Il est souvent demandé aux cinéphiles d’établir la liste des meilleurs films de sport. La boxe est généralement en haut de l’affiche («Gentleman Jim», «The Set-Up», «Raging Bull», «The Fighter»), les sports américains fournissent une profusion de seconds rôles alors que le football semble destiné à faire pousser des navets (Stallone gardien de but dans «A nous la victoire», le triptyque «Goal» arrêté après le deuxième volet, et l’inénarrable film sur la FIFA, «United Passions», financé par la FIFA).

La question inverse est rarement posée: quels sont les films préférés des sportifs? Ceux qui détestent le football adorent «Coup de tête» de Jean-Jacques Annaud, mais les footballeurs, quels films les inspirent? Quels sont ceux dont ils connaissent par cœur les répliques et dont ils copient les personnages? Au fil des rencontres, au détour d’une interview, au hasard d’une confidence ou d’une anecdote, des titres apparaissent, souvent les mêmes. En creusant un peu, on en trouve même qui ont eu une influence directe, durable, profonde, sur une discipline ou une génération. Ces éléments mis bout à bout, voici donc le Top 5 des films préférés des sportifs. Histoire de rappeler que Cannes, c’est d’abord la ville qui vit débuter Zinedine Zidane.

■ «Gladiator» (Ridley Scott, 2000): les footballeurs se transforment en gladiateurs

En 2009, le FC Barcelone dispute la finale de la Ligue des Champions à Rome contre Manchester United. La rencontre a lieu au Stade Olympique, et non au Colisée, mais Pep Guardiola trace un parallèle avec le film «Gladiator», qui raconte le combat pour l’honneur et la liberté du gladiateur Maximus, général devenu esclave puis dieu du stade antique. Un ami de Guardiola réalise alors un montage qui intercale passages du film et séquences de jeu. La veille du match, l’entraîneur catalan abrège l’entraînement et réunit ses joueurs devant un écran.

L’effet dépasse ses espérances: certains pleurent, d’autres crient. Tous sont touchés et persuadés que, comme les gladiateurs romains, ils ne peuvent être vaincus s’ils sont unis. Le lendemain, le Barça s’impose et le petit Lionel Messi inscrit même un but de la tête à la défense anglaise. Depuis, le montage vidéo circule sur le web, le procédé a souvent été repris, les grands clubs ont tous embauché des réalisateurs et des monteurs, et «Gladiator» est devenu un film culte pour de très nombreux sportifs en quête de motivation. Quant à Russel Crowe, oscarisé pour sa performance dans le film, il a racheté le club de rugby à XIII des South Sydney Rabbitohs.

■ «Scarface» (Brian de Palma, 1983): les sportifs se rêvent en Tony Montana

Difficile de faire plus années 1980 que ce film violent, machiste, prônant le fric et la réussite à tout prix, écrit sous héroïne par Oliver Stone et joué par un Al Pacino survolté, sur fond de synthé de Giorgio Moroder. Et pourtant, Scarface continue trente ans après d’inspirer la jeune génération, notamment dans les banlieues françaises. Un documentaire du Français Nicolas Lesoult, «Génération Scarface», y explique l’étonnante aura de Tony Montana, émigré cubain venu faire fortune, et vite, à Miami. Le film de Brian de Palma utilise les mêmes codes, aborde les mêmes thèmes, que les jeunes déracinés des cités: l’envie de s’en sortir, le besoin de reconnaissance, le manque d’opportunité, la violence.

Principales pourvoyeuses de footballeurs professionnels, les banlieues françaises produisent des stars qui se voient ou se rêvent en Tony Montana, dont ils s’approprient la phrase culte: «Ces mains sont faites pour l’or et elles sont dans la merde». Cela fonctionne aussi avec les pieds. Karim Benzema s’affiche dans des décapotables remplies de filles et de billets et Nicolas Anelka insulte le sélectionneur Raymond Domenech en une de L’Equipe. «Va te faire enc… sale fils de p…», ça pourrait être du Tony Montana.

■ «300» (Zack Snyder, 2007): un appel au dépassement de soi

Brassens avait déjà prévenu: «les guerriers de Sparte ne jetaient pas leur épée dans l’eau». Le réalisateur Zack Snyder le démontre en 2007 dans une débauche de sang et d’effets spéciaux au service d’un roman graphique (une BD, en mieux) de Frank Miller. Incroyablement violent, «300» montre en images de synthèse la bataille des Thermopyles en – 480. Peu importent les libertés prises avec la vérité historique, les sportifs retiennent surtout que Leonidas et ses coéquipiers savaient mouiller le maillot.

Le film est truffé de scènes épiques et d’appel au dépassement de soi: «Pas de retraite. Pas de capitulation. C’est la loi spartiate. Et par la loi spartiate, nous resterons debout, nous combattrons et nous mourrons. Un nouvel âge a commencé, un âge de liberté. Et tous sauront que 300 Spartiates ont donné jusqu’à leur dernier souffle pour le défendre. […] Spartiates, préparez votre déjeuner et mangez bien… Car ce soir nous dînons aux enfers!»

Même le bus de Knysna n’y aurait pas résisté. Hélas, Raymond Domenech n’y a pas pensé. Ricardo Lombardi si. En 2009, l’entraîneur du Racing de Buenos Aires y va de son petit montage avant un match décisif contre Boca Juniors. La «Academia» se sort les tripes et de la zone de relégation. Bon, ils n’étaient pas 300 contre 10 000 mais 11 contre 11. Film fasciste pour les uns, simple adaptation du style heroic fantasy pour les autres, «300» est devenu une source d’inspiration pour de nombreux supporters. Evidemment, ceux des Spartans de l’Université du Michigan s’en donnent à cœur joie. Mais ceux de l’Olympique Lyonnais reprennent également le cri de guerre des Spartiates, «ahou», au son du tambour, avant les matchs.

■ «Any Given Sunday» (Oliver Stone, 1999): le discours d’avant-match qui file la chair de poule

Encore Al Pacino, encore à Miami, encore dans le rôle d’un Tony (d’Amato), et toujours avec les mots d’Oliver Stone, scénariste et réalisateur de «L’enfer du dimanche» (le titre français). Résultat: le plus beau discours d’avant-match, celui qui vous file la chair de poule. Centimètre par centimètre.

Extrait: «Dans les deux jeux, la vie ou le football, la marge d’erreur est très mince. Un demi-pas trop tard ou trop tôt, et on n’y arrive pas tout à fait. Une demi-seconde avant ou après, et on n’attrape pas tout à fait. Ces centimètres que nous voulons sont partout autour de nous. Dans chaque phase de jeu, à chaque minute, à chaque seconde. Dans cette équipe, on lutte pour chaque centimètre. Dans cette équipe, on se déchire et on déchire tout le monde autour pour chaque centimètre. On griffe de nos ongles pour chaque centimètre. Parce qu’on sait qu’à la fin, le total de tous ces centimètres fera la putain de différence entre gagner et perdre!» De nombreux entraîneurs s’en inspirent ou l’utilisent tel quel, souvent ceux des petites équipes qui doivent lutter, centimètre par centimètre.

■ «Rocky» (John G. Avildsen, 1976): l’entraînement comme élément clé de la victoire

Impossible de ne pas citer la plus célèbre saga de films de sport parmi les plus grandes références. En début d’année à Lyon, lors du festival «Sport, Littérature et Cinéma», Thierry Frémaux (oui, celui qui est aussi directeur du Festival de Cannes) programma à l’Institut Louis Lumière une «Nuit Rocky» à laquelle assistèrent plusieurs anciens champions du monde de boxe. Les «Rocky», surtout le premier, qui pose tous les codes qui seront ensuite déclinés six fois à ce jour, sont une inépuisable source d’inspiration pour tous les sportifs en mal de confiance ou d’entraînement. Nous sommes tous Rocky Balboa, quand nous enfilons un vieux sweat (le gris en coton épais et à coupe droite du film redevient tendance) pour sortir dans la rue et aller faire notre jogging matinal. Une côte, quelques marches d’escalier (celles qui mènent au Musée d’art de Philadelphie sont au nombre de 72), un champ de neige (Rocky IV) et nous voici en plein film, les cuivres éclatants de «Gonna Fly Now», la musique composée par Bill Conti, dans la tête.

Stallone filme l’entraînement (au contraire de Bruce Lee), le montre comme un élément clé de la victoire – au moins sur soi-même – et réhabilite les bons vieux trucs comme courir après les poules, fendre des bûches ou frapper des carcasses de viande. Rocky a eu en revanche une influence plus discutable, et même dangereuse, sur de nombreux boxeurs qui ont risqué leur santé en boxant garde basse, persuadés que la bravoure surpassait tout et que l’essentiel dans le noble art était de mettre un coup de plus que l’adversaire. Certains en sont restés K.O.