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«Citius, altius, fortius» après la crise

Les athlètes craignaient les conséquences d’un printemps perturbé sur leurs performances. Ils sont pourtant beaucoup, en Suisse notamment, à battre des records personnels ou nationaux depuis la reprise des meetings

Loïc Gasch en plein franchissement d’une barre lors d’un meeting à Berne. — © KEYSTONE/Peter Klaunzer
Loïc Gasch en plein franchissement d’une barre lors d’un meeting à Berne. — © KEYSTONE/Peter Klaunzer

Loïc Gasch fait trembler l’un des plus vieux records de l’athlétisme suisse. Ce vendredi à Aarau, le sauteur en hauteur vaudois a effacé une barre fixée à 2m30, améliorant sa meilleure performance personnelle de 3 centimètres, en embuscade directe du bond réussi un beau jour de juin 1981 par Roland Dalhäuser (2m31).

«Je savais que je pouvais aller très haut si tous mes éléments techniques se mettaient bien en place, réagit-il. Mais cela reste une petite surprise dans la mesure où je suis en plein déménagement, et que j’abordais le concours avec les jambes un peu lourdes…»

La performance peut également étonner parce qu’elle survient alors que les compétitions reprennent à peine après un printemps complètement chamboulé par la pandémie et le semi-confinement. Mais elle est loin d’être isolée, ces derniers temps, dans un petit monde de l’athlétisme suisse plus que jamais inspiré par la devise olympique «Citius, altius, fortius».

Une vraie tendance

Ils sont nombreux à aller «plus vite, plus haut, plus fort» depuis que de (petits) meetings sont de nouveau organisés. Ajla Del Ponte a porté sa meilleure performance personnelle sur 100 mètres de 11’21 à 11’08. Selina Büchel a couru 800 mètres en moins de 2 minutes pour la première fois depuis 2017 (1’59’97). Jason Joseph a amélioré son record de Suisse du 110 mètres haies de 5 centièmes pour l’amener à 13’34. Liste non exhaustive, ne comprenant que quelques athlètes de tout premier plan.

Lire aussi: Ajla Del Ponte, des sprints et des lettres

Livrer les meilleures performances d’une carrière après avoir, durant des semaines, été privé de compétition, de repères, parfois même d’accès aux infrastructures d’entraînement? Voilà qui paraît contre-intuitif. Entraîneur chef au sein de Swiss Athletics, Louis Heyer ne le nie pas: «Si vous aviez fait le tour des spécialistes il y a quelques mois, très peu auraient parié sur d’aussi bons résultats à ce moment de la saison.»

Mais maintenant que la tendance s’accentue, le responsable des épreuves de course (hors sprint) croit en comprendre les raisons profondes. «En temps normal, lorsque l’on planifie une saison, on le fait toujours sous la contrainte du temps et on a tendance à en faire toujours un peu plus que ce qui semble nécessaire pour s’assurer d’être prêt à temps. Là, tout le monde a été complètement libéré de cette pression. Les coachs et les athlètes ont pu réfléchir à leur dynamique en toute liberté, et avec une certaine sérénité qu’ils n’ont pas d’habitude. Soudain, ils ne doivent plus réaliser tel ou tel minima de qualification, et je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces aspects sur le plan mental.»

En cyclisme aussi?

L’entraîneur national précise que ce bond des performances post-semi-confinement concerne surtout les sportifs d’élite qui ont pu trouver des arrangements pour s’entraîner (l’athlétisme de base a été beaucoup plus perturbé dans sa pratique), et surtout qui l’ont voulu (certains ont vite «tiré un trait sur l’année 2020»).

Il pense aussi que le phénomène n’est pas propre à sa discipline, et qu’il n’est pas impossible que la reprise des compétitions cyclistes, par exemple, donne lieu à des résultats «étonnants» pour des raisons comparables. «D’habitude, les sportifs sont un peu enfermés dans leurs schémas classiques. La pandémie a tout fait exploser. Et on se rend compte que cela n’a pas que du négatif…»

Loïc Gasch, qui s’est tout d’un coup retrouvé «à ne plus rien devoir faire à l’arrache», confirme. «Les Championnats d’Europe auraient dû avoir lieu cet été. Avec une telle échéance devant soi, on ne remet pas tout en cause. Là, j’ai pu me dire que j’avais grosso modo une année devant moi pour progresser. Cela laissait le temps d'avoir du recul, d’essayer des choses et de prendre des décisions différentes.»

Evolution durable

Le Vaudois de 25 ans n’a pas seulement transformé son garage en salle de musculation, comme raconté dans un précédent article, mais il a modifié son rapport à son sport – en se rendant notamment compte qu’il gagnait à miser sur la qualité des entraînements plutôt que sur leur quantité – et il a changé d’entraîneur pour se rapprocher du Français Dominique Hernandez, basé à Toulouse.

«Je me suis vraiment fait à l’idée que cette saison était un laboratoire, que je pouvais mener des expériences et voir où elles me conduiraient», commente-t-il. Quant au fait qu’elles semblent déjà payer… Il se marre. «Il faut quand même dire que la compétition nous manquait, et donc qu’actuellement nous sommes beaucoup à avoir vraiment faim!»

Les bons résultats qui suivent ce drôle de printemps poussent à se demander si les sportifs planifieront leurs saisons différemment à l’avenir. L’entraîneur Louis Heyer ne s’attend pas à un changement radical mais… à une petite évolution tout de même. «Je pense que cet épisode va aider les athlètes et leurs entraîneurs à trouver le courage de prendre du temps. De réinvestir les intersaisons pour travailler en profondeur, plutôt que de trop anticiper la préparation spécifique pour les compétitions.»