«La vie, dit-il, est une longue course d’endurance.» Ce week-end, David Genecand illustrera cette métaphore en réalisant un surprenant défi. Courir 200 km dans le canton de Genève. Deux fois deux boucles de 50 km. Un parcours en forme de huit, «symbole de l’infini et de tous les possibles».
Derrière ce projet, une philosophie pour celui qui se définit comme un healthy ultra-runner. Promouvoir le mouvement. Faire la guerre aux sucres, à la vitesse à tout prix et aux idées reçues. C’est le message qu’il véhiculera samedi et dimanche en avalant d’une traite quasiment l’équivalent de cinq marathons. «Je veux montrer aux gens qu’on peut bouger intelligemment.»
Un brin paradoxal que de vouloir sensibiliser la population aux bienfaits de l’activité physique saine en s’attaquant à un challenge d’une telle taille. «J’amplifie pour montrer que l’on peut aussi avoir de l’énergie sur une plus longue durée, précise le Genevois. Mais il est évident que, pour le commun des mortels, le but n’est pas de faire 200 km mais de prendre son vélo ou d’aller courir, de bouger.» Pour accentuer le bien-fondé de sa démarche, il a décidé de soutenir, à travers son événement «Ultra Genève 200 km», la fondation Sportsmile qui promeut l’activité auprès des enfants atteints de surpoids ou de maladies chroniques.
«Puise dans tes graisses et tu bougeras éternellement.» C’est le slogan dont David Genecand a fait son credo, son moteur quotidien depuis que sa route a croisé celle de son coach Stu Mittleman, pionnier de l’ultra-running et auteur du livre Slow Burn («brûler lentement»). Inspiré également de la méthode prônée par le Dr Phil Maffetone, expert de l’endurance, David Genecand a radicalement modifié son hygiène de vie et son approche de l’activité physique. «Ça fait quarante ans que je fais du sport. Longtemps, j’ai fait de l’équitation, de la musculation. Puis j’ai commencé à combiner natation, course et stretching. Et je me sentais bien. Puis je suis parti aux Etats-Unis, où je me suis lancé dans la course d’endurance, avec un premier marathon. Et lors d’un retour en Suisse, on m’a parlé de Stu Mittleman. J’ai commencé à travailler avec lui. C’est cette énergie développée qui m’a poussé à fond dans cette approche.» Elle tourne autour de trois axes: l’alimentation, l’entraînement et le mental.
Pour ce qui est de l’alimentaire, le Genevois a mis six mois à absorber intellectuellement un régime, adopté en 2009, qui proscrit les glucides et les carbo-hydrates. «Depuis, j’ai une énergie incroyable», dit-il. Il précise qu’il fonctionne en zigzag, c’est-à-dire en s’accordant de temps en temps des petits extras. Comme ce baba au rhum l’autre jour au restaurant… Il s’octroie aussi le droit de manger du fromage, mais sans pain, de la crème, mais sans meringue. Pour respecter l’équilibre acido-basique.
Dans leur alimentation, les healthy ultra-runners se basent sur une réalité physiologique: l’homme est fait pour brûler ses graisses. Sachant qu’elles constituent un des deux types de fuel auquel l’être humain a recours. L’autre étant les sucres. «Dans la philosophie de l’ultra-running, tout est axé sur les lipides puisque le corps est programmé pour les brûler. Théoriquement, on est tous capables de courir 1000 miles (1600 km) en ne puisant que dans nos graisses, dit-il. Avec un peu d’entraînement.»
Donc haro sur les sucres. «Ce que peu de gens savent, c’est qu’avec les glucides, on crée beaucoup plus d’oxydation et d’inflammations. Souvent, avant une course, il y a des pasta parties et tout le monde fait le plein de sucres lents. Du coup, le corps va d’abord puiser dans ces sucres et ne va pas brûler les graisses. D’où un effet parfois contraire, avec des athlètes, même de haut niveau, en surpoids. On l’a encore vu récemment aux Jeux olympiques de Londres.»
Lui, avant une course, il mange de la salade, du poisson et de l’huile d’olive. Il rappelle la différence entre les huiles dites pyromanes (beurre, viande, etc.) et les huiles anti-inflammatoires (oméga 3 et 6, avocat, poisson, amandes, etc.) «On dit qu’il faut deux rations d’huile anti-inflammatoire pour une d’huile pyromane. Les bonnes huiles apportent de l’énergie et favorisent l’endurance en diminuant les risques d’inflammation», précise-t-il.
Parfois, David Genecand part s’entraîner à jeun. Leur objectif, avec son coach qui planche sur ce concept depuis vingt ans, est de viser un taux de glycémie bas pour éviter les pics d’insuline et maintenir une vitalité constante.
S’il reconnaît que chaque individu est différent et que, par conséquent, les besoins ne sont pas tous les mêmes, il rappelle que les sucres – notamment raffinés – ne sont bons pour personne. Et suggère plutôt le miel et les pâtes complètes. «Je discute pas mal avec des médecins sportifs et des chiros. Tous confirment que si les athlètes de haut niveau se mettent à gonfler en arrêtant de s’entraîner, ce n’est pas parce qu’ils mangent trop. C’est parce que leur pancréas s’est détraqué en raison des fréquentes montées d’insuline. D’ailleurs, d’après l’OMS, le nombre de personnes souffrant de diabète va doubler d’ici à 2030.»
Lui, ce week-end, montrera qu’on peut se passer de glucides dans l’effort. Au cours de ses 200 km, il s’accordera trois ravitaillements, au bout de trois, douze et dix-huit heures de course. Une alternance de snacks ou «nourriture de confort» – soit des barres préparées maison à base d’amandes moulues, de blanc d’œuf, de cacao en poudre et de vanille –, et de soupe contenant du riz basmati, du quinoa et un peu d’huile.
Bien se nourrir donc. Bien s’entraîner aussi. Autre point essentiel de la philosophie des ultra-runners qui prône le travail à faible allure. «Bouger, c’est d’abord se mettre en mouvement», rappelle David Genecand. «Je vois tellement de gens sortir de chez eux, se mettre tout de suite à courir, pousser et s’arrêter pour retourner bosser ou rentrer à la maison. Ils ne prennent pas le temps de dire à leur corps «on va se chauffer» ni de dire à la machine de se calmer à la fin. En faisant ça, ils vont tout de suite brûler les sucres et induire un stress supplémentaire à leur organisme, via les glandes surrénales, source d’inflammation.» Ça arrive notamment à des gens en burn-out qui, en croyant bien faire avec une séance de fitness ou un footing, aggravent en réalité leur cas.
«Moi, j’alterne les rythmes de marche, de course tranquille et de course à la limite de mon seuil.» L’échauffement est essentiel pour mettre en route la machine. Il image le propos: «Brûler des graisses, c’est comme allumer un feu, on commence par les brindilles avant de mettre la bûche.»
Pendant sa phase de préparation à ces 200 km, David Genecand s’astreint à des entraînements de six heures pendant lesquels il commence et termine par une marche d’une demi-heure. Au-delà d’une heure et demie de course, il est important de se calibrer. En tenant compte de sa fréquence cardiaque. «L’idée est de définir ses zones pour s’entraîner en fonction et mesurer ainsi son efficience.»
Pour l’ultra-runner genevois, un entraînement réussi remplit quatre objectifs: «Je dois avoir du plaisir, il doit me rester de l’énergie, je dois avoir fini ma course et ne pas m’être blessé. L’énergie se mesure assez facilement. Si on met une demi-journée à récupérer d’une heure de course, il y a carence. En revanche, si après six heures d’entraînement, je peux m’accorder encore une activité le soir, c’est qu’il me reste de la force. Une petite fatigue musculaire est normale. Une douleur, en revanche, n’est pas bon signe.»
La préparation mentale est la troisième composante essentielle de l’approche de David Genecand. Pour cela, il utilise les ancrages kine-estetic. En associant un état émotionnel, comme la confiance ou la joie, à des repères visuels, gustatifs ou auditifs. «Par exemple, pour l’ancrage de la combativité, je me remémore l’arrivée d’une course que j’avais gagnée il y a longtemps. Le coup de sifflet, le goût de la cannelle, etc. Ça m’aide à me mettre tout de suite dans l’état recherché.»
Respecter son corps, augmenter progressivement en intensité en apprenant à courir un kilomètre et à répéter l’effort, et surtout alterner marche et course. C’est la recette prônée par les ultra-runners dont le but, in fine, est de rester en bonne santé. «Or être fit n’est pas nécessairement être sain», insiste le Genevois. «Il y a beaucoup de sagesse dans l’approche. Ce n’est pas le résultat qui compte. Je saucissonne un événement et lui donne un rythme.»
Même s’il a prévu, ce week-end, de courir ses 200 km en 26 et 28 heures, même s’il s’est planifié des temps de passage, pour permettre à ceux qui le désirent de venir courir un moment à ses côtés, il ne s’est pas fixé de chrono à battre. Son but est de terminer. Sans se blesser et avec le sourire. «Je n’ai pas la prétention d’être la Michelle Obama genevoise qui dit aux gens de bouger. J’ai envie de véhiculer un message, de sensibiliser à l’importance du mouvement. Par conviction. Je vois tellement de sportifs blessés et frustrés, de gens qui bougent de moins en moins. Je vois trop de personnes accentuer leur stress ou se créer une surcharge alors qu’ils pratiquent une activité physique pour se faire du bien. L’aspect santé dans le sport est une notion qui me tient à cœur.»
Même s’il le reconnaît, courir 200 km est à la limite du sain. Et au-delà de la volonté de partager, il y a aussi la notion de défi personnel.
«Je vois tellement de coureurs sortir de chez eux, se mettre tout de suite à courir, pousser et s’arrêter»
«Brûler des graisses, c’est comme allumer un feu, on commence par les brindilles avant de mettre la bûche»