Le grand-père a fait construire un chalet à Chamonix, encordant toute sa descendance à une même passion de la montagne. Alors Benoît Alt n’y a pas coupé. Il a pratiqué l’escalade, l’alpinisme, il fut encarté des années au Club alpin suisse. Il a skié aussi, beaucoup, bien sans doute, jusqu’à revêtir des dossards en compétition. Mais l’appel des cimes ne lui était pas directement destiné.

Entre deux séjours au pied du Mont-Blanc, le gamin de Lentigny s’est essayé à tout ce que la campagne fribourgeoise pouvait lui offrir. Il s’est éreinté aux agrès des salles de gymnastique. Il a pris des cours de théâtre. Il a gratté les cordes d’une guitare. Et c’était bien! Mais il n’avait pas encore trouvé son truc à lui. Il s’en est rendu compte presque par hasard, embarqué au large par l’Association Jean-Paul Baechler, qui initie de nombreux élèves de son canton à la navigation en mer.

Nous sommes en 2013, la Méditerranée balade la flottille de Saint-Tropez à l’île de Porquerolles en passant par le Parc national de Port-Cros, et l’évidence frappe Benoît Alt: il est sur l’eau comme chez lui. Dix ans plus tard, en 2023, le jeune homme devrait prendre le départ de la Mini Transat. Une épreuve transatlantique sans assistance à bord de tout petits voiliers de 6,50 mètres de long. Une course qui a contribué à révéler Loïck Peyron, Ellen MacArthur, Yannick Bestaven. Surtout: une aventure en solitaire.

Aucun confort

Le jeune homme de 23 ans a l’habitude. Il n’appartient pas à la grande famille de ceux qui sont «nés sur un bateau», comme aime à le répéter Alan Roura, et qui n’ont eu qu’à se laisser porter par les airs pour monter à bord. Lui est déjà ado lorsqu’il se dégote une place d’apprentissage dans un chantier naval, où on le laisse s’amuser avec un petit dériveur.

«J’ai appris les bases en autodidacte, en tâtonnant, sourit-il. Si je tire sur cette corde, ça fait quoi? Et si je bouge cette voile?» Il n’a jamais participé à ces camps d’Optimist ou de Laser qui permettent de se découvrir l’âme d’un navigateur. Il n’a rejoint le Cercle de la voile d’Estavayer qu’après s’être aguerri tout seul, patiemment, une fois terminé le boulot d’entretenir les bateaux des autres.

Depuis, il a bien sûr progressé. Tiré des bords sur de plus grands voiliers. Sur le lac et en mer. Oh, il est encore loin de se considérer comme un crack. «Parmi les navigateurs du coin, je suis dans la moyenne. Peut-être dans la moyenne basse…» C’est pour cela qu’il vise la Mini Transat 2023, et pas l’édition qui doit débuter le 26 septembre prochain. Le temps d’apprendre. Son bateau, un prototype de 2008 qui fut notamment celui du Français Sébastien Rogues, a déjà traversé l’Atlantique cinq fois. Benoît Alt doit encore l’apprivoiser, comme le renard du Petit Prince.

Il vous dit ça juché sur la petite embarcation, ses mains marquées par le travail du bois et du composite agrippées au cordage. Un coup d’œil à la cabine pour constater qu’elle n’offre aucun confort, pas même la possibilité de s’allonger. Il faut y dormir assis, dans l’humidité, sans se déshabiller, et sans perspective de sommeil profond. «Il y a toujours des manœuvres à faire, donc on ne peut se reposer que par cycles de 15 ou 20 minutes», précise Benoît Alt. Et il se marre. Cela paraît un peu fou, bien sûr, mais il n’attend que ça, lui le gamin des champs – se laisser aller à l’océan.

Ne lui parlez pas de Coupe de l’America ou de la course à l’innovation technologique qui stimule une frange des passionnés de voile. «Comment s’identifier à tout cela, quand on sait ce que cela coûte?» Lui se revendique «plus aventurier que régatier», plus sensible aux tours du monde qu’au match racing, plus romantique que compétiteur.

Gravir des montagnes

«L’appel du large, cela ne s’explique pas, sourit Urban Achermann, président de l’Association Jean-Paul Baechler. Naître dans une famille de navigateurs peut faciliter certaines choses mais, pour se lancer dans un tel projet, il faut surtout le rêve, et puis la volonté et le courage de le réaliser.» Il y a bien des années, lui-même s’est invité de son propre chef dans le milieu nautique. Alors quand Benoît Alt lui a parlé de ses ambitions, il n’a pas hésité à l’aider à trouver des sponsors, pour boucler un budget de 350 000 francs tout de même.

La voile en solitaire a ses limites. Une petite équipe s’est réunie en association pour accompagner le Fribourgeois, ses proches le soutiennent, et des «ministes» de renom le conseillent en vue de sa transatlantique. Reste que la prise de risque est pour son compte. Sur le plan professionnel, puisqu’il a démissionné de son poste d’agent d’entretien de bateaux pour se consacrer pleinement à son projet dès le mois de juin. Et au large aussi. «Nous nous formons au pire mais, malgré toutes les formations et les précautions, reconnaît-il, on sait bien que certains ne reviennent pas…»

L’avenir au-delà de la Mini Transat 2023, il ne sait pas trop. D’autres courses au large? Un chantier naval à son nom? Une maison et des enfants? Il verra bien, mais aucun défi ne semble trop grand à ses yeux. De sa famille, il a bien hérité le goût de gravir des montagnes.


Profil

1997 Naissance.

2013 Camp de voile en Méditerranée, une révélation.

2015 Apprentissage dans un chantier naval.

2021 Démission pour préparer son aventure.

2023 Si tout se passe comme prévu, participation à la Mini Transat.


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