Angelica Moser, une perche vers l’or
Athlétisme
La Zurichoise de 23 ans confirme avec un titre de championne d’Europe en salle ses magnifiques résultats dans les catégories jeunesse. Mais avant de triompher de ses adversaires à Torun (Pologne), elle a dû lutter contre ses troubles alimentaires durant la pandémie

Et dire que le concours avait plutôt mal commencé!
A Torun (Pologne), Angelica Moser est devenue samedi soir championne d’Europe en salle du saut à la perche, en effaçant une barre installée à 4,75 mètres. Elle a eu besoin de trois essais pour passer 4,60 mètres, puis 4,65 mètres, et il n’était pas interdit de penser que la pression du grand rendez-vous appuyait sur les nerfs de la Zurichoise de 23 ans. Mais elle a égalé son record de 4,70 mètres du premier coup et, alors que la médaille d’argent lui semblait promise derrière la Slovène Tina Sutej, elle a réalisé la plus belle envolée de sa carrière pour s’offrir l’or. «C’est fou», réagissait-elle au micro de sa fédération sous un masque qui cachait mal son sourire.
Fou? Forcément un peu, lorsque l’on considère qu’il ne s’agit là que du 27e titre suisse dans un grand événement d’athlétisme (Jeux olympiques, Championnats du monde et d’Europe en salle et en extérieur). C’est aussi le tout premier, hommes et femmes confondus, en saut à la perche. La recordwoman nationale Nicole Büchler a terminé sa carrière en étant montée à 4,80 mètres sous les étoiles de Doha en 2016, mais jamais sur un podium majeur.
Jeunesse dorée
C’est déjà fait pour son héritière, qui de surcroît n’est plus qu’à cinq petits centimètres du record de Suisse… Nicole Büchler passera le témoin de son plein gré: elle a entraîné Angelica Moser ad interim entre le retrait de son coach de longue date Herbert Czingon et le début du mandat du Français Damien Inocencio.
Et puis bon, «fou», le résultat de la jeune femme ne l’est finalement pas tant que cela pour qui suit sa carrière depuis le début. Il s’agit évidemment de sa première médaille dans une compétition individuelle élite, mais elle cultivait une sérieuse habitude de se parer d’or dans les concours de la relève: au Festival olympique de la jeunesse 2013, aux Youth Olympic Trials & Games 2014, aux Championnats d’Europe des moins de 20 ans en 2015, aux Championnats du monde des moins de 20 ans en 2016, aux Championnats d’Europe des moins de 23 ans en 2017 et 2019.
A Torun, Angelica Moser incarnait parfaitement l’ambition d’une délégation suisse plus large que jamais (23 membres) et tournée vers l’avenir (neuf athlètes de moins de 23 ans). Pour sa part, elle a, avec son bond à 4,70 mètres, réalisé les minima qualificatifs pour les Jeux olympiques de Tokyo. Avec celui du titre, elle est devenue la cinquième meilleure «performeuse» mondiale de la saison en salle.
Lutte contre la boulimie
Mais il y a plus fou que ces chiffres, ces statistiques, ces tabelles actualisées. La Zurichoise a accompli le plus bel exploit de sa carrière à ce jour au bout d’une année chahutée par sa lutte contre la boulimie, un trouble alimentaire qu’elle a véritablement accepté en tant que tel au printemps dernier, placée face à elle-même par le semi-confinement. Et sur lequel elle a décidé de s’exprimer ouvertement.
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En janvier, dans un long entretien accordé à la Neue Zürcher Zeitung, elle racontait le basculement insidieux du penchant qu’elle avait toujours eu pour les sucreries vers une forme de dépendance. Le fait qu’elle mangeait beaucoup entre les repas, parfois comme récompense, parfois par frustration, parfois parce qu’elle s’ennuyait. Et puis la thérapie, entamée en mai 2020, qui lui a permis d’avoir repris, dès septembre, «le contrôle de la situation». Depuis, elle a connu des hauts et des bas, mais pas de graves rechutes.
En revanche, elle a reçu beaucoup de messages, «positifs dans l’ensemble», saluant son courage face à cette problématique répandue mais souvent tue. «De nombreuses jeunes athlètes féminines m’ont également écrit pour me dire qu’elles avaient des problèmes similaires et me demander si je pouvais leur donner quelques conseils», expliquait la femme de 23 ans. Et alors, il n’y a pas de miracle: «Le plus important est de s’avouer à soi-même que l’on a un problème. Et que l’on a besoin d’aide. C’est à ce moment-là que les choses ont changé pour moi.»
Et c’est ainsi qu’elle a entamé sa course d’élan vers son titre de championne d’Europe.