Contador, l’heure du jugement
cyclisme
Déclaré positif au clenbutérol sur le Tour de France 2010, le Madrilène sera fixé ce lundi. Le Tribunal arbitral du sport rend son verdict, dans une affaire complexe
L’affaire fut une déflagration, un typhon médiatique, puis un cas plombé. Renvoyée de mois en mois, dans des silences et de la gêne aux entournures. Contrôlé positif au clenbutérol sur le Tour de France 2010 qu’il remportait, Alberto Contador connaîtra ce lundi le jugement en appel prononcé par le Tribunal arbitral du sport (TAS). Seize mois après les faits.
Si l’épilogue a duré autant que la gestation d’une baleine, c’est d’abord que la quantité de clenbutérol découverte par le laboratoire de Cologne est infime: 5 picogrammes par millilitre. Un taux 400 fois inférieur à la concentration que les laboratoires antidopage accrédités par l’Agence mondiale antidopage (AMA) doivent pouvoir détecter. Pour une substance interdite, mais qui n’améliore pas la performance sur une prise aussi faible. Avertie le 23 août, l’UCI ne communique pas le résultat de l’échantillon A, ni la suspension provisoire d’Alberto Contador. L’affaire éclatera le 30 septembre. «Ce cas requérait des investigations scientifiques complémentaires avant qu’une quelconque conclusion puisse être tirée», se justifie l’UCI. Alberto Contador est exclu des compétitions jusqu’au verdict de la Fédération espagnole de cyclisme, le 15 février 2011. Il plaidera l’ingestion de viande contaminée.
La fédération espagnole renonce à la condamnation d’un an qu’elle avait un premier temps envisagée, et le blanchit. Mais le contexte est particulier: Alberto Contador reçoit le soutien du chef du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, et du président de l’Audience nationale, la plus haute instance pénale du pays, Angel Juanes. Dans un pays pointé pour ses réticences dans la lutte antidopage, quel crédit accorder dès lors à cet acquittement? Le dernier jour des délais, l’UCI fait appel de la décision auprès du TAS. «Le but n’est pas d’avoir des coupables, mais de garantir une justice sûre, indépendante, crédible. Le principe de toute justice», rappelle-t-on aujourd’hui dans les coulisses de la fédération. Dans la foulée, l’AMA saisira le TAS à son tour.
Prévues initialement au début juin 2011, les audiences du Tribunal arbitral seront reportées à plusieurs reprises, d’un commun accord. Sur demande des avocats de Contador, d’abord. Sur demande de l’AMA, ensuite. Dernier retard en date: celui du verdict, repoussé d’un mois. La raison? Une indiscrétion rapportée par Associated Press quant au président de la formation arbitrale, l’avocat israélien Efraim Barack, qui aurait refusé un témoin à l’AMA. Interrogées par le TAS, aucune des parties n’a toutefois souhaité contester la composition du Tribunal arbitral. Dans l’économie du procès et selon certains médias, le témoin en question était censé apporter la preuve d’une transfusion autologue. Une hypothèse moult fois évoquées, mais l’apparition des traces de plastique et celles de clenbutérol sur les prélèvements de Contador ne coïncideraient pas.
La longueur de l’affaire Contador – dix mois depuis qu’elle a été portée devant le TAS – s’explique par sa complexité. «Les cas concernant le clenbutérol peuvent être très délicats, dès lors qu’il existe, notamment au Mexique, des possibilités de contamination par de la viande», précise un expert. «La contamination est devenue une explication valable ou abusive. La présence de clenbutérol constitue une violation des règles antidopage; il appartient alors à l’athlète de démontrer comment il a absorbé cette substance et de démontrer que, compte tenu des circonstances, il n’a commis aucune faute. Depuis le début de la lutte antidopage, les moyens de défense des athlètes sont plus sophistiqués et l’analyse de la faute de l’athlète est devenue plus complexe.» Une complexité mentionnée par un spécialiste du droit du sport, proche du dossier: «Les parties s’accordent à dire que, compte tenu de la quantité infinitésimale de clenbutérol détectée, il ne peut s’agir que d’une contamination. Selon la réglementation antidopage applicable, cela importe peu; il appartient au coureur de prouver la source de la contamination, d’où la difficulté de l’affaire. Plusieurs scénarios ont été avancés pour l’expliquer: le coureur évoque la possibilité que les traces de clenbutérol proviennent de l’ingestion de viande issue d’un élevage faisant usage de cette substance; l’AMA soutient que la source serait liée à une transfusion (ndlr: autologue) avec du sang contaminé. La plausibilité respective de ces scénarios soulève des questions juridiques et scientifiques très compliquées. C’est la raison pour laquelle la procédure a été aussi longue: il a fallu trouver les experts, leur laisser le temps d’étudier le dossier, de rédiger leur rapport d’expertise, voire de commenter les rapports d’experts soumis par l’autre partie. Le fait que l’audition de ces experts ait duré quatre jours, alors que, normalement, elle est liquidée en un jour, vous donne une idée de la complexité de l’affaire.»
Aujourd’hui, alors que le Tour 2011 est un chapitre clos, le Tour de France 2010 attend sa résolution. Alberto Contador s’est muré dans le silence, réduisant ses prises de parole aux seules conférences de presse. «L’idée est de ne pas parler, par respect pour le procès, jusqu’à l’attente de la résolution du TAS», indique son attaché de presse personnel, Jacinto Vidarte. «Vous pouvez imaginer qu’Alberto ne se sent pas bien. Tout le monde peut le comprendre, après un an et demi d’attente.»
Si le TAS n’est pas convaincu par le scénario proposé par Alberto Contador, celui-ci sera condamné. La durée effective de la suspension tiendra probablement compte de la période d’exclusion déjà purgée et dépendra du point de départ choisi par le TAS ainsi que d’une éventuelle réduction due à la durée de la procédure. Les deux parties ont la possibilité de faire recours au Tribunal fédéral, mais sur des questions de procédure essentiellement. Et au-delà? S’il perd contre le TAS et le Tribunal fédéral, Alberto Contador pourrait porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, affirme un expert, qui précise qu’«une procédure à Strasbourg serait toutefois tellement longue qu’il aurait peut-être fini sa carrière avant son aboutissement. Une plainte devant la Commission européenne – comme celle récemment portée par le FC Sion contre l’UEFA – serait également envisageable.»