Tennis
En Serbie, les nombreux soutiens politiques et sportifs du joueur s’indignent d’une décision jugée purement stratégique. Les organisateurs du tournoi prennent acte et veulent «tourner la page»

Le bras de fer est terminé, mais l’amertume subsiste. Les réactions fusent ce dimanche 16 janvier après l’annonce de la Cour fédérale australienne invitant le numéro 1 mondial Novak Djokovic à quitter le pays, douchant ses espoirs de remporter un 21e trophée du Grand Chelem et ainsi dépasser ses grands rivaux Roger Federer et Rafael Nadal.
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Le Serbe s’est brièvement exprimé à l’issue du verdict: «Je vais maintenant prendre du temps pour me reposer et récupérer […]. Je suis extrêmement déçu par la décision de la cour de rejeter mon recours.» Il souligne néanmoins son intention de «respecter la décision» et de «coopérer avec les autorités».
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«Cela me met mal à l’aise que l’attention ait autant été portée sur moi ces dernières semaines, et j’espère que nous pouvons désormais tous nous focaliser sur le jeu et le tournoi que j’aime. Je voudrais souhaiter bonne chance aux joueurs, aux responsables du tournoi, aux staffs, bénévoles et spectateurs», lance-t-il, avant de remercier ses soutiens, notamment, «les fans et compatriotes serbes».
De retour en Serbie «la tête haute»
Fervent défenseur de l’icône nationale, le président serbe, Aleksandar Vucic, a estimé ce matin que le joueur pouvait rentrer dans son pays «la tête haute et regarder tout le monde droit dans les yeux», relaient plusieurs médias serbes.
«Ils [les autorités australiennes, ndlr] ont harcelé un joueur de tennis pendant dix jours afin de lui signifier une décision dont ils savaient dès le premier jour qu’il la prendrait. […] Une chasse aux sorcières contre une personne – et contre un pays […]. Ils pensent qu’avec ces dix jours de mauvais traitements, ils ont humilié Djokovic, a-t-il lancé à la presse locale. Ils se sont humiliés eux-mêmes.»
La première ministre Ana Brnabic a, quant à elle, relevé la contradiction des deux décisions de justice visant le champion en l’espace de quelques jours. «Je ne suis pas satisfaite, mais l’heure n’est pas à l’émotivité. J’ai hâte de voir Novak Djokovic dans mon pays, en Serbie, afin que nous puissions traverser tout cela ensemble et le soutenir en ces temps difficiles», a-t-elle lancé à la mi-journée.
L’Association de tennis de Serbie, soutien indéfectible du «meilleur ambassadeur du pays», veut croire que même après «cette injustice faite non seulement à un athlète historiquement couronné de succès, mais aussi à une personne exceptionnelle», «Novak, comme d’habitude, sera plus fort et meilleur».
«Ce n’est pas de sa faute»
De son côté, Vasek Pospisil, proche de Djokovic et cofondateur avec ce dernier du syndicat de joueurs PTPA, a mis en avant l’absurdité de toute la situation dans des propos relayés par le média serbe Blic Sport:
«Novak ne serait jamais allé en Australie si on ne lui avait pas donné une exemption pour entrer dans ce pays. Il aurait fait l’impasse sur l’Open d’Australie, serait resté chez lui avec sa famille et personne n’en aurait fait tout un foin. Il y avait des questions politiques derrière tout ça avec des élections approchant [en Australie, ndlr]. Ce n’est pas de sa faute. Il n’a pas forcé les frontières du pays et n’a pas «écrit ses propres règles»: il était prêt à rester chez lui.»
Novak would never have gone to Australia if he had not been given an exemption to enter the country by the government (which he did receive; hence Judge Kelly’s initial ruling). He would have skipped the Australian Open and been home with his family and no one would be.. [1/2]
— Vasek Pospisil (@VasekPospisil) January 16, 2022
Le monde du tennis veut «tourner la page»
Et le sport, dans tout ça? L’ATP, qui gère le circuit professionnel masculin de tennis, a souligné que l’expulsion de Djokovic d’Australie «mettait un terme à une série d’événements profondément regrettables» à la veille du début du tournoi. «Les décisions de justice concernant des questions de santé publique doivent être respectées». Néanmoins, «l’absence [de Djokovic, ndlr] à l’Open d’Australie est une perte pour le tennis», note l’organisation.
L’entraîneur de Stan Wawrinka, Daniel Vallverdu, s’est fendu d’un tweet pour inviter «tout le monde du tennis, des joueurs aux entraîneurs, en passant par les journalistes» à faire l’effort de «tourner la page». «Concentrons-nous sur les joueurs qui vont jouer pendant les deux semaines à venir, ils se sont entraînés dur pendant des mois, c’est leur moment.»
Everyone in tennis from players to coaches to journalists to tv commentators…lets make a conscious effort to turn the page and give the well deserved attention to the players competing the next two weeks. They have been training for months and its their time.
— Daniel Vallverdu (@danielvallverdu) January 16, 2022
Good luck to all!
Patrick Mouratoglou, l’entraîneur de Serena Williams, va dans ce même sens: «Le grand perdant de tout ce chantier, c’est le tournoi. La seule bonne nouvelle, c’est qu’on va pouvoir parler de tennis». Quant à l’ancien numéro 1 mondial Andy Murray, il a déclaré sur la BBC: «Je connais Novak depuis que nous avons 12 ans, c’est quelqu’un que je respecte et contre lequel j’ai joué. Je n’aime pas qu’il se retrouve dans cette situation et je n’aime pas le fait qu’il a été placé en rétention […]. J’espère que cela ne se reproduira pas pour d’autres tournois. Je ne le souhaitais ni à Novak ni au tennis et j’espère que c’est terminé maintenant.»
Sacrifices et protection, les mots forts du gouvernement australien
Dans le pays hôte du tournoi, le gouvernement s’est sans surprise félicité de sa victoire judiciaire. «La politique ferme de protection des frontières de l’Australie nous a maintenus en sécurité pendant la pandémie», a affirmé le ministre de l’Immigration, Alex Hawke, dans un communiqué. «Les Australiens ont fait de grands sacrifices pour en arriver là et le gouvernement Morrison est fermement décidé à protéger cette position», a-t-il ajouté.
Les autorités devront néanmoins faire face à plusieurs groupes politiques dénonçant «la fin de la démocratie» qu’incarne ce renvoi. Cette «saga» a fait du sportif une «icône», voire le martyr d’une frange discrète mais déterminée du mouvement antivax, et a donné bien malgré le gouvernement une publicité inespérée à ce dernier.
Civil rights proponents say one of the Morrison government’s key reasons for deporting Novak Djokovic was weak and could create a precedent to block travelers with undesirable political views who pose no real risk to the community @theage https://t.co/wdf17jQnfs
— Paul Sakkal (@paulsakkal) January 16, 2022