Dona Bertarelli prête pour les 40es rugissants
Voile
Alors que le maxi trimaran Spindrift 2 devait franchir le Cap de Bonne Espérance, la navigatrice raconte au téléphone son début de course, son coup de blues et son enthousiasme à l’idée d’aller se frotter au Grand Sud

La voix est claire comme si elle venait de l’immeuble d’à côté. Pourtant, Dona Bertarelli nous parle bien de l’Atlantique sud où le maxi-trimaran Spindrift 2 file à 35 nœuds (65 km/h). Au même moment, l’équipage est en pleine manœuvre pour prendre un deuxième ris (réduire davantage encore la surface de la grand-voile exposée au vent). La zone de calme est enfin derrière eux.
«On est resté bloqué une journée entière par l’anticyclone de Sainte-Hélène, mais là on a réussi à prendre le tapis roulant qui nous amène vers le Cap de Bonne Espérance, raconte la navigatrice. On est en train de plancher sur la route à prendre et c’est encore un peu flou. Il y en a une qui nous ferait plonger très au sud, déjà bien dans les glaces et une autre plus au nord mais moins optimiste. L’important, c’est de ne pas se faire trop dérocher par rapport au précédent record (détenu par Loïck Peyron sur Banque Populaire). Notre objectif est de ne pas avoir trop de retard sur au passage du Cap Horn pour pouvoir jouer notre carte lors de la remontée de l’Atlantique.»
Coup de blues
Depuis leur départ, le dimanche 22 novembre dernier, Dona Bertarelli ne s’est-elle à aucun moment demandé ce qu’elle faisait là? «Non, mais j’ai eu un petit coup de blues au 7e jour lorsque j’ai réalisé qu’on était déjà parti depuis une semaine et qu’il nous en restait encore six. Ça me paraissait beaucoup. Et là, Yann (Guichard, le skipper et son compagnon) m’a fait remarquer que l’on avait déjà fait 20% du parcours.»
Symboliquement, le Cap de Bonne Espérance, qu’ils espéraient franchir dans la nuit, est un passage clé. C’est l’entrée dans le Grand Sud, dans cette zone hostile et froide, très loin de toute terre. «C’est un peu le point de non-retour, reconnaît la navigatrice suisse. On savait que si on abordait le Cap de Bonne Espérance avec un bon chrono, on tenterait notre chance alors que si on était arrivé ici avec beaucoup de retard, on aurait envisagé de faire demi-tour. Mais là, on continue en espérant bien entamer ce Sud et trouver le bon chemin.»
Atmosphère sérieuse
Même s’ils ne sont pas encore entrés dans l’Océan indien, même s’ils n’ont pas encore goûté aux 40es rugissants, le paysage commence petit à petit à changer de ton. «Le ciel et la mer sont gris. Cela annonce la couleur pour les prochains 20 jours et ça amène un certain sérieux à bord. On est sérieux tous les jours, mais disons que ça se durcit. Le vent devient lourd et puissant», détaille encore Dona Bertarelli, pas mécontente de voir la température se rafraîchir. Car le démarrage d’une telle navigation est toujours un peu compliqué pour le corps. Pas facile de s’habituer à dormir par tranches de 3 heures. «Il faut prendre les jours comme ils viennent, dit-elle. Et ceux sans vent ont été les plus difficiles. Il faisait une chaleur écrasante dans le bateau. Il n’y avait pas d’air et on ne parvenait pas à dormir. Là, ça va être le contraire avec le grand froid, les 5 degrés à l’intérieur du bateau.»
Même si elle est consciente que les prochaines semaines vont être rudes, elle se dit très «enthousiaste» à l’idée d’entrer dans ce Grand Sud, portée par les témoignages de ceux qui ont déjà traversé ces mers-là. «Yvan Ravussin, (détenteur du record avec Loïck Peyron) m’a dit: «Profite. Prends-en plein les yeux. Tu vas vivre des moments que personne d’autre n’aura vécus, des images que pour toi». Ellen McArthur a eu les mêmes mots. Alors oui, ce sera dur, il y aura des hauts et des bas mais je sais que je vais en retirer des moments de plaisir. Et c’est aussi pour ça que je le fais.»
Source d’inspiration
Ellen McArthur est d’ailleurs clairement une source d’inspiration pour Dona Bertarelli. «Ellen a une philosophie qui m’a toujours épatée. Elle a aussi fait des choix et su se remettre en question lorsqu’elle a arrêté la voile pour lancer sa fondation. On s’est rencontrées trois jours avant de partir. J’avais besoin d’avoir le regard d’une femme. Elle était très jeune et n’avait pas d’enfant quand elle courait autour du globe. Aujourd’hui, elle est maman. C’était important pour moi d’échanger avec elle, qu’elle puisse me dire si elle aurait fait la même chose en étant déjà mère, si elle avait navigué de la même manière, pris les mêmes risques. Et depuis qu’on est parti, elle me suit et m’encourage. C’est motivant et assez rassurant. Cela me conforte dans le fait que les sentiments, loin d’être anodins, que je vis ne sont pas dus qu’à mon manque d’expérience en course au large mais aussi à l’être humain que je suis.»