En swahili, fursa signifie «opportunité». Chez les cyclistes d’Afrique de l’Est, ce mot s’incarne à travers un vélo gravel. Cadre de course mais robuste, pneus larges à relief mais roulants, cette monture hybride qui charrie un ensemble de valeurs plus inclusives dans son sillage, fait de plus en plus d’adeptes à travers le monde. A travers elle, certains athlètes africains espèrent pouvoir réaliser leur rêve sportif.

Il suffit de regarder le peloton du Tour de France, par exemple, pour se rendre à l’évidence. Une grande partie du monde manque au World Tour de cyclisme sur route. En 2021, moins de 2% des professionnels de la première division mondiale étaient Africains: 11 sur 578 au total.

Ces chiffres témoignent de l’épais plafond de verre du vélo en Afrique. Ses causes sont multiples, autant dues aux restrictions de voyage et aux problèmes administratifs qu’à la pénurie de matériel et aux barrières linguistiques et culturelles. Mais aux yeux de Mikel Delagrange, avocat spécialiste des droits de l’homme, le plus gros problème réside dans le manque d’opportunités en matière de courses sur le continent africain.

Renverser la tendance

Pour cet Américain, cycliste amateur, venu au vélo grâce aux victoires du champion déchu Lance Armstrong, c’est une évidence: «Si tu ne te confrontes pas aux meilleurs, ton niveau stagnera et tu n’atteindras jamais celui qui est nécessaire pour figurer dans le World Tour.» Conscient qu’offrir l’opportunité à quelques Africains de participer à des courses de haut niveau loin de chez eux ne bénéficierait qu’aux heureux élus, il a préféré renverser la démarche en invitant des pointures (qui si elles sont pas sur le World Tour, témoignent d'un excellent niveau) à deux épreuves d’importance qu’il a créées en 2021 entre le Kenya et la Tanzanie.

«L’expérience est ainsi partagée par toute une communauté de coureurs, poursuit Mikel Delagrange dans le magazine Outside. Propulsés sur un terrain nouveau, les athlètes occidentaux peuvent aussi découvrir une autre culture et créer des liens forts avec des sportifs qu’ils n’auraient pas forcément l’occasion de rencontrer ailleurs.»

Amani signifie «paix» en swahili. «L’ambiance est en effet paisible le soir lorsqu’on se retrouve tous autour du feu, témoigne Marin de Saint-Exupéry, l’un des quelque 40 cyclistes occidentaux à avoir participé ces derniers jours à la Migration Gravel Race au Kenya. Mais dès que le soleil se lève, tout le monde est en monde compétition.»

Mal des montagnes

Il est habitué aux courses de cyclisme longue distance, mais il ne cache pas avoir souffert sur la terre sèche des hauts plateaux kenyans. «Ça tape, c’est dur et ça va vite, décrit-il au téléphone. L’effort est intense, le rythme soutenu. Tout le monde part à bloc et si tu veux prétendre à la victoire, tu es obligé d’être d’emblée dans le peloton de tête. Après, il faut résister le plus longtemps possible.»

Sur quatre jours, les participants de la Migration Gravel Race ont parcouru 650 kilomètres dans la réserve naturelle du Masai Mara à une altitude moyenne de 1900 mètres. «Je n’avais pas anticipé le manque d’oxygène et après avoir été retardé par une crevaison le premier jour, j’ai eu la tête qui tournait et le cœur qui battait la chamade le second», relate Marin de Saint-Exupéry. Les jours suivants, des problèmes gastriques l’ont contraint à abandonner et à suivre ses concurrents dans une voiture-balai.

Il regrette donc de ne pas avoir pu suivre la globalité des singletracks, des sentiers techniques et des pistes d’argile rouge qui sillonnent ces plaines habitées par les Massaïs. Bien qu’il ait pu observer autant les zèbres que les girafes, les antilopes et les hippopotames, l’animal qui l’intéressait le plus était couvert de poussière et se déplaçait sur deux roues.

Un tremplin

Bien équipés et parfois mieux entraînés, ce sont essentiellement des membres de l’équipe Amani soutenus par le projet qui se sont disputé la victoire. «Mais cette année, s’il n’avait pas eu un problème sur son dérailleur à deux minutes de la fin, l’Italien Mattia De Marchi l’aurait remportée», précise le cycliste français.

Chez les femmes, la Kenyane Nancy Akinyi, lauréate l’an dernier et médaillée de bronze aux Jeux africains 2019 au Maroc a été blessée lors de la seconde étape qu'elle a tout de même remportée. Incapable de poursuivre la course, elle a laissé la victoire à l’Italienne Maria Sperotto et l’Américaine Lael Wilcox, elle-même connue pour ses performances en longue distance. Du côté masculin, c’est le Kenyan John Kariyuki qui a remporté la course devant l’Ougandais Jordan Schleck Ssekanwagi.

Si tous prévoient de participer à l’Evolution Gravel Race, qui se déroulera dès dimanche en Tanzanie, nombreux sont ceux qui rêvent des plus célèbres courses de gravel aux Etats-Unis. Unbound Gravel, Gravel Locos, Steamboat Locos, autant de noms que d’opportunités pour briller ailleurs que sur leur continent. Et de montrer de quoi ils sont capables malgré un terrain semé d’embûches.