L’accueil fut chaleureux. Genre: «Rafa out!» (dehors, Rafa), ou «There’s only one Di Matteo» («il n’y a qu’un seul Di Matteo», du nom de son prédécesseur prestement largué), aimables slogans scandés ou écrits sur des pancartes, destinés à souhaiter la bienvenue à Stamford Bridge au nouveau coach intérimaire – jusqu’à la fin de la saison, en principe – du Chelsea FC, l’Espagnol Rafael Benitez, 52 ans.

Cela se passait dimanche 25 novembre, à l’occasion de la prise de pouvoir de l’Ibère pour un insipide 0-0 contre Manchester City. Rebelote mercredi 28, toujours au stade des Blues, lors du 0-0 (encore!) à l’issue du derby du sud-ouest londonien face à Fulham. Sifflets, bronca et tutti quanti, histoire de célébrer la plus mauvaise série de Chelsea à domicile (4 matches d’affilée non gagnés) depuis 1996.

Et samedi dernier à l’Upton Park de West Ham United, les fans en bleu ont choisi de bouder en masse le bref déplacement vers la ceinture est du Grand Londres. Bien leur en a pris, le Chelsea de Benitez ayant, cette fois, subi un revers sec (3-1), qui le relègue respectivement à 10 et 7 points des deux mancuniens (United et City), après 15 journées de Premier League. Deux nuls et une défaite en trois matches, belle entrée en matière pour l’homo novus qui dirige l’équipe.

Pire – mais là, l’Espagnol n’y peut rien –, le champion d’Europe en exercice risque sa peau mercredi en recevant les faibles Danois de Nordsjælland, pendant que les leaders Shakhtar Donetsk et Juventus Turin en découdront à la Donbass Arena ukrainienne, le tout pour la 6e et ultime journée de la phase de poules de la Ligue des champions. Victoire obligatoire côté Blues, certes, mais cela ne suffira pas. Avec 7 points contre 9 à la Juve et 10 au Shakhtar dans le groupe E, Chelsea, même largement victorieux, ne peut compter que sur une défaite de la Vieille Dame afin de passer le cap à la raclette. Tout autre résultat l’éliminerait, eu égard à ses confrontations directes déficitaires: 1-2 à l’extérieur et 3-2 à domicile contre les obligés du parrain de Donetsk, Rinat Akhmetov (ici, les buts marqués hors de ses propres terres font la différence), 2-2 et 0-3 contre les Bianconeri.

Cette dernière gifle ramassée à Turin provoqua précisément la colère définitive de l’oligarque propriétaire, Roman Abramovitch, envers son entraîneur italien, Roberto Di Matteo. En place depuis six mois à peine – il avait supplanté le fantasque Portugais André Villas-Boas, coupable d’insuffisance de résultats –, Di Matteo mena pourtant Chelsea à la conquête du trophée le plus convoité par Abramovitch depuis son rachat du club, en 2003, et les investissements consentis sur le mercato (600 millions de livres sterling pour solde de toutes dépenses, soit 893 millions de francs), c’est-à-dire la Coupe aux grandes oreilles – entendez la Ligue des champions 2011-2012. Le spectacle pitoyable présenté par les Blues, en ce 20 novembre au Piémont, a cruellement actionné la guillotine.

La double mission de Rafael Benitez s’avère donc simple, sur le papier: qualifier sa troupe en 8es de finale de la prestigieuse compétition continentale, et la rapprocher de la tête de la Premier League en vue du titre national. Le dessein numéro un est hasardeux, on l’a vu, et le second, mal embarqué.

Au fait, pourquoi Abramovitch est-il allé chercher cet intérimaire de luxe, moyennant 3 millions de livres (4,46 millions de francs) jusqu’au terme de la saison en cours? Parce qu’il était libre sine die, n’ayant plus de boulot hormis celui de consultant sur la chaîne Eurosport, depuis son limogeage de l’Inter Milan en 2010.

Et pourquoi les supporters de Stamford Bridge lui ont-ils réservé une réception aussi glaciale, lui qui, auparavant, avait mené Valence et surtout Liverpool vers les sommets? Parce qu’il a lâché deux ou trois trucs qu’il aurait dû garder pour lui. En 2007 déjà, depuis les berges de la Mersey, dans les colonnes du Daily Mail: «Chelsea est un grand club avec des joueurs fantastiques, n’importe quel coach voudrait entraîner une telle équipe. Mais je ne prendrai jamais ce job, par respect envers Liverpool. A mes yeux, il n’y a qu’une équipe en Angleterre, et ce sont les Reds.» Seuls les imbéciles, dit-on, ne changent pas d’avis.

Ensuite, au moment de parapher son engagement, le matin du 21 novembre 2012 (Daily Telegraph): «Chelsea sera plus facile à manager que Liverpool. Là-bas, vous aviez deux boss [à l’époque les Américains Tom Hicks et George Gillett, ndlr] qui ne se parlaient pas. Ici, il y a un propriétaire, un directeur technique et un bon staff. Ça rend les choses plus aisées.» Enfin, après son premier entraînement donné aux Blues, ce même 21 novembre (Daily Mail): «J’ai déjà discerné les petits détails qui n’allaient pas avec Di Matteo. Ils seront vite corrigés.» Vraiment? Les fans détestent qu’on les prenne pour des demeurés. Autour du terrain, ils ont fait savoir à Benitez ce qu’ils pensent de ses petites phrases sans lendemain.

Alex Ferguson, manager général de Manchester United depuis 1986, aussi, par le biais du site internet de RTL: «Benitez a beaucoup de chance de se retrouver à la tête de Chelsea, lui qui n’a jamais rien construit avec ses équipes, que ce soit Valence, Liverpool ou l’Inter.» Aïe! Pourquoi tant de haine? Parce que Sir Alex n’a jamais cultivé la moindre once de considération envers «l’autre Rafa», étant entendu que le style de jeu qu’il imprime lui déplaît souverainement (pas qu’à lui, d’ailleurs).

Car, non seulement Benitez n’est jamais content et ignore le mot «bravo» – le capitaine Steven Gerrard s’en est assez plaint à Anfield Road –, mais il prône un­ 4-2-3-1 très cadenassé, avec, au grand maximum, deux demis offensifs au service de l’attaquant de pointe. Le flair tactique du monsieur – il a souvent fait évoluer, avec succès, des joueurs à un poste qui n’était pas le leur a priori – ne modifie rien à l’affaire: ce bonhomme austère, sorte de sosie de l’ex-député socialiste français Julien Dray, n’est pas aimé en Albion (ni en Italie).

Son palmarès parle néanmoins en sa faveur, et avec quelle éloquence! A Valence: Championnat d’Espagne (2002 et 2004), Coupe de l’UEFA (2004); à Liverpool: Ligue des champions (2005, cette formidable remontée de 0-3 à 3-3 contre l’AC Milan, baptisée «le miracle d’Istanbul»), finaliste (2007), Supercoupe de l’UEFA (2005), FA Cup et Community Shield (2006); à l’Inter Milan: Coupe du monde des clubs et Supercoupe d’Italie (2010). Voilà qui ne ressemble pas précisément au profil d’un tocard.

Mais Rafael Benitez n’enflamme ni les foules ni la polémique à la sauce Mourinho. A Chelsea, il a et aura la vie dure jusqu’au bout. Quoi qu’il réussisse ou pas, qu’il ressuscite ou non l’immense buteur que fut Fernando Torres, son chouchou à Anfield Road devenu quasi muet à Stamford Bridge, transformera-t-il son intérim en vrai contrat au printemps 2013? Personne ne parierait un pound là-dessus. Roman Abramovitch voulait et veut toujours, à n’importe quel prix, Josep Guardiola, l’ancien gourou du Barça en année sabbatique. Lui saura fabriquer un football qui fait se lever le public. Et garantir les résultats qui vont avec (pense le milliardaire).

Son agent, Josep Maria Orobitg, a déjà déclaré au quotidien sportif brésilien Lance que Guardiola «ne se décidera pas avant janvier ou février quant à l’équipe, nationale ou de club, qu’il souhaitera entraîner». «Pep» le philosophe craquera-t-il pour la sélection espagnole – pas libre en l’état –, pour le pactole russe de Chelsea ou celui, qatari, du Paris Saint-Germain, ou…? La question hante les nuits d’Abramovitch. Et celles de Benitez.

«Je n’entraînerai jamais Chelsea, par respect envers Liverpool»