 10 centimètres de neige sur le sol. A Jougne, le vent était terrible. Pour couronner le tout, ma lampe frontale m’a lâché et je me suis retrouvé à devoir en attendre une autre, dans la nuit noire, sous la pluie battante, pendant vingt minutes. Un sacré moment de solitude… Mais j’ai pu compter sur le soutien de ma famille et d’amis tout au long de la course et au final, il y a eu énormément d’émotion.
Cette victoire vous ouvre-t-elle l’appétit?
Bien sûr. J’ai toujours eu le projet de découvrir le monde grâce au trail. J’avais d’ailleurs pour projet initial de participer à la Diagonale des Fous cette année. J’ai plein d’idées pour la suite.
Vous habitez au pied du Jura. Considérez-vous que le massif gagne à être connu en matière de trail-running?
Clairement. C’est complètement différent des Alpes, peut-être un peu moins spectaculaire dans le sens où l’on ne va pas trouver des ascensions de 1200 mètres dans des pierriers, mais il y a des dénivelés intéressants et des passages techniques que ce soit au Mont-Tendre, au Suchet ou au Chasseron. Et il y a également des passages très roulants. Je pense notamment que le Jura est idéal pour ceux qui débutent dans la discipline.