Le Comité international olympique (CIO) n’a certainement jamais été aussi puissant à la tête
d’un mouvement unitaire et universel mais aussi d’un financement qui parait assuré pour les
dix années à venir. Il reste cependant un colosse aux pieds d’argile qui doit faire face à de
multiples défis pour assurer sa légitimité et sa survie.

La guerre russo-ukrainienne ajoute un nouveau challenge dans la géopolitique du sport mondial et sur l’échiquier stratégique du président du CIO Thomas Bach. L’ingérence politique n’a jamais été aussi prégnante depuis la guerre froide et les boycotts, comme en atteste la demande du gouvernement suisse faite au CIO d’exclure les dirigeants russes et biélorusses de la gouvernance du sport mondial. Elle remet en cause le sacro-saint principe d’autonomie du sport revendiqué par le CIO et les institutions sportives internationales et leur volonté de s’auto-gouverner.

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Ce challenge vient percuter le CIO dans un monde qui devient progressivement multipolaire et soumis au risque d’une plus grande fragmentation. La domination de l’hyperpuissance américaine et occidentale décline face au poids économique majeur et bientôt prépondérant de l’Asie (la Chine seule devrait dépasser le PIB des USA dès 2030), à l’explosion démographique de l’Afrique (840 millions de jeunes d’ici 2050) et à la poussée stratégique des pays musulmans.

Le poids de l’Occident et des Etats-Unis

Pourtant les instances internationales du sport restent gouvernées très largement par des Européens – c’est le cas de 70% des fédérations internationales olympiques – et leur financement est très majoritairement occidental (deux tiers des 15 tops sponsors du CIO) et surtout américain (environ 80% pour le CIO compte tenu de la prépondérance des droits médias versés par la chaîne américaine NBC – 7,65 milliards de dollars pour 2021-2032).

Un virage et un pari important ont été pris, au cours des quinze dernières années, avec le retour des Jeux olympiques auprès de deux grandes démocraties asiatiques (Pyeongchang en Corée du Sud en 2018 et Tokyo en 2020) mais aussi avec l’attribution des méga-événements à de grandes puissances émergentes dirigées par des régimes autoritaires: la Chine (Jeux de Pékin 2008 et 2022), la Russie (avec les Jeux de Sotchi 2014 et la Coupe du monde de football 2018) auxquelles s’ajoutent les pays du golfe qui ont accueilli, comme la Chine et la Russie, nombre de compétitions internationales et de championnats du monde dont le point d’orgue sera la Coupe du monde de football au Qatar fin 2022.

Ces nouveaux acteurs ont pu utiliser le soft power sportif au prix de contestations diverses, problématiques pour leur réputation et leur image mais aussi pour celles de l’olympisme. Avec une attribution des futurs Jeux uniquement à de grandes villes occidentales (Paris 2024, Los Angeles 2028 et Brisbane 2032 – sans aucune mise en concurrence –, Milan 2026 pour les Jeux d’hiver), le CIO donne un très fort coup de barre vers son ADN historique occidental. La gouvernance et le financement des instances internationales comme l’accueil des Jeux relèvent désormais d’un contrôle occidental très dominant. Est-ce une bonne nouvelle et un nouveau compromis plus sécurisant et nécessaire?

Plus d’engouement et de défis ailleurs

Paradoxalement, on peut en douter pour deux raisons. D’une part parce que le désir et le besoin d’olympisme sont moins forts et peut-être moins essentiels pour les démocraties, notamment occidentales. Le mouvement olympique y trouve, en effet, un défi assez peu stimulant et difficile à relever en tentant de reconquérir des opinions publiques et des experts globalement sceptiques sur les effets attendus des Jeux (durabilité, retombées et héritage contestés; capacité limitée à attirer les plus jeunes vers la pratique institutionnelle et le spectacle olympique) et de défendre une intégrité sportive toujours fortement questionnée (santé et bien-être des athlètes d’élite, dopage, etc.).

D’autre part, le monde olympique doit démontrer sa capacité à développer le sport comme outil d’éducation, d’aide au développement, voire de transformation sociale dans l’ensemble des pays du monde et notamment auprès de civilisations plus éloignées de la pratique sportive (islamique, hindoue et africaine) disposant d’une très jeune population et où l’olympisme est encore balbutiant. La création d’une agence internationale du sport pour le développement portée par le CIO serait, dans ce contexte, un outil clé pour développer des projets ambitieux d’innovation sociale par le sport notamment dans ces pays très demandeurs.

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En parlant principalement à une partie du monde, l’olympisme risque de voir son projet universaliste s’affaiblir au risque de renforcer les opportunités des acteurs du sport business ou/et de voir de nouvelles grandes compétitions internationales et de nouveaux sports émerger en dehors du système olympique. Dans un contexte international encore plus volatil et incertain, la solidarité et l’alignement mondial autour du leadership olympique pourraient très largement se fissurer. Ce sera le cas si les nouveaux acteurs du monde de demain et leurs populations n’arrivent pas à y trouver leur place, leur culture et leurs modes d’organisation étant très différents du modèle européen du sport qui repose sur le rôle clé des clubs et du bénévolat.