Maltraitance
Violences sexuelles, physiques ou psychologiques: on tolère beaucoup plus de choses dans les milieux sportifs que dans la vie quotidienne. Une étude française le révèle, mais ses auteurs se heurtent à l'inertie du système pour faire bouger les lignes

La thématique de la maltraitance dans le sport n’est pas un sujet galvaudé. «Les médias le traitent quand il y a un grand scandale, souvent un viol perpétré par un coach sur une athlète. Le côté sexuel est toujours vendeur dans la presse, mais il y a de multiples types de maltraitances dans toutes les disciplines sportives», alerte Véronique Lebar, médecin et présidente du Comité éthique et sport, entité associative indépendante qui a organisé un colloque sur le sujet le mois dernier à Paris.
«Les personnes qui subissent des maltraitances, physiques ou psychologiques, ne savent souvent pas quels mots mettre sur les comportements qu’elles ont subis. Dans la plupart des cas, il s’agit en effet de jeunes hommes ou femmes à peine sortis de l’adolescence. Et puis, il faut dire que c’est assez compliqué de définir la maltraitance car il y a un côté subjectif très fort à prendre en compte: la sensibilité de chacun», réfléchit Dominique Bodin, professeur de sociologie à l’Université de Créteil et ancien sportif de haut niveau.
Vocabulaire tendancieux
Les athlètes qui se décident à consulter un psychologue ou un professionnel de santé pour chercher à comprendre ce qui leur arrive ne savent pas, dans la grande majorité des cas, que ce qu’ils subissent parfois quotidiennement a de loin dépassé la barrière de l’acceptable et constitue déjà un délit, selon le droit civil ou pénal. «Dans le sport, regardez bien, on accepte des choses qu’on serait bien loin de supporter dans la vie courante. Le langage même du sport évoque des états qui sont toujours un peu limite: se mettre dans le rouge, savoir souffrir, gérer ou oublier la douleur, se dépasser. Dans les représentations collectives, le sport est toujours et complètement bon, alors qu’il n’est qu’un reflet de notre société, avec sa dose de personnes mauvaises, malveillantes et dans certains cas criminelles. Bien des entraîneurs demandent aux jeunes sportifs d’aller très loin, sans respecter les équilibres délicats d’une jeune femme ou d’un jeune homme en formation», précise Dominique Bodin.
«Dans les représentations collectives, le sport est toujours et complètement bon, alors qu’il n’est qu’un reflet de notre société, avec sa dose de personnes mauvaises, malveillantes et dans certains cas criminelles»
Greg Décamps, professeur de psychologie à l’Université de Bordeaux, a dirigé en 2007 une recherche nationale, qui a débouché en 2009 sur un rapport qui recensait les cas de maltraitance et fournissait des recommandations au Ministère des sports français. «Pour comprendre la réalité du terrain, on avait proposé un questionnaire à 1400 adolescents qui étaient dans des lycées sportifs, en Centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) ou à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). On avait découvert une réalité cachée et effrayante», explique le psychologue bordelais. Les chercheurs ont constaté que «les violences physiques ou morales que subissaient ces jeunes gens étaient non seulement verticales, en provenance de l’entraîneur, mais aussi horizontales, en provenance de leurs camarades. Je ne suis pas sûr que les parents soient contents d’envoyer leurs enfants dans une structure sportive de haut niveau pour leur faire subir des comportements malveillants», ajoute Greg Décamps.
En finir avec les enquêtes
Pas de grandes différences entre les disciplines: «On a recensé des problèmes dans des sports allant de l’athlétisme au tennis, en passant par le judo, la natation, le football… Il n’y a pas plus de probabilités de subir des abus sexuels dans une discipline où l’on est moins habillé que dans un sport où l’entraîneur a un contact physique avec l’athlète.» Les institutions ont d’abord bien réagi à ce rapport, en le prenant en compte et en envisageant de redresser la situation. «Après, le rapport est tombé dans un tiroir du ministère. Le problème c’est aussi que les ministres changent. L’audit avait été commandé par Roselyne Bachelot; depuis, au moins quatre personnes se sont succédé à ce poste et les priorités et les agendas sont toujours différents», affirme, désemparé, le professeur Décamps.
Il développe: «Quand on a mené l’enquête sur les violences, on a fait très peur aux structures sportives, aux fédérations, aux entraîneurs parce qu’ils étaient persuadés qu’on allait les accuser. Quand on enquête, on trouve, c’est à peu près sûr, et par conséquent on cherche le responsable. Si on voulait travailler pour de la prévention, peut-être qu’il faudrait partir d’une situation et agir tout de suite plus largement, sans continuer dans les enquêtes.»
L’action comme antidote
Reste à savoir qui pourrait la mener. Greg Décamps est perplexe. «Je vois beaucoup de gens compétents et de bonne volonté agir concrètement aux niveaux local et régional. Par contre, dans les hautes sphères, rien ne se fait. Il manque carrément une cellule qui centralise au plus haut niveau tous les dispositifs mis en place à l'échelon local, pour faire la synthèse de toutes les expériences. Je suis même convaincu qu’au sein du ministère, il y a des gens qui sont opposés à notre travail, et qui ne cherchent qu’à se protéger et à protéger d’éventuels collègues qui pourraient être directement ou indirectement accusés. Souvent, les postes qui comptent s’échangent entre les mêmes personnes. Quand on fait des vagues, quand on fait du bruit, en France, on craint pour l’avancement de sa carrière, c’est malheureux mais c’est évident.»