Souvent, l’exercice est de mauvais augure. Il se fait complice d’un retard, d’un temps à rattraper. Deux par deux, trois par trois, peu importe, il faut foncer. Il laisse essoufflé, calciné. Mais comme d’habitude, des humains ont trouvé le moyen de le métamorphoser. D’en faire un plaisir partagé. Oui, on peut faire beaucoup de choses dans une cage d’escalier. On peut notamment essayer de savoir qui, parmi les volontaires, arrivera au sommet le premier. L’inventeur américain de l’ascenseur, Elisha Otis – c’était en 1853 –, a le droit de se retourner dans sa tombe.
Quand il laisse derrière lui la marche d’arrivée, Olivier Garessus ressent avant tout autre chose «les douleurs, et le soulagement d’échapper à un exercice difficile». Mais bientôt pointe la fierté, l’accomplissement. «On regarde en bas, et on voit, on mesure ce qu’on a réussi à faire», sourit-il. Le discours rappelle ceux souvent entendus dans les sports extrêmes. Ce jeune Suisse de 17 ans, étudiant en dernière année au gymnase Leonhard de Bâle, a été jusqu’à consacrer son travail de maturité à ce sport, le tower running. «Je trouve la motivation pour le tower running dans ma personnalité, écrit-il. En effet, je me consacre volontiers à des choses spéciales, folles. […] La performance et la soif de victoire figurent en première ligne de mes motivations.» Des motivations qui l’ont consacré champion d’Europe junior dans la catégorie des moins de 20 ans.
A l’entraînement, il s’est blessé au genou. Dans l’attente des résultats d’une IRM, il a été contraint de mettre la compétition entre parenthèses. Il a déjà couru à Vienne, à Francfort à deux reprises, à Bâle davantage encore. Souvent, les événements trouvent refuge dans des bâtiments qui tutoient le ciel: à Vienne, la Millenium Tower (171 mètres de haut); à Francfort, la Messeturm (257 mètres); à Bâle, la Messeturm également (105 mètres). Bien sûr, au-delà de la petite Europe, d’autres concours ont lieu dans le Taipei 101 (509 mètres) ou l’Empire State Building de New York (381 mètres). Quelquefois, les montagnes suffisent. Chaque année en Suisse, par exemple, l’ascension du Niesen (11 674 marches) est très prisée.
Dans son mémoire, Olivier Garessus rappelle qu’«on suppose que la première course en escalier du monde s’est déroulée en l’an 1905 dans la tour Eiffel. En revanche, il est clair que dans les années 50, un tel concours a eu lieu en Autriche. Le premier tower running moderne s’est tenu en 1978 dans l’Empire State Building de New York.»
Bon, ne vous y trompez pas: le défi n’est pas à la portée de n’importe qui. L’un des sites qui lui sont consacrés, Stairclimbingsport.com, souligne que c’est un «sport exténuant, intense, qui ne devrait pas être pratiqué sans avoir auparavant consulté son médecin. Si une activité si intense est embrassée sans que l’on soit prêt ou apte, physiquement et/ou émotionnellement, de sérieuses conséquences pourraient survenir en termes de santé, y compris la mort.» Voilà qui est dit, écrit.
«Le tower running, au fond, n’est pas dangereux», lâche le docteur Achim Rist, de la Praxisklinik de Muttenz. «Il faut seulement que les sportifs soient habitués à de telles performances et qu’ils se soient entraînés.» Le médecin, toutefois, reconnaît la spécificité de l’exercice. «Tout le monde peut le pratiquer, mais tout le monde ne peut pas y être bon», explique-t-il. «En effet, il faut une petite part de génétique favorable. Les valeurs de lactate [le sel de l’acide lactique, autrement dit une molécule biologique apparaissant lors d’un effort intense, ndlr] sont très rapidement très élevées dans le sang, tout comme les pulsations cardiaques.» Et de souligner le travail de fond nécessaire, non seulement sur la musculature des jambes, mais aussi, justement, sur ces pulsations cardiaques.
Olivier Garessus a passé trois mois auprès de la Praxisklinik de Muttenz, reconnue en tant que Swiss Olympic Medical Center; deux heures d’entraînement musculaire, deux à trois heures de course par jour, cinq jours sur sept. Un régime intensif. En vue des compétitions, il se déplace toujours la veille de l’épreuve, «car elles ont presque toujours lieu le matin», explique-t-il. Un repas léger, une nuit à l’hôtel, puis une demi-heure d’échauffement, et c’est parti. A quelques exceptions près, les départs sont donnés à des intervalles de quinze secondes. «C’est très serré, c’est difficile de dépasser», lâche-t-il. «Normalement, tous les concurrents montent les escaliers deux par deux.» Ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils avancent tous au même rythme.
Le tower running reste un sport de niche, mais n’allez pas croire qu’il ne se pratique qu’entre amis, le dimanche après-midi. Il est guidé par des fédérations, dont l’International Skyrunning Federation, qui établit un calendrier précis. En 2012, des compétitions ont été organisées aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Allemagne, à Taïwan, au Vietnam, à Singapour. Celle qui clôt la saison se tiendra au Brésil, à São Paulo, le 25 janvier.
Dépassement de soi, il suscite des exploits dont la portée mériterait autant de publicité que ceux d’Oscar Pistorius, personnalité la plus forte du sport paralympique. Le Sydney Morning Herald conte ainsi l’abnégation de Dwayne Fernandes, 25 ans, qui, habillé de prothèses à la suite d’une amputation des deux jambes, a englouti les 2060 escaliers de l’Hôtel Baiyoke de Bangkok (84 étages) en à peine plus d’une demi-heure. Il a également voyagé à New York, Hongkong, Singapour et Melbourne afin de s’adonner à ce sport. «Pour moi, c’est énormément de fun», confie-t-il au quotidien australien. «Je veux que les gens pensent: «S’il peut arriver là-haut et le faire, qu’est-ce qui m’arrête?»
Comme en chaque discipline, les contextes influencent directement la performance; une température chaude et une humidité forte peuvent se révéler délicates à négocier. «En ce moment, mon pensum pratique comprend 12 000 marches d’escalier par semaine», dit Thomas Dold, titré à de multiples reprises, le plus célèbre «coureur d’escaliers» au monde. 12 000 marches d’escalier. On a beau se forcer, on n’arrive pas à imaginer.
«Un sport exténuant, intense, qui ne devrait pas être pratiqué sans avoir auparavant consulté son médecin»