Cela restait une blessure peinant à cicatriser. Depuis 2003 et la mortifiante défaite de Team New Zealand face à Alinghi, ce petit pays des mers du Sud, où la voile est presque l’égale du rugby, vivait dans l’espoir de voir l’Aiguière d’argent revenir au port d’Auckland.
Un espoir qui prenait un peu plus l’eau à chaque défaite. Il y eut l’échec de Valence en 2007 mais surtout le traumatisme de 2013 à San Francisco. Les Néo-Zélandais menaient 8-1 avant de gaspiller huit balles de matches consécutives et de laisser Oracle signer une des plus spectaculaires «remontadas» de l’histoire du sport. La Coupe de l’America restait en mains américaines. La gueule de bois des Kiwis fut abyssale et les lendemains désenchantés au sein de l’équipe de Grant Dalton, décriée au pays.

La reconstruction d’Emirates Team New Zealand a pris du temps. Elle a nécessité l’apport financier de deux mécènes, le Néo-Zélandais Sir Stephen Tindall et l’homme d’affaires italo-suisse Dr Matteo de Nora. Sur le plan humain, la déroute de San Francisco a aussi fait des dégâts. Des licenciements brutaux. Mais comme souvent en sport, c’est dans l’adversité que se renforcent les champions. La route vers la 35e Coupe de l’America et la reconquête de l’Aiguière d’argent fut douloureuse et sinueuse pour les Kiwis, mais ils en sont ressortis grandis et plus forts.

Une approche différente

Le Suisse Jean-Claude Monin, concepteur de logiciels de performance chez Team New Zealand depuis 2017, désormais trois victoires à son actif (2003, 2007, 2017), raconte: «Il y a eu des moments très difficiles et pas mal de changements au sein de l’équipe. Mais l’état d’esprit est resté positif et surtout très ouvert. L’approche fut différente par rapport à 2013. Nous étions conscients qu’il fallait pouvoir augmenter en permanence la vitesse du bateau et ce jusqu’à la dernière semaine. Ce fut très intense. Tout le monde a réalisé un énorme effort sans compter ses heures.» Avec un budget bien inférieur à celui d’Oracle, mais une détermination et une motivation capables de déplacer des montagnes, David a battu Goliath lundi soir dans les eaux des Bermudes. Une victoire éclatante, 7-1.

«Notre force a été de réussir à identifier très tôt quels étaient les domaines dans lesquels on pouvait innover, les points sur lesquels on pouvait espérer faire la différence. Comme le fait de miser sur un design assez radical et sur une équipe navigante jeune, ouverte et dynamique, confie encore Monin. La décision de recourir à des vélos, partie visible de l’iceberg, a été prise très tôt. Elle a permis une organisation différente sur le bateau. Ça permettait, par exemple, à ceux qui produisent l’énergie à bord d’avoir les mains libres pour régler l’angle du foil, d’avoir quelqu’un dédié à la stabilité du bateau. On a pu pousser assez loin le rapport vitesse/stabilité du bateau. La clé avec ces voiliers.»

Spéculations sur la 36e édition

Au-delà du duel sur l’eau, spectaculaire, entre ces deux catamarans de 50 pieds volant à près de 97 km/h au-dessus des eaux turquoise, ce sont deux visions de la Coupe de l’America qui s’affrontaient. Et la victoire néo-zélandaise devrait signifier le retour à une compétition plus attachée aux traditions. Le choix de Luna Rossa Challenge, comme «Challenger of record», c’est-à-dire comme interlocuteur privilégié pour l’établissement du prochain Protocole, tend à le prouver. Le CEO de l’équipe italienne, Patrizio Bertelli, patron de Prada, avait fini par renoncer à cette 35e édition en raison de désaccords profonds avec Oracle. Mise en place d’une règle sur la nationalité, retour à une compétition en monocoques voulu par Bertelli, les spéculations vont bon train en ce qui concerne la 36e Coupe de l’America. Elle devrait avoir lieu en Nouvelle-Zélande mais quand, comment et avec qui? Wait and see.

En Suisse, tout le monde espère voir Ernesto Bertarelli replonger dans l’aventure. Avec une équipe unissant les forces vives d’un pays qui n’a rien à envier aux grandes nations de la voile. «Si les Néo-Zélandais décidaient d’imposer la règle de la nationalité, on aurait de quoi monter une équipe suisse performante, ce qui n’était pas le cas il y a treize ans. En plus de cela, notre pays a l’innovation, la technologie et le savoir-faire dans son ADN», confiait Ernesto Bertarelli à quelques médias suisses, il y a dix jours.

Un choix déterminant

Pour l’instant, il s’est contenté de saluer la performance. On connaît sa passion pour les multicoques. Saura-t-il conseiller son ami Bertelli et l’inciter à renoncer à l’idée d’un retour au monocoque. Au sein même de Team New Zealand, des voix s’insurgent contre ce principe «d’un retour en arrière alors que leur équipe a prouvé posséder une longueur d’avance technologique en multicoques». Le débat est lancé et le choix qui sera fait par le nouveau Defender et son Challenger of record influencera la participation de nombreuses équipes. Jean-Claude Monin sourit: «Simplement revenir en arrière n’est pas une option. L’équipe saura retenir les points positifs de l’évolution de ces dernières années.»

Quels que soient le format et le bateau choisis par le nouveau Defender pour la 36e édition, l’America’s Cup y retrouvera de sa splendeur. A commencer par une ferveur populaire comme seule la Nouvelle-Zélande en est capable pour ce sport, et qui manquait cruellement aux Bermudes. Comme dit le slogan de TNZ: «Un bateau, dix membres d’équipage, quatre millions de cœurs.»