C’était peu après les Jeux paralympiques 2016 de Rio où elle s’est classée 13e au para-dressage avec sa jument Amanta. Un ami du CIO lui demande si elle veut participer au défi «Décrochons la lune» au profit de trois organisations caritatives. Il s’agit de parcourir 300 km en un mois, peu importe comment, à pied, à la nage, à vélo. Celine van Till accepte même si, à l’époque, elle peine encore à courir et à se maintenir à l’équilibre sur une bicyclette. Elle a une idée lumineuse: le tricycle.

Et voilà la jolie demoiselle à l’assaut de ses 10 km par jour, Plainpalais-Vésenaz, le temps de pédaler jusqu’à Amanta en pension au manège de La Pallanterie. Puis elle remise le trois-roues parce qu’elle a très envie d’écraser les fourmis qui lui chatouillent les pieds: les derniers 50 km sont franchis au pas, ensuite par petites foulées et enfin à grandes enjambées. On l’imagine alors en Forrest Gump se débarrassant de ses entraves et filant droite et fière vers le bout du monde.

Une page tournée

C’est là qu’on la retrouve sur une piste d’athlétisme carougeoise, gorgée d’eau. Le vent en rafales lisse son visage. Ses yeux virevoltent, petites billes un peu folles. «Je suis encore à moitié aveugle mais il y a eu cette opération contre le strabisme le 23 décembre qui a légèrement arrangé les choses, je vois toujours en deux dimensions, mais moins double», raconte-t-elle.

Celine est heureuse: elle a tourné une page, celle du para-dressage. En ouvre une autre: la course à pied, quatre rudes entraînements par semaine, le pari de représenter la Suisse aux Paralympiques de Tokyo. Imaginait-elle cela dix ans en arrière?

Le 30 juin 2008, lors d’un stage en Allemagne avec l’équipe suisse junior de dressage, son cheval Zizz se cabre et l’écrase. Trauma crânien, un mois de coma, autant de semi-coma. Le corps médical ignore si elle se réveillera, remarchera, reverra, reparlera, recouvrera ses facultés mentales.

Rêve d'adolescente

Elle se réveille, est tétraplégique et quasi-aveugle. Alterne les hauts et les bas, est dépressive puis euphorique. Se bat, récupère, réapprend à tenir une cuillère, à articuler des mots. Remonte quatre mois plus tard sur Zizz. Elle dit que l’animal a été la source de ses ennuis mais aussi son médecin, son thérapeute, son meilleur ami.

C’est un autre cheval, Amanta, qui la remet au monde. Malgré les séquelles de coordination et d’équilibre et une vision réduite, elle participe à deux Jeux équestres mondiaux (Kentucky en 2010 et Caen en 2014), à deux Championnats d’Europe (Deauville en 2015 et Göteborg en août 2017, 11e place) et réalise son rêve d’adolescente: une qualification aux JO de Rio.

Autre facette révélée par le handicap

Entre un père financier et une mère entraîneuse d’équitation, tous deux d’origine néerlandaise installés en Suisse, Celine a grandi dans un milieu aisé à Choulex (GE) mais dit qu’elle se sentait seule. Timide, renfermée, mise à l’écart par les autres filles parce que trop jolie, trop bonne élève et cavalière prometteuse. Etonnant: le handicap a révélé une autre Celine, charismatique, souriante, ouverte. «J’éprouve mieux les beautés de la vie, ses inattendus, ses difficultés aussi, les défis qu’elle représente qui peuvent être des opportunités.»

Elle est aujourd’hui autonome, a décroché un bachelor en management et marketing, travaille en indépendante, fait du coaching, est conférencière. Elle a emménagé dans un appartement non loin de Plainpalais. Se rend sur la piste carougeoise du Bout-du- Monde en courant parce qu’elle connaît le chemin et peut y aller seule malgré sa vue déficiente. Elle a réappris à coordonner ses jambes, avec des efforts progressifs, 10 m de course puis 100, 200, 500… Un 10 km au Lausanne Marathon, parcourus en 55 minutes en 2016, avec un guide pour prévenir les chutes. «Par rapport à ma première course, j’ai gagné ce jour-là 30 minutes en trois mois», se souvient-elle.

En 2017, elle court avec les valides à la Run to Run de Carouge (15e de sa catégorie) et à la Course de l’Escalade (4,9 km en 24 minutes, 190e sur 885). Celine a intégré le Team Genève, s’est même entraînée avec Tadesse Abraham (5e du dernier Marathon de New York).

Une nouvelle ossature

Quelle est sa marge de progression? Elle l’ignore mais la croit large. Son ossature est aujourd’hui celle d’une athlète, fine, légère, nerveuse. Et a peu à voir avec la robustesse de la cavalière. Des soucis cependant. Elle ne peut pas enfiler des chaussures à pointes car ses pieds heurtent ses jambes en courant et elles seraient en sang. Et  par rapport à sa catégorie de handicap, seules des courses de 100, 200, 400 et peut-être 600 mètres sont au programme paralympique. Un peu courtes pour Celine férue de fond et de demi-fond. «Mais tout est possible», martèle-t-elle.

Elle avale les tours de piste en demeurant très concentrée, aux aguets, sans cesse prête à ordonner à son cerveau de lever ses jambes. «Parfois, ça disjoncte», dit-elle. Son livre Pas à pas (Editions Slatkine) paru en 2011 est un succès de librairie (il a été réédité) et un film, Bucéphale, retrace son parcours entre ombre et lumière. Elle tient à ce qu’apparaisse ici l’adresse de son site (www.celinevantill.ch), où l’on apprend qu’elle a obtenu en 2012 le titre de Miss Handicap (elle nous l’avait caché).


Profil

1991 Naissance à Genève.

2008 Chute de cheval, traumatisme crânien.

2016 Participe aux Jeux paralympiques de Rio.

2017 11e aux Championnats d’Europe de para-dressage.

2018 Se lance dans la course à pied.