Depuis qu’elle s’est lancée dans les épreuves de triathlon de longue distance en 2013, Daniela Ryf (30 ans) enchaîne les succès. Cette année n’a pas dérogé à la règle: la Soleuroise a fêté ses troisièmes titres de championne du monde en Ironman (3,8 km de natation, 180,2 de vélo et 42,195 de course à pied) et en Ironman 70.3 (les mêmes distances divisées par deux).

Samedi dernier, à Bahreïn, elle a manqué l’occasion de terminer sa saison par une victoire qui lui aurait rapporté un million de dollars, mais peu après cette (rare) déconvenue, elle avait déjà trouvé les moyens de la convertir en une source de motivation. Rencontre à Manama, capitale du royaume de Bahreïn.

Le Temps: Un million de dollars vous attendait en cas de victoire, samedi dernier à l’Ironman 70.3 de Bahreïn, mais vous avez terminé troisième. Cela faisait longtemps que vous n’aviez pas été battue…

Daniela Ryf: La dernière course que je n’ai pas gagnée, c’était en avril dernier au Challenge 70.3 Mogan aux Îles Canaries. Comme samedi, j’avais terminé troisième au bout d’une course difficile… Mais les épreuves que je ne gagne pas sont une vraie source de motivation, car elles me rappellent qu’il faut toujours être à son meilleur niveau sinon quelqu’un d’autre sera plus rapide. A Bahreïn, je n’étais simplement pas assez forte.

– Vous êtes restées en tête jusqu’aux premiers kilomètres du parcours de course à pied. Qu’avez-vous ressenti quand Holly Lawrence vous a dépassée?

– J’ai essayé de rester à ses côtés mais je n’arrivais pas à suivre son rythme. Mon estomac n’était pas au top. Mes jambes non plus. Je courais dans la douleur. Au moment où elle m’a dépassée, je me suis dit que tout était encore possible. Sur le bord du parcours, tout le monde m’encourageait et me disait de ne pas abandonner. J’ai continué à me battre. A chaque virage, j’essayais d’accélérer à nouveau pour la rattraper, mais ça n’a pas marché.

– Comment avez-vous réagi lorsque vous avez réalisé que vous n’alliez pas gagner la course?

– Dès mes premières foulées, je me suis rendu compte que je ne courais pas bien et j’ai compris que ce serait difficile. Quand vous vivez ça, vous essayez de ne pas trop réfléchir. Mais vous vous rappelez tous les entraînements que vous avez faits, toute l’énergie que vous avez consacrée, tous les sacrifices que vous avez consentis. J’ai aussi essayé de me remémorer les entraînements effectués durant la semaine pour retrouver de bonnes sensations. Parfois ça fonctionne, mais là, ça n’a pas suffi. Holly faisait une bonne course, pas moi. Je devais l’accepter et continuer.

– Cette déception mise à part, vous avez connu une nouvelle saison exceptionnelle. Comment la triathlète «classique» qui ne comptait pas parmi les toutes meilleures mondiales est-elle devenue la reine des longues distances?

– J’ai fait quelques bonnes courses sur distance olympique. J’ai notamment gagné une épreuve des séries mondiales. Toutefois, il est clair que je n’obtenais pas les résultats que j’ai maintenant, alors que je m’entraînais beaucoup, sans doute de façon plus dure. Je dois être honnête: mon corps n’était pas fait pour ce format et je pense que c’est pour cette raison que les longues distances me conviennent mieux. Plus la distance augmente, plus je sens la force et la puissance m’habiter. Sur distance olympique, j’avais l’impression que je ne pourrai jamais être suffisamment rapide. Je courais 10 kilomètres en 33 minutes, mais cela ne suffisait pas. L’Ironman correspond mieux à mon organisme.

– Y éprouvez-vous plus de plaisir?

– Paradoxalement, je préfère les distances courtes… C’est plus amusant d’aller vite, mais je n’étais pas suffisamment bonne, et il faut se concentrer sur ce qui nous convient. Sur les distances Ironman, je sens au fil des kilomètres mon avantage se mettre en place. Dans la tête, il faut être fort, ne pas abandonner, pousser continuellement. Mais le mental joue un rôle important sur les distances plus courtes également. Pour être honnête, je les ai toujours trouvées bien plus dures que les longues!

– Quelles routines observez-vous avant une compétition?

– J’ai des petits rituels, des choses que je fais toujours de la même manière, mais j’essaie de ne pas trop en dépendre. Une de mes habitudes est de manger un bon steak accompagné d’un bon verre de vin le soir précédant une course. C’est important pour moi de me détendre, de passer du temps en famille et d’oublier la nervosité de la compétition. Ainsi, je dors mieux et le sommeil est important. Le matin avant une course également, j’essaie de garder mes habitudes tout en étant flexible.

– Quelle est votre approche de l’alimentation? Suivez-vous un régime spécial?

– Je faisais beaucoup plus attention à ce que je mangeais quand je participais aux courses de plus courte distance. Je devais surveiller à mon poids, car il s’agissait d’être vraiment rapide. Maintenant, je suis plus lourde qu’auparavant, mais je sens que j’en ai besoin. En Ironman, vous avez besoin d’énergie, de force et de puissance. Donc j’essaie de manger ce qui fait que je me sens bien. Y compris du chocolat, des chips, des frites et des hamburgers… mais pas tout le temps évidemment! J’essaie de m’alimenter de façon équilibrée, mais pas de façon extrême.

– Vous ne vous privez de rien?

– En fait, j’ai arrêté de bannir certains aliments durant des semaines ou des mois entiers. Je pense qu’il vaut mieux ne pas s’imposer trop de restrictions. J’évite comme ça d’être obsédée par ce repas ou cet aliment auquel je me force à renoncer… Avant les Jeux olympiques, je n’avais pas mangé de chocolat, de chips, ni quoi que ce soit de ce genre pendant huit mois. A la fin, je n’en pouvais plus. Cela devient contre-productif.

– Vous avez un jour expliqué que certaines fois, vous compariez votre corps avec ceux des autres triathlètes et que si elles avaient l’air plus en forme que vous, cela vous intimidait. Avez-vous des complexes?

– Comme tout le monde, oui. Mais en fin de compte, l’apparence n’est pas importante si vous êtes rapide. En fait, c’est une grosse erreur de regarder une photo et de se trouver des défauts. Bien sûr, cela m’arrive aussi de temps en temps. Or le corps doit être ce qu’il a besoin d’être. La forme physique ne se résume pas à l’apparence.

– Vous vous entraînez jusqu’à sept heures par jour. Un tel rythme fait-il des triathlètes longue distance des personnes forcément solitaires, à la vie sociale compliquée?

– Il faut trouver un équilibre. Pour moi, commencer des études m’a aidé parce que tout à coup, j’avais quelque chose à côté du sport. En tant qu’athlète professionnel, c’est vraiment très facile de s’enfermer dans un petit milieu. Pour moi, être à la maison, passer du temps avec ma famille et mes amis, avoir autour de moi des gens d’horizons différents me permet de me couper du monde du sport. Il est vraiment important de se rendre compte qu’il y a un vaste monde en dehors du triathlon.

– Quelle influence cette discipline a eu sur votre personnalité?

– Elle m’a appris la régularité, la patience, l’importance du travail pour arriver à ses fins, mais elle ne m’a pas rendue solide ou résistante: je pense que je l’étais avant de devenir triathlète. Après, une course Ironman, c’est une succession de challenges qui permettent toujours d’apprendre quelque chose, de grandir et d’évoluer.

– Cela fait-il de ceux qui y participent des personnes particulièrement résistantes?

– Non. Un homme d’affaires peut être aussi solide qu’un triathlète. En fait, vous devez trouver dans quoi vous êtes bons, et vous concentrer là-dessus. Ça peut être le sport, le travail ou un hobby. Parfois dans la vie, quelque chose paraît impossible. Mais avec le travail et la détermination, on parvient parfois à le réaliser. C’est ce que le triathlon et l’Ironman m’ont fait découvrir.