Elle est surtout celle qui a permis à l’équipe de Suisse masculine de devenir championne du monde pour la première fois de son histoire, la semaine dernière à Wuxi, en Chine. Max Heinzer, Benjamin Steffen, Michele Niggeler et Lucas Malcotti ont déjoué les pronostics pour se hisser sur la première marche du podium en battant la France tenante du titre en demi-finale, puis la Corée du Sud en finale. Ils ont signé un des plus beaux chapitres de l’histoire de l’escrime nationale de la pointe de leurs quatre épées.
De tout temps, c’est avec cette même arme que les tireuses et les tireurs suisses ont obtenu leurs résultats majeurs sur le plan international. Huit médailles aux Jeux olympiques (une d’or, quatre d’argent, trois de bronze), 21 aux Championnats d’Europe (sept d’or, cinq d’argent, neuf de bronze) et désormais 22 aux Championnats du monde (deux d’or, dix d’argent, dix de bronze).
L’épée sinon rien
Cela ne tient pas du hasard. La Suisse de l’escrime a depuis longtemps arrêté son choix des armes. Dans les clubs, l’épée occupe près de 90% des pratiquants. Logiquement, la fédération établit sa stratégie en tenant compte de cette réalité. «Notre pays est trop petit pour que nous puissions financer une structure complète et performante dans les trois armes, explique le président de Swiss Fencing, Olivier Carrard. Certaines nations de taille comparable essaient de jouer sur les trois tableaux, mais on constate qu’elles sont moyennes partout. Elles n’arrivent pas à se stabiliser à haut niveau, ce que nous parvenons à faire en concentrant nos efforts.»
En a-t-il toujours été ainsi? La réponse se perd dans les méandres d’une longue histoire. Mais de mémoire d’escrimeur suisse, cela a toujours été l’épée et presque rien d’autre. «A mon époque, nous commencions tout petit avec le fleuret, plus léger et adapté à l’apprentissage, se souvient Olivier Carrard, vice-champion du monde par équipe en 1982. Mais nous en venions rapidement à l’épée.»
Cadet de l’équipe sacrée en Chine la semaine dernière, Lucas Malcotti (23 ans) ne se rappelle pas avoir manié une autre arme. «Je sais que quelques années avant que j’arrive au club de Sion à l’âge de 8 ans, les débutants apprenaient les bases avec le fleuret. Mais pour moi, cela a tout de suite été l’épée. A mes yeux, les deux autres armes, ce sont des sports différents. Quand je regarde une rencontre au sabre ou au fleuret, j’ai de la peine à tout comprendre, avec la vitesse et toutes les questions de priorité…»
Côté féminin
Pour les tireurs suisses, l’épée ne relève donc plus, depuis bien longtemps, du choix mais de l’évidence. L’histoire est différente chez les femmes, où le fleuret est longtemps resté la seule arme utilisée. Les compétitions féminines d’épée ont fait leur apparition aux Jeux olympiques en 1996, celles de sabre en 2004. Mais dès que cela leur a été autorisé, les Suissesses se sont emparées de la même arme que leurs camarades masculins, et elles ont rapidement obtenu des résultats.
Née en 1985, l’ancienne athlète Sophie Lamon a fait partie de la première génération de filles à débuter directement par l’épée. «Pour la Suisse, c’était une belle opportunité à saisir, car cela permettait d’aligner la pratique des femmes sur celle des hommes dans le pays, et de se profiler immédiatement sur la scène internationale», se souvient-elle. Par équipe, la Valaisanne remportera une médaille d’argent aux Jeux olympiques de Sydney (2000), et une autre aux Mondiaux de Nîmes (2001).
Cheffe du sport de compétition chez Swiss Fencing jusqu’au mois de juin dernier, Sophie Lamon mesure parfaitement l’avantage de tout miser sur une seule arme: avec ses quelque 4500 licenciés, la fédération suisse rivalise sur la scène internationale avec des pays qui en comptent plus de dix fois plus. Elle le doit aussi à un processus de professionnalisation entamé voilà une quinzaine d’années.
Un sacre inattendu
«Quand je suis devenu président, Swiss Fencing employait un maître d’armes et deux personnes à 20% pour l’administration, se souvient Olivier Carrard. Aujourd’hui, nous comptons sur trois maîtres d’armes et un total de sept postes équivalents plein-temps.» Des structures qui restent modestes en comparaison internationale mais qui, toutes consacrées au développement d’une seule arme, permettent de nourrir des ambitions. «Quand nous allons aux Championnats du monde, on ne se sent pas comme des petits Suisses», plaisante le dirigeant genevois.
Le sacre de Wuxi n’était pourtant pas forcément prévu. Vice-championne du monde en 2017 à Leipzig, l’équipe de Suisse masculine traverse une phase de transition en vue des Jeux de Tokyo en 2020. Les responsables ont d’ailleurs eu de la peine à arrêter une sélection, de telle sorte qu’ils ont emmené six tireurs en Chine au lieu des quatre dont ils auraient pu se contenter, pour que tous puissent bénéficier de l’expérience. Leur titre mondial leur permettra d’aborder les qualifications olympiques, dès le mois d’avril 2019, en confiance et en position de force au classement mondial.
Lucas Malcotti, la belle surprise
Lucas Malcotti vit «des moments magiques». A 23 ans, ce Valaisan ne s’attendait pas à devenir champion du monde d’escrime: il n’appartenait même pas à l’équipe de Suisse en début d’année. Mais, en 2018, il a enchaîné de belles performances en Coupe du monde, un titre de champion d’Europe M23 par équipe et une couronne nationale individuelle, et Swiss Fencing a décidé de lui donner sa chance aux Mondiaux, malgré une anonyme 172e place au classement mondial et un statut de sixième Suisse dans la hiérarchie. Le seul Romand de l’équipe a parfaitement su la saisir.