Alerte canicule pour les vieux de la Nati
Football
En voulant accélérer le renouvellement de l’équipe nationale, le sélectionneur Vladimir Petkovic pensait agir avec sang-froid. La réaction à chaud de Valon Behrami place l’ASF dans un orage d’été dont elle se serait bien passée. Et qui pourrait refroidir l’ambiance

La prochaine fois qu’un joueur de l’équipe nationale vous jurera la main sur le cœur que l’important c’est l’équipe (et les trois points) et que lui n’est là que pour servir, en bon soldat, aussi longtemps que l’on voudra bien de lui, un bon conseil: ne le croyez pas. En tout cas pas complètement. Les grands sportifs sont souvent des personnages complexes, contradictoires, égocentriques, des orgueilleux volontiers portés sur la parano. C’est comme ça que ça marche, c’est même souvent ce qui a fait d’eux de grands champions. «On ne devient pas star avec ses qualités mais avec ses défauts», révélait Robert Mitchum.
Valon Behrami est sans doute à l’heure actuelle le footballeur le plus apprécié de Suisse. Il possède une histoire qui résume le pays, son style généreux est apprécié dans les trois régions linguistiques, il a maté Neymar, porté le brassard le 3 juillet dernier contre la Suède en huitième de finale de la Coupe du monde et même épousé Lara Gut. Mais il a aussi 33 ans et de la peine à marcher entre deux matchs.
Donner des responsabilités à d’autres joueurs
En sport, qui n’avance pas recule. Cet été, l’équipe de Suisse avait deux façons d’avancer: soit en battant la Suède (défaite 0-1), soit en renouvelant ses cadres. Lundi, le sélectionneur Vladimir Petkovic a cru bon d’entamer avec Behrami (83 sélections, vice-capitaine) une série de discussions avec ses cadres: Stephan Lichtsteiner (34 ans, 103 sélections, capitaine), Johan Djourou (31 ans, 75 sélections), Gelson Fernandes (31 ans, 67 sélections) et peut-être Blerim Dzemaïli (32 ans, 69 sélections).
L’idée de Petkovic était de leur annoncer qu’il allait désormais donner plus de temps de jeu et de responsabilités à d’autres joueurs (Denis Zakaria, Michael Lang, Manuel Akanji), et donc ne pas les convoquer pour les prochains matchs, mais qu’il souhaitait pouvoir faire appel à eux en cas de besoin. En 2005, l’équipe de France avait ainsi sorti de leur retraite Zinedine Zidane, Claude Makelele et Lilian Thuram.
Le calendrier se prête aux expériences puisque la nouvelle Ligue des nations (la Suisse affrontera la Belgique et l’Islande), un an avant des éliminatoires de l’Euro 2020 ramassés, offrira deux chances de qualification au lieu d’une, et donc un droit à l’erreur.
Si Valon Behrami déclara cependant à la télévision tessinoise que Petkovic avait mis fin à sa carrière internationale «en 30 secondes par téléphone», c’est peut-être parce que son ego meurtri n’entendit que ces quatre mots: «plus besoin de toi». Le reste, le contexte, les nuances, tout cela était inaudible pour lui. Pris de cours, Vladimir Petkovic assura tard lundi soir dans un communiqué n’avoir «encore arrêté aucune décision définitive». «La Ligue des Nations offrira une réelle opportunité pour juger du potentiel des jeunes joueurs, tente-t-il d’expliquer. Les enseignements que l’on pourra tirer à l’automne lors des rencontres contre la Belgique, l’Islande, l’Angleterre et le Qatar seront précieux avant d’engager la campagne de qualification pour l’Euro 2020.»
Gâchis
Contacté mardi par la radio tessinoise, le chef des équipes nationales Claudio Sulser martela le même discours: «La Suisse débute une nouvelle campagne et Petkovic veut donner une chance aux jeunes joueurs pour voir s’ils sont prêts. Il s’agit d’une période d’évaluation qui va amener certains acteurs plus expérimentés à faire un pas en arrière. Mais ce n’est pas une étape définitive.»
Stéphane Henchoz jette un regard désolé sur ce gâchis. «C’est dans la continuité de la Coupe du monde, lâche l’entraîneur adjoint de Neuchâtel Xamax. La gestion du match contre la Serbie avait été catastrophique et ça continue. L’ASF n’a pas anticipé la réaction de Behrami, et elle doit faire face maintenant à une situation compliquée. Pour les joueurs concernés, il sera difficile de revenir après ça, alors qu’il n’est pas dit du tout que l’équipe de Suisse peut se passer définitivement de Lichtsteiner et Behrami.»
Une réaction prévisible
L’ASF pouvait-elle prévoir le brûlot de Behrami? Oui. Son passé récent est rempli de cas semblables. Türkyilmaz, Vogel, Sforza, Frei, Inler: tous quittèrent la Nati contre leur gré, dans l’amertume, la colère et parfois le règlement de compte. Les histoires d’amour finissent mal, en général. Mardi soir, ni Lichtsteiner ni Djourou n’avaient réagi. Joint en Espagne, l’agent du défenseur genevois assure ne pas avoir eu de contact avec lui sur ce sujet.
Seul Gelson Fernandes s’est exprimé, sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook, pour annoncer sa retraite internationale. Le Valaisan a choisi de s’en aller avec élégance. «Nous sommes passés d’une équipe exclusivement défensive à une équipe capable de prendre le jeu à son compte, et d’attaquer. J’ai l’intime conviction que pour encore franchir un palier, il faut préparer nos joueurs, leur donner du temps, de l’expérience, du vécu. Pour toutes ces raisons et après longue réflexion, il est temps d’annoncer la fin de ma carrière internationale et laisser ainsi la place à une nouvelle génération.»
L’ego des footballeurs
Au passage, il glisse ce qui ressemble à un tacle envers Valon Behrami: «J’ai toujours été conscient que le grand danger d’une équipe nationale était l’ego, car chaque joueur est important dans son club et souvent, il a la même attente en sélection.» Mais Gelson Fernandes n’a pas joué du tout en Russie et n’était pas le relais privilégié du sélectionneur. «Petkovic et Behrami, c’est César et Brutus», ironise un insider, pas mécontent de la tournure des évènements.
La théorie de «l’assassinat politique» élucubrée par Behrami ne résiste toutefois pas à l’analyse. A l’en croire, le Tessinois paierait ses critiques à l’encontre d’Alex Miescher, après que le secrétaire général de l’ASF eut expliqué au Tages-Anzeiger que le football suisse avait un problème avec ses binationaux. Soit, mais pourquoi pas Granit Xhaka, beaucoup plus virulent? Et pourquoi Stephan Lichtsteiner, le «bon Suisse», et Djourou et Fernandes, les pacificateurs de vestiaire? Les deux affaires ne sont pas liées. Mais aucune n’est réglée et bon courage aux nouveaux leaders de l’équipe pour maintenir la cohésion du vestiaire.
Collaboration: Lionel Pittet