«Dépendre d’un mécène est un modèle dangereux»
Football
Claudius Schäfer, directeur de la Swiss Football League, comprend la réticence des investisseurs à s’engager dans les clubs suisses. Il n’est pas question que la surveillance soit laxiste pour autant
C’est la reprise. Ce samedi, la Super League reprend ses droits. A l’heure d’entamer un deuxième tour qui s’annonce quelque peu bancal (lire ci-dessous), Claudius Schäfer, tout juste 40 ans et fraîchement promu au poste de directeur général de la Swiss Football League, a reçu Le Temps à Muri (BE), dans les locaux d’une instance dirigeante forcément concernée par les diverses polémiques. Avocat de formation et ancien responsable de la commission des licences de la SFL, Claudius Schäfer fait le tour des enjeux économico-sportifs du football suisse. Les questions du moment renvoient souvent aux interrogations d’il y a longtemps.
Le Temps: Après la faillite de Neuchâtel Xamax, voilà que le Servette FC peine à honorer ses obligations financières. Les clubs suisses sont-ils en si mauvais état financier?
Claudius Schäfer: Il est important de souligner que le cas de Xamax est à part. La SFL a octroyé plus de 200 licences, et jamais un tel cas ne s’était produit. Plus généralement, quand la première phase de la crise a débuté, en 2008, nous nous demandions quelles seraient ses conséquences pour le football suisse. Nous n’avons rien vu venir. Force est de constater que ses effets se font sentir aujourd’hui.
– Donc, vous imputez leur fébrilité financière à la crise économique?
– En partie, oui. Même si notre pays reste passablement épargné, cette crise a quand même largement refroidi les entrepreneurs et les banques.
– Il est pourtant de notoriété publique que le football suisse peine à attirer des investisseurs.
– Utiliser le terme d’investisseurs n’est pas forcément adéquat. Un investisseur attend un rendement lorsqu’il alloue son argent. Or, dans le football suisse, voire dans le football en général, il est très rare qu’un club soit bénéficiaire sur le long terme. Cela reste très lié à ses résultats sportifs. Ce qui, en un sens, est plutôt réjouissant…
– Doit-on alors parler de mécènes?
– C’est plus approprié.
– Et vous croyez en un système qui repose sur le bon vouloir de bienfaiteurs dont on ne connaît pas toujours le niveau de bienveillance? N’est-ce pas dangereusement instable?
– Bien sûr que c’est dangereux. Je préférerais que cela soit autrement, que tous les clubs soient portés par plusieurs paires de bras. Mais la réalité est autre.
– Et si le président du Servette, Majid Pishyar, décide de tout plaquer d’un jour à l’autre?
– En l’état, je ne sais pas s’il tente une sorte de bluff pour réveiller les Genevois ou s’il peine réellement à payer ses factures. La SFL lui demande des comptes parce qu’il pèche sur deux points sur lesquels nous sommes très pointilleux: les salaires et les charges sociales.
– Au vu des déficits et/ou des dettes de nombreux clubs européens qui, pourtant, ne sont pas ennuyés par leur autorité dirigeante, ne l’êtes-vous justement pas un peu trop, pointilleux?
– Il est de notre responsabilité d’être sévère. On ne peut pas se permettre de laisser évoluer un club qui ne serait pas viable financièrement.
– C’est pourtant le cas dans d’autres pays.
– En effet. En Espagne, par exemple, il n’existe aucune procédure d’octroi de licences! Quand je vois qu’en Coupe d’Europe, les clubs suisses affrontent des équipes qui n’ont pas payé les salaires depuis plusieurs mois, je me pose des questions, je suis inquiet pour l’équité sportive.
– Du coup, vous devez attendre beaucoup de la nouvelle réglementation financière de l’UEFA, le «fair-play financier»?
– C’est vrai, j’espère que son entrée en vigueur servira le football suisse, en lissant les inégalités de traitement. A court terme, je suis très curieux de voir l’effet qu’aura la directive déjà en vigueur, celle qui interdit tout arriéré de paiements aux clubs européens.
– En attendant, comment les clubs suisses pourraient-ils s’assurer plus de revenus?
– Du côté des droits TV, c’est compliqué, on n’est pas la Premier League! Nous sommes très contents de notre nouveau contrat avec Cinetrade [Teleclub]. Reste que la vente des droits de diffusion ne représentera qu’entre 6 et 8% des revenus totaux, contre 4% actuellement. En Italie ou en Angleterre, on est largement au-dessus de 50%. Il y a à faire du côté de la billetterie, et notamment pour tout ce qui touche aux VIP. Les nouveaux stades, avec des loges, sont propices à développer le segment «hospitality». Reste la formation de qualité qui, à long terme, doit permettre aux clubs suisses d’engranger des plus-values intéressantes lors de la vente d’un jeune joueur à l’étranger. Le zurichois Rodriguez [cédé à Wolfsburg] est le dernier exemple en date.
– Quel regard portez-vous sur le système de propriété de joueurs par des investisseurs privés? Un système répandu mais que Bulat Chagaev dénonce, et que du coup, le grand public découvre ces dernières semaines?
– Ce système a un grand avantage: il permet à des clubs qui n’en auraient pas les moyens de voir évoluer sous leurs couleurs des joueurs talentueux et/ou prometteurs. Mais il y a des limites à ne pas franchir. Au Brésil, certains joueurs sont la propriété d’une dizaine d’investisseurs. Des banques, des assurances, des privés… Si cela se limite à un ou deux investisseurs par joueur, je n’y vois pas de problème majeur. Autre condition: ces investisseurs ne doivent en aucun cas intervenir dans les choix sportifs du club dans lequel «leur» joueur évolue.
– Tous les clubs suisses devraient-ils s’inspirer du modèle à succès du FC Bâle?
– Tous n’en ont pas les moyens financiers. En plus, ce club jouit d’une organisation administrative compétente et très stable. Mais le FC Bâle a surtout le mérite d’avoir créé une vraie culture footballistique dans la région. Aujourd’hui, le match de Bâle est «le» grand événement du week-end que personne ne manque.
– L’antithèse, c’est le modèle du Lausanne-Sport.
– Les dirigeants ont le mérite d’être réalistes. Je les admire. Ils ne font pas de folies et cherchent des moyens financiers dans la région. Je m’attends à ce que la construction du nouveau stade, et les revenus supplémentaires qui vont avec, permettent au club d’entrer dans une nouvelle ère.