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Quand les bolides suisses sortent faire des courses

Le Club Porsche Genève a loué samedi le mythique circuit de Dijon-Prenois. Tours de piste avec des passionnés qui roulent pour le plaisir et jamais par ostentation

Le club Porsche de Genève tourne sur le circuit de Dijon. — © Nicolas Righetti
Le club Porsche de Genève tourne sur le circuit de Dijon. — © Nicolas Righetti

«C’est une vraie Porscherie ici, hein?» Rires et autodérision sur le paddock du circuit de Dijon-Prenois. Cinquante-trois voitures, toutes de la marque Porsche, toutes immatriculées en Suisse, piaffent avant de s’élancer sur la piste. Il y en a de tous les âges (de 1 à 31 ans), de toutes les puissances (280 à 475 chevaux), mais elles sont «toutes de la même famille», selon Willy Dugrandpraz, 80 ans, un ancien carrossier de Chéserey (Vaud), le doyen de la meute qui ne louperait pour rien au monde les sorties du Club Porsche de Genève (CPG).

Ce samedi, c’est donc la Bourgogne. Ils sont arrivés la veille du Valais, de Neuchâtel, de Vaud, de Genève, afin d’avoir l’œil alerte au petit matin (premier tour de piste dès 9h). Une nuit à l’hôtel, pas loin du circuit, les monstres bien au chaud dans un parking sécurisé. Un novice a garé la sienne en plein centre-ville, «ce qu’il ne faut pas faire, rouspète un ancien, parce que Dijon, c’est joli et calme, mais pas très riche, alors faut pas provoquer».

Les conditions d’un Grand Prix

A 8h30, briefing de Fabrice Besse, président du CPG. Où sont rappelées les consignes de sécurité et la couleur des drapeaux agités par les commissaires de course (jaune: ne pas doubler; rouge: retour au box). Deux mécaniciens genevois vérifient lors des retours au stand la pression des pneus et l’état des freins. Impression de rouler pour de vrai, dans les conditions d’un Grand Prix. Sauf qu’il n’y a pas de public, excepté la famille et une dizaine de jeunes Dijonnais qui passent leur code de la route sur un parking adjacent.

Le circuit de 3,801 km, rapide, technique, est légendaire et c’est bien cela qui excite nos pilotes. Sept Grand Prix de Formule 1 s’y sont disputés de 1974 à 1984 (dont deux Grand Prix de Suisse), remportés entre autres par Prost, Lauda, Rosberg et le regretté Clay Regazzoni. Meilleur tour: Patrick Tambay, en 1984, en 1’02’’.

Les puissantes et les autres

Retour en 2015, à l’approche du départ. Sont prévues six sessions de 30 minutes et deux catégories, «racing» pour les puissantes, «sport» pour celles qui se traînent, entendre par là celles qui ne dépassent pas les 230 km/h sur la ligne droite de la Fouine, l’une des plus longues de France avec ses 1100 mètres. Alexandre Mottet, le directeur du Centre Porsche de Genève, va monter à 254, à bord de sa Porsche GT3 (475 chevaux). Un as du volant, cet homme-là, qui roule pour le plaisir à Imola (Italie), au Castelet (sud de la France) et à Spa (Belgique). «Mais c’est avant tout l’esprit Porsche qui compte, pas la vitesse ni le paraître. Nous sommes pour la plupart des passionnés passés par le marché d’occasion avant de monter doucement dans la gamme. Une Porsche demeure une Porsche, quelle qu’elle soit.»

On craignait le côté bling-bling, m’as-tu-vu. Point de cela. «Rien à voir avec les nœuds papillons en Ferrari qui friment dans les Rues-Basses», dit quelqu’un. Parmi ces proprios de Porsche, beaucoup de garagistes et enfants de garagistes. Steve, par exemple, de Plan-les-Ouates (Genève), qui travaille à l’Hôtel des Finances. Jadis, son père partait sur un coup de tête avec des potes à minuit pour aller voir les 24h du Mans. Steve a mis de l’argent de côté et s’est acheté en août 2014 «un rêve»: une Porsche Cayman R, 330 chevaux, 65 000 francs. Il a suivi des cours de pilotage, a adhéré au CPG (280 inscrits, cotisation de 500 francs par an) et profite de la dizaine de sorties annuelles pour se faire la main. Il côtoie ainsi un très fortuné Vaudois qui vient d’acquérir la fameuse GT3 RS, une série limitée présentée cette années au salon de Genève (200 000 francs). Sur la piste, le Vaudois dépasse le Genevois. Dans les box, ils sont côte à côte, parlant mécanique, décélération, confort et charmes de la Porsche. «Pour cette journée, nous versons 220 francs au CPG, qui organise tout. Nous n’avons plus qu’à rouler», résume Steve.

Une histoire de famille

Apolline, 25 ans, est aussi fille de garagiste. Elle a suivi papa, qui roule en Carrera Cabriolet S. Elle possède une Golf GTI, aura sa Porsche dans les cinq ans. «J’ai fait une école hôtelière, on ne gagne pas la fortune, mais j’épargne.» Une vraie amoureuse de la marque au cheval cambré. «Un garçon, je regarde sa voiture avant de lui parler», rigole-t-elle.

Voiture de riche, la formule fait bondir Willy Dugrandpraz, l’octogénaire. Lui a commencé «petit» avant de vendre au prix fort ses antiquités et d’arriver ce jour avec une GT3 «que j’ai montée à 270 à Imola». «Je vous parie que ceux qui font toute l’année du ski, de la grimpe ou du vélo claquent plus d’argent que nous», argue-t-il. Et la pollution, à deux mois de la conférence environnementale COP 21? «Ceux qui font les marathons à New York, Sydney ou Tokyo prennent l’avion, ça salit plus que nous», rétorquent les «Porschmen». La parole à Fabrice Besse: «Ce n’est pas un sport de riche, mais une passion. C’est une voiture de plaisir, on ne roule pas tous les jours avec. On a d’autant plus de plaisir à rouler vite ici que l’on respecte les limites sur les routes. Pas d’excès sur l’autoroute: on a envie de rentrer à la maison.»

Il n’évite pas une pointe de machisme, cependant: «Ces journées arrangent tout le monde, on roule et les femmes font les magasins en ville.» Un peu d’atténuation aussi sur le prétendu coût modeste des tours de piste: la consommation frôle les 36 litres aux cent et le prix sur le circuit du litre de sans-plomb est fixé à 1,62 euro.

De vrais connaisseurs

Julien Guyot observe tout cela avec bonhomie. Ce Varois est un instructeur chevronné spécialisé dans les conduites automobiles en rallye. Il a sympathisé avec les Genevois, «qui sont des gens qui ne se la pètent pas et qui sont de vrais connaisseurs de la mécanique, au contraire des cinglés de ma région qui friment». Sa tâche: co-piloter les uns et les autres sur un tracé parmi les plus exigeants en France. Un ou deux tours avec eux afin d’aborder, par exemple, au mieux la Parabolique, une courbe à droite avec une déclivité de 11%, l’une des spécificités qui font la légende de Dijon-Prenois. Très bonne technique de pilotage requise et équilibre des châssis exigé.

Seuls accrocs samedi: trois ou quatre tête-à-queue et une sortie de piste qui a enfoncé l’avant d’un bolide. Le soir, tout le monde est rentré en Suisse heureux, mais avec un peu de gomme en moins.