Ils s’appellent Robin Leibzig, Lisa Poletti ou Chiara Arnet. Ils viennent des cantons de Genève, du Tessin ou d’Obwald

Il y a moins d’un mois, ces athlètes ne s’étaient sans doute jamais croisés. Et voilà qu’ils défilent ensemble, en agitant de petits drapeaux rouges à croix blanche, dans un même uniforme et devant les 7900 spectateurs d’une Vaudoise Aréna à guichets fermés. La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de la jeunesse s’apprête à enchaîner les moments de patinage artistique, de cors des Alpes, de danse et de voltige, et les représentants du pays hôte marchent sous les acclamations. Quelques téléphones portables se dressent pour immortaliser l’instant. Les visages oscillent entre l’émerveillement et une douce anxiété.

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Ils sont 112 au sein de la délégation suisse, la plus importante de l’événement. Cinquante-six jeunes femmes, autant d’hommes, autant d’histoires singulières, et pourtant ont-ils beaucoup en commun. A commencer par cette aventure qui les anime pour certains depuis longtemps. «Il y a quatre ans, mon coach m’a demandé de répertorier mes objectifs sur une feuille de papier, sourit la patineuse artistique Anaïs Coraducci. J’ai placé les JOJ tout en haut.» Elle avait alors 12 ans. Le suspense aura duré jusqu’au 17 décembre dernier, quand la liste des jeunes sportives et sportifs retenus a été dévoilée par Swiss Olympic. «Je savais que j’avais de bonnes chances d’y figurer, mais quand le verdict tombe vraiment… Pfiouh, ça fait quelque chose», frissonne le skieur freestyle Fantin Ciompi.

La machine olympique se met alors rapidement en route. Convocation officielle, préparatifs personnels, premières sollicitations médiatiques. Une mécanique impressionnante pour un adolescent qui découvre tout d’un bloc. «D’un côté, tout cela me paraît un peu démesuré. Depuis que la sélection a été officialisée, nous sommes soumis à une pression qui ne doit pas être facile à gérer pour tout le monde à l’âge que nous avons», fait remarquer le snowboardeur Eliot Golay.

La poudre ou la gélule

Juste avant les fêtes de fin d’année, la délégation suisse est passée du statut de liste de noms à celui de véritable équipe lors de deux journées dédiées à la remise du matériel et à des formations expresses en vue de l’événement. Il pleut sur la triste zone industrielle de Rothrist, près de Soleure, mais la météo des cœurs vire au beau fixe. «C’est génial de voir chacun arriver le matin avec une certaine appréhension, un peu de nervosité, puis prendre confiance et trouver sa place, s’enthousiasme la cheffe de mission Corinne Staub. Le groupe se forme véritablement sous nos yeux, au-delà des frontières régionales et des différentes disciplines.»

Un atelier sur le dopage apprend aux jeunes que tel médicament sous forme de poudre ne pose pas de problème, mais qu’il est prohibé en gélule. A moins que ce ne soit l’inverse? Le profane a déjà oublié. Ils devront s’en souvenir sans faute. Un peu plus loin, des spécialistes leur présentent les bonnes pratiques à adopter face aux médias. La plupart des athlètes n’ont jamais parlé qu’au canard local, dont le journaliste devient vite un copain. «Depuis quelques jours, je réponds à des questions presque tous les jours», soupire une jeune femme qui avoue une certaine lassitude à raconter sa vie pour la énième fois. Mais elle fait des efforts pour donner le change. Dans quelques années, elle aura appris à refuser l’interview de trop.

Ils s’appellent Alizée Aymon, Malin Da Ros ou Lars Rumo. Ils ont 15, 16 ou 18 ans

Pour eux, une carrière dans le sport d’élite ne tient plus tout à fait du rêve de gosse, mais pas encore de la réalité non plus. Ils trouvent de jolies et drôles de formules pour l’exprimer. «Les Jeux olympiques de la jeunesse, c’est le premier petit grand truc de ma vie», tâtonne Fantin Ciompi. «Il y a ceux qui sont doués pour leur sport, ceux qui commencent à penser au haut niveau, ceux qui sont sur le point de réussir et ceux qui y sont parvenus, énumère Eliot Golay. Moi, je me situe entre la deuxième et la troisième catégorie… A peu près. Bref, j’ai encore du chemin à faire.»

Celui qu’ils suivent est balisé depuis longtemps. Ils ont pour la plupart embrassé leur discipline avant de s’asseoir sur les bancs de l’école, souvent guidés par des parents eux-mêmes mordus. Le processus ne va pas forcément sans heurts pour autant. Certains en ont souffert, comme Caroline Ulrich, qui reconnaît avoir longtemps «détesté» le ski-alpinisme, «ces montées qui n’en finissent pas, ce matériel trop lourd à porter», avant d’en devenir une championne aussi prometteuse que passionnée. D’autres, comme Antonin Savary, ont accepté l’héritage sportif familial aussi naturellement que leur accent (gruérien). «Ma mère était passionnée de ski de fond, elle m’y emmenait dès le berceau et j’en ai donc fait toute ma vie, avec plaisir. Je ne me souviens pas d’une seule fois où je me sois dit: «Ah non, aujourd’hui, pas envie.»

Des choix radicaux

Avant de s’imaginer sportifs d’élite, ils ont été très sportifs, tout court. Beaucoup racontent leur goût pour plusieurs disciplines, souvent leur facilité dans toutes, puis la nécessité d’arrêter un choix parce que les journées n’ont que 24 heures. «En plus du ski-alpinisme, nous faisions aussi du football et de la course à pied, racontent en chœur les jumeaux Thomas et Robin Bussard. Mais il a vite fallu laisser tomber le ballon et à un moment donné, il était trop lourd d’enchaîner une saison de ski-alpinisme l’hiver puis de course à pied l’été…» Antonin Savary pratiquait, lui, la gymnastique, le football et était titillé à l’idée de se lancer dans le snowboard freestyle. «Mais quand je suis entré au sport-étude de Brigue, j’ai dû tout arrêter. Le reste me manque un peu, alors pour compenser je fais quelques acrobaties en ski de fond», se marre-t-il.

Tous déroulent le fil de leur parcours comme si chaque étape allait de soi. Ils ont pourtant déjà dû faire des choix radicaux. Celui de quitter leur famille, leur région, leurs proches pour une structure d’entraînement éloignée, souvent dans une autre langue. «Mon premier cours à l’école de commerce d’Engelberg, c’était de l’économie. En allemand. Là, j’ai compris que ça n’allait pas être facile tous les jours», soupire Eliot Golay.

Unanimité: la perspective d’atteindre le sommet dans leur sport vaut bien quelques sacrifices. Y compris celui de retarder l’apprentissage d’un métier plus stable? Beaucoup essaient de jouer sur les deux tableaux. D’autres haussent les épaules. «Moi, mon père fabrique des skate-boards, continue le jeune homme de la vallée de Joux. Pendant toute mon enfance, j’ai entendu les gens dire que ce n’était pas un vrai travail ou lui demander s’il en vivait vraiment. Alors, bon, snowboardeur professionnel, finalement, ce n’est pas si marginal non plus.»

Ils s’appellent Lara Berwert, Nicola Bolinger ou Mattia Comolli. Ils pratiquent le biathlon, le ski acrobatique ou le hockey sur glace

Toutes les disciplines n’offrent pas les mêmes débouchés professionnels. Le trentième meilleur hockeyeur du pays peut gagner sa vie confortablement pendant une quinzaine d’années en taquinant le puck; le cinquième meilleur pilote de bobsleigh risque de connaître des fins de mois difficiles. Les participants aux Jeux olympiques de la jeunesse ne sont pas encore en âge de subvenir seuls à leurs besoins, mais ils sont conscients des enjeux. Ils savent si leur sport leur permettra de mettre du beurre dans les haricots. Ou au moins des haricots dans la casserole.

«Le ski de fond, ce n’est pas le football, mais en Suisse, il y a quand même de gros sponsors autour des disciplines d’hiver, remarque Antonin Savary. Je me dis que je pourrais vivre de mon sport. C’est dur, il y a de la concurrence, mais c’est possible. Si j’avais plutôt choisi de continuer les agrès, ça aurait été plus dur, à moins d’être engagé par un cirque…»

Plusieurs options

Dans d’autres disciplines, une reconversion toute trouvée existe. Les patineurs artistiques peuvent devenir professeurs s’ils ne parviennent pas à gagner leur vie grâce à leurs propres pirouettes. Les freestyleurs peuvent se tourner vers la réalisation de vidéos s’ils plafonnent en compétition. Il est assez vertigineux d’entendre certains dérouler leur plan de carrière. A 15 ans, Noah Bodenstein sait déjà qu’il rangera un jour ses patins pour faire tout autre chose. Eliot Golay, lui, se voit bien «faire une dizaine d’années en Coupe du monde». Et après? «Quand je serai plus vieux et un peu cassé, je pourrai encore vivre du snowboard en faisant des films!»

Ils s’appellent Fabian Gysler, Rea Kindlimann ou Flavio Gross. Ils rêvent de médailles de bronze, d’argent ou d’or

D’abord aux Jeux olympiques de la jeunesse. Puis aux Jeux olympiques tout court. Mais ils n’en font pas une obsession. Ils parlent plus volontiers du chemin que de la destination. «Ce qui comptera lorsque viendra le moment de faire le bilan de ma carrière sportive, ce sera moins les résultats que le plaisir pris en route à progresser», philosophe Fantin Ciompi. «Je considère que c’est une chance incroyable de faire du sport de haut niveau, relève Caroline Ulrich. C’est une vie intense, qui nous permet de voyager énormément dans le pays et à l’étranger, de rencontrer plein de monde et de vivre des moments forts.»

Pour ces Jeux olympiques de la jeunesse à domicile, Swiss Olympic n’a pas défini d’objectifs en termes de médailles comme il est de tradition de le faire lors des grandes compétitions. Logique: les championnes et champions en devenir eux-mêmes ont bien compris que l’important, comme le disait Pierre de Coubertin, était ailleurs.


La délégation suisse en chiffres

112 Le nombre d’athlètes suisses en lice aux Jeux olympiques de la jeunesse.

56 Le nombre de jeunes femmes, et donc de jeunes hommes aussi: la parité parfaite est atteinte pour la première fois, comme d’ailleurs au niveau de la participation générale (940 athlètes de chaque genre).

21 Le nombre de cantons représentés, dont les six romands.

15 Le nombre de disciplines avec des Suisses en lice, sur 16: seule la luge fait défaut.

48 Le nombre d’athlètes suisses à la précédente édition des JOJ, en 2016, à Lillehammer.