Le Qatar accueille les Championnats du monde d'athlétisme, en attendant la Coupe du monde de football en 2022. A travers ces événements sportifs, le petit Etat du Golfe entend imposer sa capitale non plus seulement comme un lieu de transit vers l'Asie, mais comme un but de voyage en soi. Découverte en quelques vignettes.

Précédente chronique: Au Villagio Mall, une patinoire dans le désert

Nasser al-Khater en est convaincu: pour la Coupe du monde de football 2022, les visiteurs du monde entier afflueront vers le Qatar. Les sièges vides du Khalifa International Stadium pendant les Championnats du monde d’athlétisme ne seront qu’un mauvais souvenir puisque les supporters des 32 équipes seront «un peu plus d’un million». Et le responsable de l’organisation le sait bien: ils auront soif. Et pas que d’eau.

«L’alcool ne fait pas partie» de la culture du pays, a rappelé le CEO du tournoi la semaine dernière à quelques journalistes, «mais l’hospitalité, oui». Alors, «pour la Coupe du monde, nous voulons nous assurer que (l’alcool) soit accessible aux fans qui viennent de l’étranger et qui veulent prendre un verre». Un «ouf» de soulagement parcourt la planète: il y aura pour se désaltérer des «endroits désignés». Parce que pour l’instant, trouver une bière à Doha n’est ni illégal, ni impossible. Mais ce n’est pas évident non plus.

Hôtels «dry»

Le Qatar entretient une relation particulière avec l’alcool. Il est strictement interdit… à quelques exceptions près. La première ne concerne que les résidents (nationaux ou expatriés), qui peuvent obtenir une «licence d’alcool» auprès de la Qatar Distribution Company. Pour cela, il faut produire une lettre de son employeur, gagner au moins 4000 riyals (environ 1100 francs suisses) par mois et fournir quelques informations personnelles. Moyennant une petite série de formalités supplémentaires, il est ensuite possible d’acheter toutes sortes de boissons alcoolisées pour un montant mensuel maximal correspondant à 10% de son salaire. Il demeure toutefois interdit de fournir un tiers et de consommer sur la voie publique, comme de prendre le volant après un verre. La loi qatarie est extrêmement rigide en la matière.

La deuxième exception intéresse aussi les visiteurs de passage. A Doha, une petite dizaine d’hôtels internationaux possèdent une licence qui leur permet de servir bières, vins et autres spiritueux, ce qui les distingue de la majorité des établissements, qui sont dits «dry». Mais le poids de la culture locale les empêche de s’en vanter ouvertement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun blogueur ne s’est amusé à compiler les «5 best venues to have a cocktail in Doha». Il faut donc prendre son temps lors d’une recherche sur internet pour dénicher avec certitude une adresse proposant le produit controversé.

Je le sais parce que… eh bien, oui, je le confesse, parce que j’avais envie d’une bière, l’autre jour, pour conclure ma journée d’anniversaire au Qatar. Pas très compatible avec les traditions locales. Quoique: on pousse en quête d’une mousse des portes que nous aurions sinon laissées closes. Mais ces portes existent bel et bien.

La blague de la honte

C’est ainsi qu’avec un confrère – je ne le dénoncerai pas – nous nous sommes mis en quête d’une bonne adresse au petit matin, alors que la capitale du Qatar dormait et qu’une poignée d’athlètes s’époumonaient sur le 50 kilomètres marche athlétique disputé sur la Corniche. Nous avons fini par dénicher une piste. Il a fallu pénétrer dans l’hôtel, contourner le bar à chicha du rez-de-chaussée et les touristes allemands qui venaient d’arriver, prendre l’ascenseur et ne pas se laisser intimider par les vitres teintées du local pour enfin poser la question fatidique au serveur qui nous a ouvert: «Do you serve beer?» L’employé nous lance un regard grave. «NO!» Mais alors que tout honteux nous tournons les talons, il nous adresse un grand sourire et nous invite à entrer. «Come in, it was just a joke, my friends!»

A l’intérieur, expatriés et locaux en dishdasha (la tenue traditionnelle blanche des hommes au Qatar) enchaînent les cigarettes devant leur verre de rouge ou leur bouteille de vodka. L’expérience a un goût, celui de la clandestinité, et un coût: quelque 15 francs suisses la bière, une simple Heineken. Mon confrère aurait dû s’en inquiéter avant de me proposer de me l’offrir…

Alors, non, les supporters de football ne seront pas privés d’alcool lors de la Coupe du monde au Qatar. Mais s’ils s’enivrent, l’addition piquera autant que la gueule de bois.