Mais il n’y a que sur le terrain de jeu que la Coupe du monde 2022 au Qatar sera vraiment terminée.
Elle avait d’ailleurs débuté bien avant le match d’ouverture avec les controverses liées à l’attribution du tournoi, puis aux conditions de vie des millions de travailleurs migrants qui ont transformé le pays, ou encore à l’impact environnemental réel d’un événement qui a nécessité 220 milliards de dollars d’investissement. Elle se prolongera avec les soupçons de corruption d’eurodéputés par le Qatar, après la découverte d’importantes sommes d’argent liquide dans l’appartement bruxellois d’Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen, déchue depuis de son poste. Ses proches et elle pourraient avoir reçu jusqu’à un million d’euros pour vanter les mérites du pays organisateur de la Coupe du monde, lequel, sans cette affaire dont on ne mesure pas encore les conséquences, aurait gagné son pari sur tous les plans.
Dissonance cognitive
Le Qatar a d’abord séduit ses visiteurs. Sur place, Le Temps a rencontré plusieurs supporters qui avaient beaucoup hésité à faire le déplacement en raison des polémiques mais qui ne regrettaient pas leur choix. Les stades étaient beaux, il était possible de voir facilement plusieurs matchs, l’ambiance était festive et les locaux – Qataris ou immigrés – étaient très accueillants. Tout le monde s’est senti bien à Doha, une ville où le modernisme le plus ostentatoire côtoie des quartiers populaires vibrants, et où l’organisation n’a pas connu de «couac» majeur.
L’a priori avait été négatif mais l’expérience fut positive, et cela a pu créer une certaine dissonance cognitive, dont Emmanuel Macron donna un exemple. Interrogé mercredi sur sa présence au Qatar après la qualification des Bleus pour la finale, le président français a dit qu’il l'«assumait totalement», ajoutant que «l’organisation est bonne, la sécurité est bonne, donc ne mégotons pas sur notre plaisir». Ce n’était pas vraiment la question, mais sa réponse illustre bien que la séduction a opéré. Le Qatar est parvenu à être jugé sur le déroulement de sa Coupe du monde, et pas sur les problèmes fondamentaux que le monde occidental avait soulevés au départ.
Le petit émirat a aussi réussi à fédérer le monde arabe. Cela paraissait loin d’être gagné il y a moins de 2 ans encore, quand il était frappé d’un blocus économique par ses voisins, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis en tête. Mais ces dernières semaines, les dirigeants se sont affichés publiquement ensemble, les supporters de tous les pays ont fraternisé et, pendant que la FIFA interdisait aux capitaines d’équipes européennes de porter leur brassard «One Love», le drapeau palestinien flottait librement dans les tribunes des stades et les rues de Doha.
L’influence du lieu
L’arabité du tournoi, bien sûr, a été exaltée par l’épopée de l’équipe du Maroc, éliminée en demi-finales par la France (2-0) après avoir sorti la Belgique au premier tour puis l’Espagne et le Portugal. Le succès d’une formation arabe lors du premier Mondial dans un pays arabe fait écho à celui d’une équipe asiatique lors du premier Mondial en Asie (la Corée du Sud, demi-finaliste de l’édition 2002 co-organisée avec le Japon) et à celui d’une équipe africaine lors du premier Mondial en Afrique (le Ghana, quart-de-finaliste en 2010 en Afrique du Sud). Tout cela suggère que le lieu d’une compétition peut avoir une influence sportive et plaide pour que la Coupe du monde continue de défricher de nouveaux territoires.
Le Qatar, d’ailleurs, a plutôt bien rempli ses stades. Si les contingents de supporters européens étaient plus restreints que lors des précédentes éditions, les Sud-Américains, Mexicains et autres Nord-Africains étaient plusieurs dizaines de milliers à avoir fait le déplacement. Sur place, ils ont forcément fait la connaissance de ces Indiens du Kerala, une province du sud du pays, qui travaillent en nombre au Qatar et vouent une véritable passion au football. Certains semblent bien avoir été payés pour encourager une équipe ou l’autre, comme l’a montré un article de 24 heures et Tribune de Genève, mais beaucoup étaient simplement au stade par plaisir.
Certes, le Qatar n’est pas parvenu à former une équipe nationale vraiment compétitive, mais l’élimination de la sélection de l’Espagnol Félix Sanchez après trois défaites a vite été éclipsée par un tournoi palpitant, dès les troisièmes matchs du premier tour, et riche en surprises. Et puis la finale met aux prises les deux plus grandes stars du Paris Saint-Germain, propriété de l’émirat via la société Oryx Qatar Sports Investments, c’est toujours ça.
La stupéfaction de Budweiser
Pour réussir sa Coupe du monde, le Qatar n’a même pas eu à faire beaucoup de concessions. Ces dernières années, certes, le pays a fait évoluer son droit du travail avec différentes mesures saluées par les organisations internationales (augmentation du salaire minimum, possibilité de changer d’employeur plus facilement, pauses aux heures les plus chaudes de la journée) et, pendant le tournoi, il s’est ouvert à une couverture médiatique plus libre que d’habitude. Mais il a aussi tenu bon sur l’interdiction des symboles de la cause LGBT, comme l’arc-en-ciel, et après avoir fait de nombreuses promesses d’ouverture, il a fini par limiter la consommation d’alcool de manière extrêmement stricte, à la stupéfaction de Budweiser, un des sponsors principaux du tournoi.
Selon différents médias, cette décision aurait contribué à dégrader la bonne entente du pays organisateur et de la FIFA. Cela n’a pas empêché son président Gianni Infantino, vendredi lors d’une conférence de presse, d’évoquer «la plus belle Coupe du monde de tous les temps», comme il l’avait déjà fait en Russie il y a quatre ans et comme il le fera probablement en 2026 lors d’une édition partagée par les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. D’ici là, il sera encore beaucoup question du Qatar.